Les jeunes Brésiliens bientôt jugés comme des adultes

Andressa Pellanda, correspondante à São Paulo
14 Mai 2013


Au Brésil, la montée de la criminalité chez les mineurs lance un débat national sur l'abaissement de l'âge de la majorité pénale.


Mardi 9 avril, Victor Hugo Deppman, jeune étudiant de 19 ans, est mortellement blessé à la tête par une arme à feu lors d'un vol à la porte de sa maison, à Belém, un quartier de São Paulo. Des témoins ont dit à la police qu'un homme avait tiré sur le jeune homme lors d'un assault. Le suspect se serait ensuite enfui sur une moto. Un adolescent, d'à peine 18 ans, est soupçonné d'être l'auteur du crime. Selon la police, le suspect ne s’est présenté au commissariat, avec sa mère, qu'après que son frère ait été emmené au poste de police.

Chaque mois, des Brésiliens commettent des crimes de ce genre.  Beaucoup d'entre eux ont moins de 18 ans, âge de la majorité pénale nationale. Seulement 5% sont des femmes, et le profil de ces jeunes sous-tend les préjugés : ils sont généralement noirs et habitent la périphérie de São Paulo. Selon le Conseil national de Justice (CNJ), 43% des jeunes délinquants ont été élevés uniquement par leur mère, et 17% par leurs grands-parents. 86% de ces adolescents ont déclaré ne pas avoir terminé l'école primaire. 

Le cas Deppman a soulevé un débat sur l'âge légal de la majorité pénale. Les médias brésiliens ont produit une énorme quantité de reportages, articles et programmes télévisés sur le sujet. Les journalistes ne traitaient pas de des importantes inégalités sociales dans le pays, laquelle génère de la violence, mais des taux alarmants et croissants de criminalité, ce qui encourage les jeunes à se sentir intouchables.

La Fondation CASA (Centre de services socio-éducatifs pour adolescents), institution liée au Ministère de la Justice et de la défense de la citoyenneté, cherche à responsabiliser ces jeunes délinquants pour des crimes commis, comme prévu dans le ECA (Statut de l'enfant et de l'adolescent). Il y a, donc, une confusion entre l'impunité et la responsabilité qui, conformément à la loi pénale, c'est la capacité d'une personne à comprendre l'action illicite et ne plus agir en ce sens.

Après quelques jours de déchaînement médiatique, le Datafolha, organisme de recherche attaché à la Folha de São Paulo (le plus grand quotidien national du pays), a annoncé les résultats du sondage « pour ou contre la réduction de l'âge de la responsabilité pénale ? ». La réponses est unanime : 93% des habitants de São Paulo sont d’accord avec l’abaissement, 6% sont contre et ils sont 1% à ne pas s'être prononcé.

« Le soutien apparent à la réduction de l'âge de la responsabilité pénale révèle la volonté de trouver une solution plus immédiate », déclara Mauro Paulino, directeur général de Datafolha. Pour Luis Fernando Veríssimo, écrivain brésilien, ces cas « extrêmes » testent la rationalité de l'humanité. Pour lui, on « retourne dans le temps biblique de la réciprocité ». Leonardo Sakamoto, journaliste brésilien et fondateur de l'ONG Reporter Brasil, a déclaré dans un de ses articles sur le sujet qu’il avait peur des « maniaques du sang », mais qu’il redoutait encore plus une « société maniaque du sang ». « La vengeance n'est pas une justice », a-t-il ajouté.

Les partis politiques soutiennent aussi la réduction. Le gouverneur de São Paulo, Geraldo Alckmin (Parti social-démocrate - PSDB), soutient que le ECA « ne peut pas répondre aux nouvelles exigences » et qu’il devrait y avoir des sanctions pour les crimes graves tels que le viol et l’assassinat, chez les mineurs. Il défend la hausse de la durée maximale de la mesure socio-éducative à 8 ans et le transfert des adolescents de 18 ans, de la Fondation CASA au système pénitentiaire traditionnel.  

Depuis l'arrivée au pouvoir du PSDB à São Paulo il y a 18 ans, l'augmentation de la population carcérale a été intense. Selon le Département pénitentiaire national (DEPEN), la croissance du nombre de détenus à São Paulo au cours de cette période a été de 247%. Rien qu'entre décembre et juillet 2011, le nombre total de détenus dans les prisons et les commissariats de police au Brésil est passé de 514 582 à 549 577. La criminalité est toujours aussi élevée. Selon les données du Ministère de la Sécurité publique, le nombre de meurtres a augmenté de 37,3%, passant de 91 en février à 125 en mars 2013. Par rapport à mars de l’année dernière, l'augmentation a été de 26,2%. 

Un rapport onusien alarmiste

En plus de ces statistiques alarmantes, le taux de récidive dans les prisons du pays est de 70%, selon les statistiques du CNJ. Le Brésil possède la 4ème population carcérale au monde, juste derrière les Etats-Unis, la Chine et la Russie. Après une visite sans précédent au Brésil en avril dernier, une délégation des Nations Unies a conclu qu'il y une a privation excessive de liberté dans le pays, une très faible application des alternatives à l'emprisonnement et une carence sévère des défenseurs publics pour les détensu. La plupart de la population des prisons brésiliennes est noir (60%). Environ 80% est arrêté pour des crimes contre la propriété ou le trafic de drogues, comportement imputé aux pauvres, à qui on laisse le choix entre rechercher un métier légal mais misérable et recourir à des voies informelles, voire illégales. « Selon les règles du droit international, la détention est l'exception et non la règle. La principale mesure provisoire au Brésil est toujours l’arrestation. Les juges sont réticents à adopter des mesures alternatives, car il n'existe aucun mécanisme pour les contrôler », a déclaré Vladimir Tochilovsky, membre de l'inspection de l'ONU.

Il n'y a pas de relation directe entre un système punitif et la réduction de la violence, bien au contraire. Il est de plus en plus prouvé que l'éducation est un moyen plus efficace que la punition. En six années de fonctionnement du nouveau modèle de la Fondation CASA, il y a eu quelques avancées. Parmi eux, la baisse significative des taux de récidive et de la survenue d'émeutes. En 2006, avant la restructuration, 29% des jeunes en détention retournaient en prison. Aujourd'hui, le taux est d'environ 13%. Les rébellions ont chuté de 80 en 2003 à une seule en 2009. Le vol et l’assassinat représentent respectivement moins de 1% des cas de détention de mineurs. Les causes de détention les plus fréquentes sont le vol de biens et le trafic de drogue. En général, ce sont de petits dealers, des dépendants qui ne vendent de la drogue que pour satisfaire leur propre dépendance et qui ne contrôlent pas la logique du trafic. Avec la réduction de l'âge pénal, de nombreux jeunes n'auront plus accès aux traitements de réinsertion et devront rejoindre le système de détention classique.

Ce n'est pas seulement au Brésil que l'âge de la responsabilité pénale est de 18 ans. 42 pays, sur les 53 étudiés par une enquête du Ministère pour les Droits de l'Homme de la présidence du Brésil, ont adopté cet âge. Dans des pays comme la Norvège, le taux de récidive de prison est de 20%. L'écart entre les chiffres s'explique par les priorités des Etats. Ce qui prévaut dans le système pénal norvégien est la réadaptation, pour que l’individu réintègre la société en tant que membre productif.

Plusieurs institutions spécialisées sont contre cette réduction de l'âge légal. La Convention relative aux Droits des enfants et des adolescents au sein des Nations Unies et la Déclaration sur les Droits de l'enfant, engagements signés par le Brésil, défendent le maintien de l'âge légal à 18 ans. L’UNICEF est aussi contre la réduction. Au niveau national, la réduction contredit la Constitution fédérale et sa doctrine de protection intégrale qui rend l'enfant et l'adolescent sujets de droits, en tant que personnes en état particulier ​​de développement. Le Conseil national pour les Droits des enfants et des adolescents (CONANDA), le Conseil régional de psychologie (CRP) de São Paulo, la Confédération nationale des évêques du Brésil (CNBB), l'Association des avocats du Brésil (OAB), la Fondation ABRINQ,  le gouvernement fédéral, entre autres institutions, préconisent un débat prolongé pour que la législation ne soit pas modifiée dans le pays.

Réduire l'âge de la responsabilité pénale signifierait traiter l'effet et non la cause. C'est un discours politiquement opportun, une réponse facile à l'indignation de la population face à la violence et une mesure inoffensive, qui ignore le cœur du sujet. Le problème réside dans les droits fondamentaux niés à tant de jeunes au Brésil. Ainsi, la réduction de l'âge de la majorité est un moyen de transférer le problème.