De longues minutes durant, il s’est fait entailler le visage, à coups de lamelle, soigneusement aiguisée par le forgeron.
La scarification est de moins en moins répandue et Mamoudou a surpris plusieurs de ses amis en optant pour cette pratique.
Inexorablement, elle se perd alors même que les peuples la pratiquaient allègrement auparavant.
Il y a moins d’un demi-siècle, les forgerons de plusieurs peuples d’Afrique de l’Ouest et du Centre portaient des estafilades à tour de bras. Si le marquage de la peau a perdu sa signification profonde, les populations traditionnelles lui accordent toujours une signification magico-religieuse ou directement liée à l’intégration.
Selon cette philosophie, le corps est le lien physique qui existe entre nous, notre âme et le monde extérieur. C’est l’intermédiaire par lequel nous nous projetons dans la vie sociale. En somme, il faut être peint pour être homme. Le corps décoré, vêtu, tatoué, mutilé, exhibe ostensiblement son humanité et son intégration à un groupe constitué.
La scarification est de moins en moins répandue et Mamoudou a surpris plusieurs de ses amis en optant pour cette pratique.
Inexorablement, elle se perd alors même que les peuples la pratiquaient allègrement auparavant.
Il y a moins d’un demi-siècle, les forgerons de plusieurs peuples d’Afrique de l’Ouest et du Centre portaient des estafilades à tour de bras. Si le marquage de la peau a perdu sa signification profonde, les populations traditionnelles lui accordent toujours une signification magico-religieuse ou directement liée à l’intégration.
Selon cette philosophie, le corps est le lien physique qui existe entre nous, notre âme et le monde extérieur. C’est l’intermédiaire par lequel nous nous projetons dans la vie sociale. En somme, il faut être peint pour être homme. Le corps décoré, vêtu, tatoué, mutilé, exhibe ostensiblement son humanité et son intégration à un groupe constitué.
Un phénomène aux multiples facettes en voie d'extinction
Le docteur Bouba Amman, historien à l’Université de Ngaoundéré (Cameroun), a mené des recherches dans le domaine de l’esthétique corporelle. Selon lui, les explications de l’origine des scarifications diffèrent d’un groupe ethnique à un autre. Il explique que « les modifications corporelles ou mutilations corporelles comprennent les balafres (face et tempes), les incisions abdominales, au niveau des membres supérieurs. Ces modifications sont faites à des fins esthétiques, parce qu’elles sont l’expression de la beauté. Une façon de transformer la nature en culture ». C’est une richesse de ces peuples que cette tradition : « l’homme n’est pas que nature, il est aussi culture dans la mesure où il se sent la capacité de faire de son corps et de son environnement ce qu’il veut. »
Les groupes ethniques qui pratiquent les scarifications sont localisés autant dans les montagnes qu’en zones de plaine.
Les modifications corporelles ont aussi une fonction thérapeutique. « Les incisions faites au niveau des articulations ont pour fonction de lutter contre les rhumatismes, les mauvais esprits et les sorciers. Pour prévenir les conjonctivites, les scarifications sont faites sous les yeux des enfants, surtout pendant la période de propagation de cette maladie », ajoute-t-il.
Maresca S., chercheur au CNRS, leur prête aussi une fonction sociale : « Le caractère définitif des tatouages et des scarifications conditionne leur usage qui se distingue radicalement de celui de la peinture corporelle ». Les scarifications ont un rôle dans la détermination de la classe de celui qui les arbore.
Les groupes ethniques qui pratiquent les scarifications sont localisés autant dans les montagnes qu’en zones de plaine.
Les modifications corporelles ont aussi une fonction thérapeutique. « Les incisions faites au niveau des articulations ont pour fonction de lutter contre les rhumatismes, les mauvais esprits et les sorciers. Pour prévenir les conjonctivites, les scarifications sont faites sous les yeux des enfants, surtout pendant la période de propagation de cette maladie », ajoute-t-il.
Maresca S., chercheur au CNRS, leur prête aussi une fonction sociale : « Le caractère définitif des tatouages et des scarifications conditionne leur usage qui se distingue radicalement de celui de la peinture corporelle ». Les scarifications ont un rôle dans la détermination de la classe de celui qui les arbore.
Bien que dissimulant encore bien des mystères, la scarification est une pratique en voie de disparition. Reconnaissant que le phénomène s’estompe de plus en plus, le Dr Bouba Amman pense que cela se justifie par la volonté d’uniformiser les différentes ethnies que l’on pouvait alors identifier au premier abord.
« Il s’agit d’enlever ce qui est culture à l’homme, quelque chose que lui-même a institué pour son insertion dans sa société. Il s’agit en effet de l’extraction d’un élément du registre culturel d’une société. N’oublions pas qu’à partir des balafres, par exemple, on peut reconnaitre la tribu d’origine d’un individu : balafres temporales profondes et charnues, c’est Sara ou Musgum ; incisions frontales diffuses, presque effacées et légères balafres temporales c’est Kanuri ; balafres temporales et frontales, larges, verticales c’est Guiziga et Musgum... Les marques corporelles sont des indicateurs culturels. C’est pourquoi une tendance reproche à l’ancien régime d’avoir œuvré pour une uniformisation culturelle en mettant hors d’exercice des pratiques comme les balafres, les labrets ou encore le laba », conclut le chercheur.
« Il s’agit d’enlever ce qui est culture à l’homme, quelque chose que lui-même a institué pour son insertion dans sa société. Il s’agit en effet de l’extraction d’un élément du registre culturel d’une société. N’oublions pas qu’à partir des balafres, par exemple, on peut reconnaitre la tribu d’origine d’un individu : balafres temporales profondes et charnues, c’est Sara ou Musgum ; incisions frontales diffuses, presque effacées et légères balafres temporales c’est Kanuri ; balafres temporales et frontales, larges, verticales c’est Guiziga et Musgum... Les marques corporelles sont des indicateurs culturels. C’est pourquoi une tendance reproche à l’ancien régime d’avoir œuvré pour une uniformisation culturelle en mettant hors d’exercice des pratiques comme les balafres, les labrets ou encore le laba », conclut le chercheur.
« Une fille de sept ans ne devrait pas être balafrée »
Crédits photo — David Wanedam
Mme Djakaou est promotrice culturelle camerounaise et femme politique. Elle explique les balafres chez les Guiziga, ethnie du Nord du pays et raconte son histoire d’amour pour les scarifications…
Quelle est la symbolique des scarifications chez les Guiziga ?
Chez les Guiziga, les scarifications ou balafres ont une valeur esthétique. À l’époque les gens se promenaient presque nus, et c’était l’occasion pour les hommes et les femmes guiziga de montrer la beauté de leur corps. À chaque classe sociale correspond un type de balafres.
Certaines sont réservées exclusivement aux familles royales, à des familles ou à des groupes ethniques.
Il est facile, pour un Guiziga qui connaît ce rite, de différencier les balafres. Les Guiziga de Moutourwa ne balafrent pas leur corps comme les Midjivingou de Marva.
Chez eux, il y a des gros traits sur le visage et aussi au niveau des bras, un peu comme chez les Mousgoum. Même le ventre est balafré. Les balafres au niveau du dos et du ventre rendent généralement toujours bien. Les hommes appréciaient les femmes balafrées au dos et au ventre.
À quelle période et à quel âge balafre-t-on les enfants guiziga ?
Il n’y a pas un âge précis pour balafrer les enfants. Parfois on le fait quand l’enfant a dix ans ou onze ans. Mais le plus souvent pour les garçons, on profite de la période de circoncision pour les balafrer. Chez les filles, c’est aussi presque la même chose. On attend le bon moment de sa vie pour faire ce rituel. C’est presque toujours avant le mariage. Il faut être belle avant un tel évènement.
J’ai été balafrée par ma marâtre contre mon gré. À cause de cela, mon père s’est séparé d’elle. Mon père n’était pas partisan de cette tradition. Il a estimé que moi, petite fille de sept ans, je ne devrais pas être balafrée.
Comment se passe ce rituel ?
Ce rituel se fait un peu comme chez les femmes arabes qui pratiquent l’excision. Il y a des femmes spécialisées dans ce domaine. On programme par quartier et on emmène les enfants à balafrer. Il y a des familles qui ont pour unique travail de balafrer les gens. C’est le cas de ma marâtre qui a hérité ce don de sa maman. Après le décès de ses parents, elle a continué à exercer ce travail. Ce rituel donne lieu souvent à une grande cérémonie.
Quelle est la symbolique des scarifications chez les Guiziga ?
Chez les Guiziga, les scarifications ou balafres ont une valeur esthétique. À l’époque les gens se promenaient presque nus, et c’était l’occasion pour les hommes et les femmes guiziga de montrer la beauté de leur corps. À chaque classe sociale correspond un type de balafres.
Certaines sont réservées exclusivement aux familles royales, à des familles ou à des groupes ethniques.
Il est facile, pour un Guiziga qui connaît ce rite, de différencier les balafres. Les Guiziga de Moutourwa ne balafrent pas leur corps comme les Midjivingou de Marva.
Chez eux, il y a des gros traits sur le visage et aussi au niveau des bras, un peu comme chez les Mousgoum. Même le ventre est balafré. Les balafres au niveau du dos et du ventre rendent généralement toujours bien. Les hommes appréciaient les femmes balafrées au dos et au ventre.
À quelle période et à quel âge balafre-t-on les enfants guiziga ?
Il n’y a pas un âge précis pour balafrer les enfants. Parfois on le fait quand l’enfant a dix ans ou onze ans. Mais le plus souvent pour les garçons, on profite de la période de circoncision pour les balafrer. Chez les filles, c’est aussi presque la même chose. On attend le bon moment de sa vie pour faire ce rituel. C’est presque toujours avant le mariage. Il faut être belle avant un tel évènement.
J’ai été balafrée par ma marâtre contre mon gré. À cause de cela, mon père s’est séparé d’elle. Mon père n’était pas partisan de cette tradition. Il a estimé que moi, petite fille de sept ans, je ne devrais pas être balafrée.
Comment se passe ce rituel ?
Ce rituel se fait un peu comme chez les femmes arabes qui pratiquent l’excision. Il y a des femmes spécialisées dans ce domaine. On programme par quartier et on emmène les enfants à balafrer. Il y a des familles qui ont pour unique travail de balafrer les gens. C’est le cas de ma marâtre qui a hérité ce don de sa maman. Après le décès de ses parents, elle a continué à exercer ce travail. Ce rituel donne lieu souvent à une grande cérémonie.
« La modernisation, c'est de la folie »
Cet aspect des traditions disparaît-il ?
Cette identité de notre tradition ne doit pas disparaître.
J’ai voyagé dans plusieurs pays et j’ai vu à quel point les gens cherchent à préserver leurs traditions. Au sud du Tchad par exemple, les gens s’investissent pour pérenniser tous les aspects de leurs traditions. En 2002 quand j’ai voyagé au Ghana, j’ai vu des filles modernes se faire balafrer. Pendant mon séjour je me suis sentie vraiment à l’aise surtout que les gens de là-bas appréciaient mes balafres. Je ne cesse de le répéter, c’est vraiment à tort que les gens tournent le dos à la tradition. Aujourd’hui, je suis fière de mes balafres. À l’époque où on me faisait cela, j’étais une petite qui ne connaissait rien de la valeur de la tradition.
Voilà pourquoi je n’en avais pas voulu. Désormais, lorsque je me déplace, je vante la valeur de notre tradition.
En voyage au Burkina-Faso, en 1996, j’ai eu quelques ennuis à l’aéroport. Grâce à mes balafres, un monsieur, que je ne connaissais pas, s’est approché de moi pour me demander si j’étais Guiziga.
Une fois que je le lui ai confirmé, il m’a aidé à résoudre mon problème. Tôt ou tard, ces rites qui tendent à disparaître reviendront. Même si ce n’est pas comme par le passé, il y aura quand même des gens qui veilleront à les préserver.
En 2000, afin de préparer l’année de la femme, je suis allée avec d’autres Camerounaises à Abidjan. Une fois là-bas, personne ne voulait plus parler de son identité. Comme je ressemblais aux Ghanéennes, du fait de mes balafres, je me suis rapprochée d’elles.
Une reine du Ghana était habillée comme mes sœurs Guiziga, c’est fou ! Elle était balafrée exactement comme dans notre tradition. Elle m’a fortement encouragée à œuvrer pour la pérennisation de cette tradition.
Comment pérenniser une telle tradition ?
La modernisation, c’est de la folie. On doit structurer notre tradition pour la transmettre aux générations futures. Des femmes tournent le dos aux balafres sous prétexte qu’elles sont émancipées. Mais c’est une fausse émancipation. Il faut qu’elles revoient tout cela.
C’est un désengagement. Je pense qu’il est important que le ministère de la Culture puisse mettre sur pied dans chaque région un comité de structuration de nos traditions. Il faut vraiment prôner cette donne. C’est dans ce sens que, dès le mois d’octobre, nous allons mettre sur pied un comité digne de ce nom qui va s’occuper de la promotion des valeurs traditionnelles et culturelles de toutes les ethnies de la région de l’Extrême-Nord. Au début, nous allons nous concentrer sur Maroua, puis nous allons descendre dans les départements. Progressivement, nous irons dans les arrondissements et les villages. Il faut faire connaître aux populations l’importance de rester lié à la tradition.
Cette identité de notre tradition ne doit pas disparaître.
J’ai voyagé dans plusieurs pays et j’ai vu à quel point les gens cherchent à préserver leurs traditions. Au sud du Tchad par exemple, les gens s’investissent pour pérenniser tous les aspects de leurs traditions. En 2002 quand j’ai voyagé au Ghana, j’ai vu des filles modernes se faire balafrer. Pendant mon séjour je me suis sentie vraiment à l’aise surtout que les gens de là-bas appréciaient mes balafres. Je ne cesse de le répéter, c’est vraiment à tort que les gens tournent le dos à la tradition. Aujourd’hui, je suis fière de mes balafres. À l’époque où on me faisait cela, j’étais une petite qui ne connaissait rien de la valeur de la tradition.
Voilà pourquoi je n’en avais pas voulu. Désormais, lorsque je me déplace, je vante la valeur de notre tradition.
En voyage au Burkina-Faso, en 1996, j’ai eu quelques ennuis à l’aéroport. Grâce à mes balafres, un monsieur, que je ne connaissais pas, s’est approché de moi pour me demander si j’étais Guiziga.
Une fois que je le lui ai confirmé, il m’a aidé à résoudre mon problème. Tôt ou tard, ces rites qui tendent à disparaître reviendront. Même si ce n’est pas comme par le passé, il y aura quand même des gens qui veilleront à les préserver.
En 2000, afin de préparer l’année de la femme, je suis allée avec d’autres Camerounaises à Abidjan. Une fois là-bas, personne ne voulait plus parler de son identité. Comme je ressemblais aux Ghanéennes, du fait de mes balafres, je me suis rapprochée d’elles.
Une reine du Ghana était habillée comme mes sœurs Guiziga, c’est fou ! Elle était balafrée exactement comme dans notre tradition. Elle m’a fortement encouragée à œuvrer pour la pérennisation de cette tradition.
Comment pérenniser une telle tradition ?
La modernisation, c’est de la folie. On doit structurer notre tradition pour la transmettre aux générations futures. Des femmes tournent le dos aux balafres sous prétexte qu’elles sont émancipées. Mais c’est une fausse émancipation. Il faut qu’elles revoient tout cela.
C’est un désengagement. Je pense qu’il est important que le ministère de la Culture puisse mettre sur pied dans chaque région un comité de structuration de nos traditions. Il faut vraiment prôner cette donne. C’est dans ce sens que, dès le mois d’octobre, nous allons mettre sur pied un comité digne de ce nom qui va s’occuper de la promotion des valeurs traditionnelles et culturelles de toutes les ethnies de la région de l’Extrême-Nord. Au début, nous allons nous concentrer sur Maroua, puis nous allons descendre dans les départements. Progressivement, nous irons dans les arrondissements et les villages. Il faut faire connaître aux populations l’importance de rester lié à la tradition.