Crédit Karl Burke
Il est remarquable que, mis à part quelques dérapages et prises de position fortes contre le mariage gay pour des raisons principalement religieuses, le référendum n’ait pas engendré de tensions ni de véritables fractures au sein de la société irlandaise. Le risque était pourtant réel puisque les pro-mariages gays et les anti-mariages gays devaient avoir un temps de parole égal, en particulier dans les médias.
Le seul scandale qui ait pris un peu d’ampleur fut celui des pin's. Car si la majorité des députés s’étaient exprimés en faveur du mariage gay, plusieurs d’entre eux se virent demandés de retirer leur pin's de soutien au mariage gay au sein de l’enceinte du Parlement et à la télévision, enclenchant ainsi une petite polémique qui se révéla sans suite.
Bien sûr, le placardage des villes irlandaises de propagande anti-mariage gay ne fut pas sans conséquence : Patrick Prendergast, le Provost de Trinity College Dublin, se déclara même choqué de la présence de telles affiches devant son université, craignant des effets psychologiques sur les étudiants. D’ailleurs, alors que la période des examens s’ouvre prochainement en Irlande, les universités ont dû se préparer au scénario d’un rejet du mariage gay, en mettant en place des cellules d’écoute pour les étudiants qui auraient pu, dans ce cas, se trouver en situation de souffrance.
Mais le résultat du référendum, qui fait de l’Irlande le vingt-et-unième pays à légaliser le mariage homosexuel, jette un voile sur ce qui aurait pu devenir un scénario catastrophe pour les défenseurs des droits des homosexuels. Et s’il est peu probable que cette évolution ait des conséquences à court terme sur la situation en Irlande du Nord, où l’Assemblée a rejeté l’ouverture du mariage aux couples de même sexe en 2013, le résultat du référendum fait de l’île d’émeraude une nouvelle terre arc-en-ciel.
Une issue jouée d'avance ?
En 2013, Jerry Buttimer, député de Cork et membre du Fine Gael - parti du gouvernement - affirmait déjà que pour lui, les Irlandais étaient prêts. Il était persuadé que ces derniers étaient majoritairement en faveur du mariage des personnes de même sexe, et que la question ne provoquerait pas de mouvements de contestation, comme en France. Cela pouvait sembler surprenant puisque l’Irlande demeure un pays conservateur où 88,4 % de la population se déclare catholique. Malgré cela, tous les députés étaient déjà unanimes.
Mary Lou MacDonald, vice-présidente de Sinn Féin, condamnait ainsi la rhétorique homophobe de certains leaders d’opinion, et se prononçait en faveur du mariage gay. Michelle Muherin de Fine Gael affirmait qu’il était temps de poser la question du mariage gay aux Irlandais. Et même Sean O'Fearghail, membre du Fianna Fail, le principal parti d’opposition, rappelait qu’en 2010, la mise en place d’un équivalent du PACS entre personnes de même sexe n’avait pas soulevé de débat, et qu’il en serait de même lorsque la question du mariage homosexuel se poserait.
Et celle-ci devait se poser sous la forme d’un référendum, car la notion de mariage est inscrite au cœur de la constitution irlandaise. En Irlande, toute réforme constitutionnelle doit être ratifiée directement par le peuple : il était donc question d’un tel référendum depuis 2013, lorsque la Convention constitutionnelle avait émis une recommandation en faveur de son organisation.
Le deuxième référendum, une question oubliée
Mais le référendum d’aujourd’hui posait également une autre question aux citoyens irlandais : celle de l’âge minimum pour pouvoir se présenter à la présidence de la République d’Irlande. Aujourd’hui, il faut avoir minimum 35 ans pour prétendre à la présidence et à 73,06%, les Irlandais se sont prononcés contre l’abaissement de cet âge à 21 ans.
La question de l’âge minimum pour présenter sa candidature aux élections n’a pas suscité les mêmes passions que celle de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe. La proposition d’amendement de l’article 12 de la Constitution se voulait un signal envoyé à la jeunesse. Cependant, en Irlande, la présidence reste une étape de fin de carrière, comme en témoigne l’âge de Michael D. Higgins : il avait 70 ans lors de son élection comme chef de l’exécutif irlandais.
Ce résultat porte indéniablement un coup à la coalition gouvernementale dirigée par le Premier ministre Enda Kenny. Mais celui-ci préférera sans doute mettre en avant ses deux victoires de la journée : la légalisation du mariage homosexuel et de manière plus annexe, la victoire du Fianna Fail avec 62,07% à l’élection partielle du comté Carlow-Kilkenny provoquée par la démission de Fine Gael présentée par le député Phil Hogan, devenu en novembre dernier le nouveau Commissaire européen de l'Agriculture et du développement rural.