La guerre, prix à payer pour le développement de l’Éthiopie ?

Myriam Amarray
25 Juin 2013


L’Éthiopie a entrepris la construction d’un immense barrage sur le Nil bleu depuis avril 2011. Situé en amont du Nil, le projet « Renaissance » a généré un regain de tensions avec l’Égypte, qui craint pour ses ressources en eau. Pourtant le barrage pourrait bénéficier à plusieurs pays, améliorant leur accès à l’électricité, encore rare sur le continent.


Crédit Photo -- AFP
Surnommée le « don du Nil » par Hérodote, l’Égypte voit aujourd’hui ses ressources en eau menacées par la construction d’un immense barrage sur le Nil Bleu par l’Éthiopie. Entamée depuis avril 2011, la construction du barrage « Renaissance » suit son cours et devrait s’achever en 2017.
 
Le Président égyptien, Mohamed Morsi, est farouchement opposé à cette construction et multiplie les menaces à l’égard d’Addis Abeba. La dernière en date remonte à mardi 10 juin, lorsque ce Frère Musulman a déclaré : « Nous ne pouvons rien laisser passer qui puisse avoir un impact sur une goutte d'eau du Nil. » Cette construction crée l’inquiétude, car l’approvisionnement en eau des quelque 84 millions d’Égyptiens dépend à près de 90% des ressources du Nil.
 

Egypte vs Ethiopie : vers une guerre pour l’eau ?

Ce regain de tension a lieu dans un contexte de stress hydrique accru, mais aussi de changements politiques avec l’avènement des Frères Musulmans au pouvoir en Égypte. M. Morsi et ses compatriotes se montrent bien plus agressifs que leur prédécesseur, H. Moubarak, sur ce dossier.
 
Le projet « Renaissance » va à l’encontre des droits acquis par l’Égypte durant la période coloniale. L’administration anglo-égyptienne avait alors conclu un accord avec le Soudan en 1929 (amendé en 1959), établissant un partage des eaux du fleuve taillant la part du lion à l’Égypte (55,5 milliards de m3) et au Soudan (18,5 mds), soit 87% du débit. Cerise sur le gâteau, l’Égypte disposait jusqu’ici d’un droit de véto sur toutes les constructions en amont du fleuve. Pourtant, plusieurs des onze États traversés par le Nil veulent aujourd’hui avoir leur mot à dire sur le partage de l’or bleu. Après environ dix ans de négociations, l’Éthiopie, l’Ouganda, la Tanzanie et le Rwanda sont parvenus à un accord à Entebbe (Ouganda) le 14 mai 2010. Les signataires ont ensuite été rejoints par le Kenya et le Burundi en 2011, permettant l’entrée en vigueur du traité. Soucieux de protéger leurs intérêts nationaux, le Soudan et l’Égypte ont boycotté l’accord. Il s’agit bien de mettre un terme à la domination de l’Égypte sur les ressources du Nil, et particulièrement à son droit de véto jugé illégitime.
 
Bien qu’ayant affirmé que son pays ne voulait pas la guerre, le président M. Morsi est resté silencieux face aux propositions de bombardements aériens ou du soutien aux rebelles éthiopiens émises par des responsables égyptiens filmés à leur insu. Il n’a donc pas officiellement écarté ces possibilités. Rappelons que dans les années 1970, le Président égyptien, Anouar Al-Sadate, avait menacé l’Éthiopie de bombardement, face à ses projets de construction d’un barrage. 

« Renaissance » : La plus grande centrale hydroélectrique d’Afrique

Le barrage de la Renaissance devrait devenir la plus grande centrale hydroélectrique en Afrique, et la deuxième plus importante au monde après le barrage des Trois Gorges en Chine.
 
Forte de ses 90 millions d’habitants, l’Éthiopie espère ainsi s’ériger en « puissance continentale » en matière de production d’électricité  souligne Didier Grébert, directeur de l’Agence française de Développement. L’Éthiopie, aussi surnommée « château d’eau de l’Afrique », a jusqu’à présent très peu profité de sa position stratégique en amont du Nil. Alors que l’Égypte a déjà construit le célèbre barrage d’Assouan, et le Soudan celui du Djebel Aulia, la construction de Renaissance devrait, d’après les estimations, diminuer le débit du fleuve en aval de 10 à 20%. Pourtant, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères éthiopien, Dina Mufti, a souligné sur RFI que son pays aurait toujours envisagé un « investissement gagnant/gagnant ».
 
La centrale hydroélectrique éthiopienne produira jusqu’à 6 000 mégawatts d’électricité, et projette d’augmenter sa puissance jusqu’à 10 000 mégawatts d’ici 2018. Au-delà de la satisfaction de ses besoins intérieurs en énergie, le pays projette d’exporter cette électricité dans d’autres pays d’Afrique, ce qui permettrait un développement régional. Rappelons que la moitié de la population du continent africain n’a pas accès à l’électricité de manière régulière. 

L’Éthiopie suit la voie de l’énergie verte

L’Éthiopie a connu un développement fulgurant depuis 2004, avec des taux de croissance supérieurs à 10% jusqu’à 2010. Le gouvernement cherche donc à favoriser cette expansion en améliorant l’offre d’énergie pour sa population. Lâché par la communauté internationale du fait du manque de considérations environnementales, le pays autofinance ce gigantesque projet via des « diaspora-bond » (équivalent de bons du trésor) achetés par les Éthiopiens eux-mêmes.
 
Malgré l’opposition du Caire, Addis Abeba poursuit la construction. Pourtant ce n’est pas le premier édifice de cette ampleur pour le pays. L’Éthiopie abrite aussi le plus grand parc éolien de toute l’Afrique avec 87 installations sur le plateau du Tigray. Selon Romain Pélissier, directeur du site d’Ashegoda en question, il existe un équilibre optimal pour les énergies vertes dans cette région : durant la saison des pluies, l’hydroélectricité est privilégiée, et en saison sèche le vent souffle fort et permet de rentabiliser le parc éolien.
 
L’énergie verte est de plus en plus envisagée comme une solution au développement du continent africain. Le Maroc a déjà entrepris l’exploitation de l’énergie solaire et envisage de pouvoir l’exporter dans des pays européens d’ici 2025. Les pays africains pourraient donc devenir de futures puissances énergétiques, s’ils ne s’entretuent pas pour défendre leurs intérêts nationaux.