La guerre culturelle : d’un combat à l’autre

Antonin Lacelle-Webster Blog sur la politique internationale
9 Mai 2013


Que sont les États-Unis ? C’est la question à laquelle plusieurs figures de proue de la droite américaine tels Ted Cruz, Rand Paul, Bill O’Reilly, Rush Limbaugh, Ann Coutler, Sarah Palin ou Jim DeMint et des organisations comme le Heritage Foundation et le National Rifle Association, tentent de répondre.


A supporter of gay marriage holds a sign in front of the Supreme Court in Washington March 27, 2013. (Joshua Roberts/Reuters)
« It is a cultural war, as critical to the kind of nation we shall be as the Cold War itself. For this war is for the soul of America. » Pat Buchanan

Leur argument est simple : les États-Unis sont en perdition et cette perdition est due aux valeurs et normes progressistes qui diluent les traditions. La dualité « blue state » et « red state » s’installe donc dans l’imaginaire populaire et les leaders politiques et les médias en font ce que certains appellent une guerre culturelle.

Des thèmes comme l’avortement, le mariage homosexuel ou la discrimination positive sont des questions qui, à droite comme à gauche, mobilisent une partie de la population. Cependant, lorsque l’on sort de l’arène politique et que ces enjeux se trouvent devant les tribunaux, la droite sociale qualifie rapidement d’activisme judiciaire certaines décisions qui vont à l’encontre de ce qu’elle croit juste. Cela s’est vu notamment lors de la légalisation du mariage homosexuel en Iowa, où le républicain Steve King a accusé les juges de la Cour Suprême d’Iowa de poursuivre un agenda homosexuel ; l’utilisation que Ronald Reagan fit du jugement Roe v. Wade sur la légalisation de l’avortement comme illustrant le libéralisme de la Cour Suprême lors de sa campagne électorale ou bien même le Southern Manifesto suivant la décision de la Cour Suprême des États-Unis dans l’affaire Brown v. Bord of Education, qui appelait à une résistance au chaos suivant la déségrégation des écoles.

Depuis les derniers mois, une bataille que la droite sociale américaine a longtemps porté haut et fort semble pourtant lui échapper. Alors que la France se déchire autour du mariage homosexuel, aux États-Unis, cette question se trouve derrière les murs de la Cour Suprême.

DOMA et Prop 8

Le mariage entre conjoints de même sexe crée l’ire chez les figures de proue de la guerre culturelle depuis plusieurs années. Cependant, depuis quelque temps, le monde politique américain, et particulièrement les démocrates, démontre une ouverture inédite envers la communauté homosexuelle. L’abandon du fameux Don’t Ask Don’t Tell, l’appui officiel du Président Obama au mariage entre conjoints de même sexe, l’appui presque unanime des sénateurs démocrates et de deux républicains, et l’appui populaire grandissant (ici et ici) en sont des indicateurs. C’est dans cette conjoncture que la Cour Suprême entend deux cas, soit une contestation de la Proposition 8, le résultat d’un référendum en Californie en 2008 qui vient stipuler dans la Constitution de l’État que le mariage est entre un homme et une femme, et le Defense of the Marriage Act (DOMA), une loi qui reconnaît le mariage comme l’union entre un homme et une femme pour l’usage de l’administration fédérale. Le jugement ne sera rendu qu’à la fin juin, mais déjà Rush Limbaugh concède que le combat contre le mariage homosexuel est terminé et que sa légalisation est inévitable. Le juge en chef de la Cour Suprême, John Roberts, a également laissé échapper durant les audiences que les figures politiques se bousculaient pour endosser la cause. Le changement est frappant.

Gay-Marriage-1

Toutefois, même si un certain momentum au niveau national est apparent, plusieurs États demeurent toujours très hostiles à cette idée. Certains parallèles peuvent être faits notamment avec le mouvement des droits civiques et le mariage interracial où un engouement au niveau national ne s’était pas nécessairement traduit par une amélioration de la situation locale dans certains États. Les propos de plusieurs républicains restent encore teintés de préjugés de toute sorte, et le fossé entre « blue states » et « red states » sur cette question est toujours manifeste. Il faudra attendre de voir si dans son jugement, la Cour Suprême étendra au niveau national le droit aux couples homosexuels de se marier, comme elle l’a fait en 1967 pour les mariages interraciaux dans l’affaire Loving v. Virginia. Toutefois, si le passé est garant de l’avenir, un jugement qui légaliserait le mariage entre conjoints de même sexe et qui ferait des États-Unis le 14e pays suite à l’Uruguay et la Nouvelle-Zélande à y arriver, pourrait attiser des contestations chez la droite américaine tout comme le débat sur l’avortement qui perdure malgré l’arrêt Roe v. Wade de 1973.

Prochaines batailles

An anti-abortion demonstrator in Washington, D.C. Chip Somodevilla/Getty Image
Les prochains combats de cette guerre culturelle se préparent déjà. Dans le cas de l’avortement, la mouvance conservatrice a toujours des comptes à régler avec le plus haut tribunal du pays. Dans une claire tentative de ramener la question de l’avortement à la Cour Suprême, le Dakota du Nord y est allé avec la loi la plus restrictive en matière d’avortement qui empêcherait la plupart d’avoir lieu après 6 semaines de grossesse ou dès qu’un battement de cœur est perceptible. La volonté derrière ce geste est claire : remettre en question Roe v. Wade. Le débat sur l’avortement continue d’être un sujet sensible, malgré la décision du plus haut tribunal du pays.

Une prochaine offensive dans la tentative de préserver les valeurs traditionnelles par certains conservateurs est la religion. Un projet de loi en Caroline du Nord veut imposer une religion officielle à l’État. Les partisans de cette proposition affirment que les États sont souverains et que les cours ne peuvent empêcher ces derniers de faire des lois qui reconnaissant une seule religion. Cette idée, si elle est adoptée, va directement à l’encontre de la Constitution américaine et de son Premier amendement.

« Times can blind us to certain truths, and later generations can see that laws once thought necessary and proper in fact serve only to oppress. ». Ces mots sont ceux du juge Anthony Kennedy en 2003, lors du jugement Lawrence v. Texas. Chaque génération à ses propres débats, interrogations et contradictions et une partie de la population, en invoquant la protection des valeurs traditionnelles américaines, continuera de défendre certaines lois oppressantes au nom d’une moralité qu’elle considère en danger.