Le Bikini atomise les plages

10 Aout 2013


Haaa le bikini ! La plage, les filles, le bronzage, les essais nucléaires, la pollution radioactive… Que du bonheur ! Mais savez-vous seulement d’où vient le Bikini ?


Été 1946, les États-Unis se préparent pour la Guerre Froide. Ils veulent prouver au monde leur puissance, faire peur à l’URSS et tester l’efficacité d’une bombe nucléaire sur une flotte de guerre. L’enjeu est à la fois scientifique, politique et médiatique. Scientifiquement, il s’agit de régler certains détails, prendre des mesures après Hiroshima et Nagasaki qui, après tout, ne constituaient que les deuxième et troisième essais nucléaires américains.

Médiatiquement, il s’agit de montrer de quoi les États-Unis sont capables : c’est l’événement historique le plus filmé, diffusé sur toutes les chaînes de télévision du monde occidental et communiste. Les États-Unis lanceront une série d’essais nucléaires dans l’atoll de Bikini au large du Pacifique à partir du 1er juillet 1946.

« Le Bikini, la première bombe an-atomique ! »

Cinq jours plus tard, à Paris, Louis Réard lance sa nouvelle collection de maillots de bain à la piscine Molitor. C’est l’été, la guerre est finie, Paris et les femmes se libèrent. Le monde est prêt pour voir exploser la mode du deux-pièces sur les plages méditerranéennes. Louis Réard espère surprendre, choquer et faire mieux que son concurrent Jacques Heim en matière de nudité, en proposant un deux-pièces – culotte et soutien-gorge.

Dès 1932, Jacques Heim avait déjà lancé « l’atome » – un short et un soutien-gorge — baptisé ainsi en raison de l’infime quantité de tissu nécessaire à sa fabrication. Mais le dernier produit est plus osé, et parmi les mannequins, personne n’accepte de porter pareil accoutrement pour le défilé. On a donc recours aux services d’une danseuse de nu. Reste à lui trouver un nom, dans la veine de « l’atome ». À la faveur des informations, on finit par trouver. Evocateur et exotique, « mieux que la bombe atomique, voici la bombe an-atomique », le maillot de bain révolutionnaire s’appellera le Bikini. La bombe française est née, et l’on espère qu’elle aura autant d’effet qu’une bombe H américaine.

En attendant, ça rigole moins de l’autre côté de l’hémisphère. Dans les îles Bikini, les habitants sont sommés par l’armée américaine de quitter leur archipel et d’aller s’installer à quelques centaines de kilomètres. Un simulacre d’accord entre le chef de la communauté et les militaires est tourné comme un film et fait l’objet de plusieurs prises pour être diffusable à la télévision. De même que la scène de leur départ, avec cris de joie, et rires d’enfants. Les Bikiniens ne reverront jamais leur île.

L’opération « Cross Road » peut commencer. L’armée de l’air et la marine installent tout un dispositif de haute technologie afin de mesurer l’impact des bombes nucléaires sur la flotte de guerre, mais aussi l’air, l’eau, la végétation. Ils font venir d’Amérique et du Japon 87 navires qui serviront de cobayes, laissant à bord cochons, chiens et rats. Ils insèrent des caméras et des appareils photo dans les avions, sur des grues placées sur l’atoll à des points divers, marquent à la peinture les palmiers pour mesurer l’éventuel raz-de-marée et peignent intégralement en orange un porte-avion au centre de la flotte qui doit servir de cible. Manque de pot, le premier essai rate la cible orange et pulvérise le bateau qui comprenait la plus grande quantité de capteurs pour mesurer la radioactivité. Le souffle qui émane de la bombe « Able » dépasse les 3000 km/h. La deuxième bombe, « Baker », de même puissance, doit exploser sous la surface de l’eau, ce qui n’a jamais été testé. Son effet est dévastateur, un volume d’eau radioactif se repend à travers l’archipel, la flotte est pulvérisée, la région contaminée pour des centaines d’années.

Les télévisions américaines, en dehors des 700 caméramans engagés par l’armée, sont mandatées sur place. Mais le jour de la première explosion, le ciel couvert et l’éloignement empêchent les journalistes de couvrir l’événement comme ils le souhaitaient. Pourtant l’opération est surmédiatisée. L’opération « Cross Road » a atteint son but premier : prouver au monde la puissance des États-Unis. Pour les connaissances précises de l’impact des radiations nucléaires sur les êtres vivants et la protection de l’environnement, on repassera.

Aujourd’hui, tout le monde a oublié ce petit coin de Pacifique, contaminé pour des années et ses habitants déracinés, mais heureusement, personne n’a oublié le Bikini !



Rédactrice pour le Journal International, passionnée d'histoires et de géographie, je suis… En savoir plus sur cet auteur