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Le résultat des élections européennes de mai 2014 a joué le rôle de reflet de la montée de la germanophobie en Europe. « 140 députés europhobes font leur entrée à l’assemblée » annonçait le Parisien au lendemain des élections. En Suède, en Finlande, en Hongrie, en Espagne, en Pologne, en Autriche, en Italie, les idées europhobes font leur entrée au parlement. Au Royaume-Uni, au Danemark, en Grèce, en France, les partis eurosceptiques sont en tête. Difficile de nier que sous ces rejets de l’Europe se cachent en réalité un rejet de la politique dirigée d’une main de fer par la chancelière allemande Angela Merkel. Les mouvements survenus depuis le début de la crise n’ont été que l’indicateur de ce phénomène.
Les formes prises par la germanophobie en Europe
Entre l’Europe et la France, une fois n’est pas coutume, la perception de l’Allemagne s’incarne de manière différente. Tout d’abord, en Europe, principalement dans les pays du sud, les réactions de germanophobie sont très violentes et proviennent du peuple. Ce dernier pouvant se définir, dans ce cas, comme l’ensemble des citoyens qui ne se sentent pas représentés par les organes institutionnels. Ainsi, en Espagne, le célèbre journal El Pais – comparable au Monde en France – écrivait « Angela Merkel, comme Hitler, a déclaré la guerre au reste du continent, cette fois pour s’assurer un espace vital économique ». À Valence, des figurines de la chancelière, déguisée en Viking avec une hache à la main, sont brulées. Lors de la visite du « tyran de l’Europe » à Madrid en septembre 2012, des slogans surgissaient dans les rues, tel que « Non à une Europe allemande » ou « Merkel go home ». Au Portugal, en novembre 2012, lors de la visite de la chancelière allemande nous pouvions entendre dans les rues de Lisbonne « Le Portugal n’est pas le pays de Merkel ».
C’est cependant en Grèce que les réactions ont été les plus violentes. Le 9 octobre 2012, le paroxysme de la germanophobie est atteint avec l’utilisation de clichés faisant très clairement référence au nazisme et à l’impérialisme allemand. Le casque à pointe, la croix gammée et le drapeau nazi mêlé au drapeau allemand en train de brûler dans les rues d’Athènes. Les slogans sont tout aussi violents « Non au IV Reich » criaient des jeunes déguisés en uniforme SS le bras tendu. Ces réactions sont d’autant plus virulentes en Grèce pour différentes raisons. C’est tout d’abord le pays le plus durement touché par la crise et donc c’est la première victime des plans d’austérité. Avant 2012, le couple Merkozy pouvait sauver l’apparence d’une gestion européenne de la crise. Mais aujourd’hui, les politiques d’austérité sont entièrement mis sur le dos de l’Allemagne, à tort ou à raison. De plus, les grecs ont également toujours à l’esprit que durant la seconde guerre mondial, la répression de la résistance fut sanglante. Les troupes d’occupation ont affamé le peuple grec, provoquant la mort de 500 000 grecs alors que le pays à l’époque ne comptait que 7 millions d’habitants.
La haine de l’Allemagne à travers les déclarations politiques françaises
En France, on parle « d’affrontement démocratique ». La germanophobie s’incarne plutôt à travers des déclarations politiques émanant essentiellement des élites de gauche. La population, bien que de plus en plus méfiante, reste beaucoup plus modérée que le reste de l’Europe. Ce n’est pas le cas du gouvernement en place. En mai 2013, Libération écrivait : des membres du gouvernement et des responsables du Parti socialiste « déclarent la guerre » à l’Allemagne. Arnaud Montebourg avait déjà en 2011 - lors de la primaire socialiste - comparé Merkel au « chancelier de fer » Bismarck. En effet, il avait expliqué que « Bismarck fit le choix politique de réunifier les principautés allemandes en cherchant à dominer les pays européens, particulièrement la France. Dans une similitude frappante, la chancelière Angela Merkel cherche à régler ses problèmes intérieurs en imposant l’ordre économique et financier des conservateurs allemands à tout le reste de l’Europe ». Jean-Luc Mélenchon - président du front de gauche qui fait de la germanophobie un de ces thèmes phares - explique tout naturellement que « personne n’a envie d’être allemand ».
Certains considèrent ces personnalités comme des agitateurs politiques mais ils ne sont pas les seuls à critiquer l’Allemagne. François Hollande lui-même parle « de tension amicale » et Claude Bartolone – président de l’Assemblée nationale – surenchérissait : « François Hollande appelle cela la “tension amicale”. Pour moi, c’est de la tension tout court, et s’il le faut, de la confrontation ». Enfin, le parti socialiste écrit : « Le projet communautaire – de l’Europe - est meurtri par l’intransigeance égoïste de la chancelière Merkel qui ne songe à rien d'autre qu'à l'épargne des déposants outre-Rhin, à la balance commerciale enregistrée par Berlin et à son avenir électoral ». La droite dénonce cet excès de nationalisme mais l’UMP serait-elle amnésique.
En effet, en 2007, au cœur de la campagne présidentielle Nicolas Sarkozy déclarait « La France n'a jamais cédé à la tentation totalitaire. Elle n'a jamais exterminé un peuple. Elle n'a pas inventé la solution finale, elle n'a pas commis de crime contre l'humanité, ni de génocide ». Difficile dans cette situation de critiquer la germanophobie de la gauche française.
Les explications du développement de la germanophobie
Georges Valence apporte quelques éléments de réponse dans son livre «Petite histoire de la germanophobie». La peur de l’ennemi héréditaire est toujours présente dans les esprits. Konrad Adenauer avait déjà lancé un avertissement à la fin de sa vie en disant «Dès que Berlin redeviendra capitale – donc lors de la réunification de l’Allemagne à la chute du mur de Berlin - cela réveillera la méfiance de l’étranger». En effet, l’Allemagne a aujourd’hui retrouvé toute sa puissance et les rapports de force ont changé. La puissance industrielle et démographique du pays écrase la France. Et du fait de cette hégémonie, la France frustrée, perd du terrain sur la scène européenne.
Après cet argument historique, un deuxième facteur, qui occupe une place plus prépondérante, semble être à l’origine de la germanophobie. C’est la gestion de crise brutale d’Angela Merkel. Cette gestion est jugée comme égoïste et dure avec les peuples européens surendettés. Le sentiment de supériorité affiché parfois par la classe politique allemande agacent les européens qui ne se privent pas de ricaner face aux quelques revers de l’Allemagne. Nous sommes actuellement dans la guerre de tous contre tous. Alors certes, la chancelière peut imposer sa vision des choses car seul Berlin a vraiment les moyens financiers de venir au secours des États en faillite. Mais son arrogance, doublé de son ton paternaliste irrite autant que sa personnalité de donneuse de leçon.
L’intellectuel Jean-Louis Boulanges, ancien député européen, explique d’ailleurs que Merkel rappelle que les hommes sont sur terre pour souffrir. Si les grecs doivent payer cher les taux d’intérêt de leur dette et se priver pour cela, c’est qu’ils ont péchés. L’Allemagne doit rester prudente car l’excès de moralisme dans les relations internationales est toujours dangereux. Il a failli emporter cette fois-ci l’euro et l’Europe. Quelques allemands partagent cette vision. C’est le cas du sociologue Ulrich Beck qui voit dans la tendance de l’Allemagne d’imposer un modèle de gestion économique, le sien, qui serait l’unique voie possible, comme une forme de nationalisme. Il explique que : « On pourrait résumer cette nouvelle identité dans la formule : nous ne sommes pas les maîtres de l’Europe mais nous en sommes les mentors. Ce nationalisme du nous-sommes-redevenus-importants-et-savons-de-quoi-il-retourne est enraciné dans ce qu’on peut appeler “l’universalisme allemand ».
La théorie du complot d’Emmanuel Todd
Emmanuel Todd, historien, démographe et politologue français, régulièrement invité sur les plateaux de télévisions, s’est posé des questions sur les véritables intentions de l’Allemagne. Il voit même dans l’Allemagne notre ennemi public numéro 1 et explique que « La montée en puissance économique de l'Allemagne est quelque chose de non voulu, d'accidentel - un effet d'histoire économique ». Il dénonce un système hiérarchisé avec les parias du sud que nous méprisons, la France en brillant second et l’Allemagne comme puissance hégémonique centrale dominant les autres pays. En effet, il dit que nous n’avons pas compris que l'Allemagne est dans une stratégie nationale de prise de contrôle de l'Europe et d'isolement de la France.
Il prend l’exemple du Mali en disant quand la France essaye de faire quelque chose dans son espace naturel d'influence - la Méditerranée et l'Afrique - l'Allemagne essaie de nous mettre des bâtons dans les roues. Sur le Mali, en induisant des attitudes négatives, sans doute en empêchant d'autres pays de venir nous aider. C'est un cas typique de tentative d'isolement de la France par l'Allemagne. Car il y a une stratégie allemande pour isoler la France dans son espace européen.
Dans sa réflexion, il se pose ensuite la question suivante : alors que l’Allemagne contrôle l’Europe pourquoi impose-t-elle des politiques restrictives alors que son intérêt même est de faire en sorte que ces voisins consomment davantage car l’Allemagne est le 2ème exportateur mondial. Soit c’est une logique purement irrationnelle, une forme de masochisme, une mentalité d’auto discipline et d’auto punition, soit le but est d’éliminer la concurrence intra européenne. Car si l’Allemagne veut dominer l’Europe c’est ce qu’elle ferait. En effet, l’industrie française, par exemple, est encore plus impactée par cette baisse de la consommation car elle est beaucoup moins exportatrice. Et donc dans quelques années les grandes industries françaises, italiennes, espagnoles … auront disparu et le terrain sera dégager pour les industriels allemands. Nous pouvons retrouver ici, encore une fois, le processus d’isolement de la France par l’Allemagne.
Le futur de la relation franco-allemande
L’avenir semble très sombre pour les relations franco-allemandes. En effet, outre-Rhin, la France est vue comme un pays en déclin, qui fait partie de la liste des pays malades et immobiles, soucieux de cacher ses faiblesses comme l’écrit le journal allemand Der Spiegel. Frankfurter Rundschau parle de la France comme de « La grande nation toute petite », allusion au contraste entre la volonté de jouer dans la cour des grands et une réalité économique traduisant l'affaiblissement du pays. De plus, les médias allemands s’agacent de plus en plus des positions de la France. « Le parti socialiste au pouvoir en France a fait une découverte formidable : l'Allemagne est coupable de tout », se moquait par exemple le quotidien économique Handelsblatt. Le risque de rupture est grand ! Ainsi, seulement 18 % des allemands considèrent aujourd'hui la France comme un « partenaire privilégié », alors qu'ils étaient 41 % en 2005. En Allemagne nous ne parlons pas de couple franco-allemand. Pire encore, Peter Sloterdijk évoque ainsi une « défascination réciproque », assurant qu’il existe une indifférence culturelle et sociétale grandissante entre les deux peuples.
Pour apaiser ces tensions, plusieurs conditions doivent être réunies. Il faut une volonté politique forte sur le modèle de De Gaulle et Adenauer. De plus, la France doit retrouver sa place au sein de l’UE. Enfin, l’Allemagne ne doit pas faire cavalière seul au risque d’attirer la haine. Pascal Perrineau relevait en effet que « les stéréotypes ne sont qu'assoupis, ils peuvent se réveiller dans un contexte où l'Allemagne est accusée de ne pas jouer collectif en Europe, d'être trop rigide, où on la soupçonne d'avoir des visées impérialistes… comme lors des trois guerres contre la France! » Cependant comme nous l’avons vu, les deux pays ne semblent pas en mesure d’adopter une politique économique commune. Or aujourd’hui les relations entre les pays sont imprégnées d’économie. Le projet européen est en danger et personne ne semble rien pouvoir y faire. Sans parler de haine, la rupture entre les 2 pays semble inévitable et surtout une condition nécessaire au retour de la croissance en France.