La démocraSuisse: une leçon de démocratie directe

DANS LES ARCANES DE LA DIPLOMATIE

18 Octobre 2013


Cette semaine Le Journal International et la Society for International Affairs (SoFIA) de Trinity College Dublin vous présentent l’interview de Son Excellence Beat Loeliger, ambassadeur de Suisse en Irlande.


Beat Loeliger | Crédits Photo -- Emma Shalvey
Successivement diplomate au Brésil, en Autriche, en Australie et au Portugal, Mr Loeliger revient du Pérou où il vient de servir comme Ambassadeur de Suisse pendant presque 10 ans. Fort d’un CV international, c’est en simple citoyen suisse qu’il se confie au Journal International, aujourd’hui, pour nous donner une belle leçon de démocratie directe.




Le Journal International : Monsieur l’Ambassadeur, qu’est-ce que la démocratie directe ?

Beat Loeliger : On parle de démocratie directe lorsque le peuple participe pleinement à la vie politique de son pays. En Suisse, tout le monde décide de la manière dont l’état, les cantons mais aussi les communautés doivent être organisées. C’est le principe de la démocratie grecque où les citoyens sont rassemblés sur l’agora pour décider des affaires publiques. En Suisse, nous n’avons pas d’agora mais nous avons les landsgemeinde (encore en usage dans les cantons d’Appenzell Rhodes-Intérieur et de Glaris, NdlR), une assemblée publique où les décisions locales sont prises à main levée. Les Suisses votent en moyenne 4 fois par an sur des sujets traitant de leur communauté, du canton ou de l’état. Ils peuvent se prononcer sur la construction d’une école dans la communauté ou de la politique énergétique de la Confédération. Tous les 4 ans, nous élisons également les 246 membres de l’assemblée fédérale qui se compose de deux chambres : la chambre des représentants qui représente le peuple et le sénat qui représente les cantons.

JI : Quelles différences avec les systèmes mis en place dans les autres démocraties ?

BL : L’Assemblée Fédérale passe les lois et élit le gouvernement, c’est une caractéristique des gouvernements démocratiques qui ne change pas. En revanche, les citoyens suisses peuvent contester une loi passée par le parlement. En lançant une pétition pour récolter 50.000 signatures en 100 jours, la loi doit être soumise au référendum national. De la même manière, l’Initiative Populaire est un droit qui permet aux citoyens suisses de modifier la constitution. 100.000 signatures doivent être rassemblées en 18 mois afin qu’une consultation populaire soit organisée. 

JI : Quels sont les avantages d’un tel système ?

BL : Cette méthode donne au peuple de nombreux pouvoirs en terme de prise de décisions. Cela présuppose évidemment que le gouvernement accepte de déléguer des pouvoirs. Les citoyens sont également consultés plusieurs fois par an sur des questions tant nationales que locales. Il faut se souvenir que les Suisses forment une Confédération de 26 cantons. Nous aimons avoir notre destin en main. Nous n’avons été dirigés qu’une seule fois et ce fut sous Napoléon. Il prenait toutes les décisions et ce furent quatre années de tyrannie. Un enfer pour les Suisses !

JI : Des inconvénients à ce système?

BL : L’inconvénient principal c’est le temps de décision. Tout est ralenti. Un tel système exige aussi énormément d’action politique et administrative et il est souvent difficile de savoir qui est vraiment responsable de la décision à la fin du processus. Pour un étranger, un autre problème peut se poser : le résultat de l’initiative populaire ou d’un référendum peut entrer en conflit avec la Constitution (ce fut notamment le cas lors du vote sur l’interdiction de construire des minarets ou la décision d’expulser les criminels étrangers, NdlR). Toutefois, ce système permet de respecter la volonté du peuple et c’est à l’Assemblée Fédérale de filtrer et d’adapter les lois selon les décisions prises par le peuple.

JI : Pétition, Initiative Populaire, Référendum…de multiples moyens d’expression politique. Ne sont-ils pas trop nombreux ?

BL : Voulez-vous dire par là que les Suisses ont accès à trop de démocratie ? Je vous dirai alors de courir plus vite et de vous entraîner davantage parce qu’en Suisse nous sommes solides ! Nous avons l’habitude de la démocratie directe. Cela fait maintenant un peu plus d’un siècle que nous avons adopté ce système et il nous convient parfaitement. Avec le fédéralisme et la neutralité, la démocratie directe est l’un des fondements de la nation Suisse. 

JI : Comme toutes les démocraties, la Suisse fait quand même face à un fort taux d’abstention (deux électeurs sur 5 ne votent pas en moyenne). Comment concilier démocratie directe et abstention ?

BL : Certains cantons (c’est le cas du canton de Schaffausen, NdlR) ont conservé le principe du vote obligatoire. Si vous ne voulez pas voter dans ce canton, il vous suffit de payer une amende. Cependant, en général, les gens vont voter du fait de la diversité des questions à intérêt local et national, et ce 4 fois par an. Comme je l’ai déjà dit plus haut, nous sommes endurants quand il s’agit de voter ! 

JI : Quelles seraient selon vous les limites à la démocratie directe ?

BL : La complexité des sujets est la première limite. Des sujets financiers, internationaux ou relatifs à des évènements extérieurs mobilisent moins les électeurs que les sujets nationaux. C’est alors aux hommes politiques de faire leur travail et de mobiliser les électeurs. L’art politique repose sur la manière d’informer, de discuter, de créer le débat pour créer de l’intérêt. Il s’agit de démystifier un fait complexe pour qu’il soit compris par le plus grand nombre tout en présentant de la manière la plus honnête les arguments pour et contre une décision. Les électeurs ne sont pas crédules et savent penser pour eux-mêmes.
La deuxième limite concerne le nombre de sujets à traiter. Il y a de plus en plus d’initiatives populaires et les autorités commencent à se poser des questions d’ordre logistique. Comment gérer ces votes ? La mondialisation complexifie le processus car de nombreux Suisses vivent aujourd’hui à l’étranger. Le vote en ligne est une des solutions. 

JI : La démocratie directe peut-elle être une manière de créer un consensus dans des sociétés très divisées (zones post-conflit, pays divisés politiquement) ?

BL : Je ne le pense pas. La démocratie directe implique l’échange d’arguments parfois très différents. En Suisse, le débat peut se faire et les opinions divergeaient, néanmoins en fin de compte nous sommes tous Suisses. Cela n’est pas forcément le cas dans les sociétés divisées. Nous, Suisses, sommes certes divisés entre 26 cantons, parlons 4 langues mais nous sommes tous unis dans notre identité nationale. Enfin parce que les questions posées au peuple varient, la balance majorité-minorité varie également et un citoyen mis en minorité sur une décision sera probablement majoritaire sur une autre.



Amoureux des langues et cultures étrangères, je conjugue mes rêves en anglais, sur l’île… En savoir plus sur cet auteur