La dystopie : réalité ou fiction ?

Nieves Meijde, traduit par Joséphine Coqblin
22 Septembre 2013


Nous ne rêvons déjà plus de lieux utopiques, nous idéalisons moins la réalité. Ce ne sont plus les utopies qui agitent la littérature, le cinéma ni même nos perspectives de vie, mais bien au contraire : la dystopie, la catastrophe qui naît quand l’individu disparaît. Pourquoi notre paradigme social est-il si sombre ?


Photo extraite du film 1984

Au XVIe siècle, Thomas More a créé le terme utopie en référence aux États et sociétés idéaux qui n’existent pas et dont l’existence est inconcevable bien que très attirante. Quelques siècles plus tard, le terme utopie a été remplacé par son antipode : la dystopie. Étymologiquement, ce terme signifie lieu néfaste contrairement à son prédécesseur, lieu inexistant. Les œuvres dystopiques ne sont autres que des satires qui dénoncent le mauvais devenir de la société. Leur objectif est d’attirer l’attention sur le danger du totalitarisme politique, du contrôle social, du consumérisme et de la manipulation.

Elles cherchent avant tout à prévenir le manque de réflexion de la masse sociale découlant d’une éducation basée sur la suppression de l’individualité. En outre, ces sociétés malades se cachent derrière l’image de lieux idéaux, d’organisations utopiques, de sociétés ordonnées et fonctionnelles. Alors que si l’on y regarde de plus près, c’est la dystopie qui existe derrière cette image qui est marquante : le manque de droit et l’anti éthique sociale.

LITTÉRATURE ET DYSTOPIES

Au début du XXe siècle, l’idéalisation de l’utopie a commencé à être perturbée. Les premiers détracteurs se sont manifestés, convaincus que cette croyance immodérée visant à atteindre le paradis sur Terre n’avait recours qu’à des outils qui annihileraient la liberté des Hommes. Des romans tels que 1984 de George Orwell ou Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley ont été publiés suite à ce nouveau courant de la dystopie qui prétendait répandre la panique quant aux nouveaux changements qui s’opéraient dans le monde. Ces romans sont principalement dirigés contre l’autoritarisme qui mènerait l’humanité à sa déperdition.

En 1932, Le meilleur des mondes a été le premier à être publié. Il nous présente un monde proche de la perfection dans lequel toutes les nécessités et besoins sont satisfaits de manière artificielle. Le système dispense à tous de la nourriture, du travail, un physique avantageux, du sexe, et même des pilules pour le bonheur. La seule chose qu’elle n’octroie pas, limite de l’imperfection, est la liberté : personne ne sort du rang. Cette transfiguration du monde idéal comme le pire des enfers est la préoccupation qui a stimulé les intellectuels de l’époque. Le penseur russe Nicolas Berdiaev exprimait de même son inquiétude : « La vie s’achemine vers les utopies. Et peut-être qu’un nouveau siècle arrive où les intellectuels et la classe cultivée chercheront des moyens d’éviter les utopies et de retourner vers une société non utopique, moins parfaite mais plus libre ».

Par la suite, c’est le roman d’Orwell qui a été publié, écrit deux ans seulement après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce roman lutte également contre les systèmes totalitaires incarnés dans ce cas par Big Brother. Il met surtout l’accent sur la manipulation que ces États peuvent exercer sur les Hommes grâce au contrôle permanent qui émane d’une éducation tournée vers celui-ci. Réécrire l’Histoire, propagande, amour du leader. En résumé, convaincre le citoyen que son mode de vie est idéal bien qu’il ne jouisse pas du privilège du bien-être, contrairement au Meilleur des mondes. Le slogan du parti est « la guerre, c’est la paix ; la liberté, c’est l’esclavage ; l’ignorance, c’est la force ». C’est à l’origine de ce roman qu’a surgi le terme société orwellienne, lequel fait référence au parallélisme entre la société actuelle et celle de 1984.

CINÉMA ET DYSTOPIES

Le courant dystopique est peut-être plus répandu au cinéma, même s’il s’agit souvent d’adaptations de romans de ce même genre. La liste des titres est interminable : 1984, Le meilleur des mondes, Fahrenheit 451, Orange mécanique, L’Armée des douze singes, Blade runner, V pour Vendetta, Bienvenue à Gattaca, Equilibrium, Matrix, etc. sont autant de films qui présentent un futur pervers, fruit du pouvoir totalitaire d’une minorité sur les autres, et une tentative jamais aboutie d’en finir avec le système établi afin de libérer l’humanité de l’emprise dont elle est victime sans le savoir.

Matrix reste peut-être le film le plus connu dans ce registre. La technocratie domine, les machines ont gagné le pouvoir sur les humains, soumis aux nécessités de la technocratie. Les réalisateurs, les frères Wachowski, nous adressent à travers ce long métrage un avertissement peu subtil : faites attention aux machines, prenez garde aux technologies, sinon elles pourraient en finir avec vos cerveaux. L’engouement pour le développement technologique que nous sommes en train de vivre réveille autant de passions que de scepticismes. Beaucoup craignent les conséquences qu’il peut entraîner.

Bienvenue à Gattaca et Equilibrium sont également des films où les technologies jouent un rôle important, bien que cette fois elles soient contrôlées par les humains, ceux qui voient plus loin que leurs créations. Dans Bienvenue à Gattaca, on parie sur la conception génétique comme source de contrôle et d’organisation. Equilibrium est une version moderne de 1984 ou du Meilleur des mondes. Père plutôt que Big Brother, uniformes, caméras partout et une drogue qui efface les sentiments humains. Et bien sûr, l’absence et condamnation de tout type d’arts puisqu’ils sont considérés responsables des émotions et suscitent la liberté humaine. Un monde à son tour établi comme une utopie, un lieu idéal et tranquille où chacun remplit sa fonction et où altercations comme préjudices sont inexistants. Ne manque que la liberté qui est sacrifiée au nom de la paix.


DYSTOPIE ET ACTUALITÉ

Il est d’autant moins étonnant que les histoires de dystopies sociales se soient multipliées au cours du siècle passé. Il semble que dans le monde d’aujourd’hui, on ait cessé de rêver d’utopie et que l’on se conforme désormais à imaginer l’enchaînement des événements qui coloniseront nos vies. Contrôle, manipulation, totalitarisme, machines, perte de l’individualité aux dépens de la masse. Ces expressions n’existent pour l’instant que dans les romans et les films.

L’Allemagne nazie a chuté, il en est de même pour l’Union Soviétique et en Occident, règne la paix. Nous vivons dans le confort et nos besoins primaires comme secondaires sont assouvis. Nous ne semblons pas enclins à la chute vers un système totalitaire. Peut-être nous complaisons-nous dans la souffrance d’une fiction morbide. Toutefois, l’avenir est synonyme du présent, la science fiction n’existe pas seulement dans nos téléviseurs mais aussi dans nos maisons. La technologie est allée plus loin que ce que l’on pensait possible. Notre consommation est exorbitante. La planète est mise à rudes épreuves. Et beaucoup se demandent si les dystopies n’entreraient pas dans nos vies sans même que l’on ne s’en rende compte.