L’Irlande, nouvelle terre arc-en-ciel ?

6 Mars 2014


Dans le pays qui se prétend plus catholique que le Vatican et où Oscar Wilde a été emprisonné pour son homosexualité, la question du mariage homosexuel n’est plus taboue. Entre ouverture et crispation, l’Irlande serait-elle devenue gay friendly ?


DR
Le week-end du 13 avril 2013, la Convention constitutionnelle irlandaise se réunissait et votait en faveur d’une modification de la Constitution permettant d’ouvrir le mariage aux homosexuels. Toutefois, selon l’article 46 de la Constitution irlandaise (la Bunreacht na hÉireann), les modifications constitutionnelles ne peuvent être effectuées que par référendum. Le gouvernement d’Enda Kenny a donc logiquement annoncé en novembre 2013 que l’ouverture du mariage, aux couples de mêmes sexes, serait soumise au peuple irlandais par référendum au premier semestre 2015. Vingt ans après la dépénalisation de l’homosexualité, le mariage gay et lesbien pourrait être légalisé en Irlande.

L’initiative du gouvernement irlandais peut sembler surprenante, dans un pays connu pour être fortement imprégné par la religion catholique et où la légalisation de l’avortement a provoqué un débat virulent l’année dernière. Pourtant, alors que l’Irlande du Nord a rejeté par référendum au printemps dernier une proposition d’ouverture du mariage aux homosexuels, personne ne semble douter que son adoption se fera sans difficulté en République d’Irlande. 75% des irlandais seraient même prêt à voter en faveur du mariage gay et lesbien, selon Marriage Equality, un groupe de lobbying militant pour l’égalité entre hétérosexuels et homosexuels.

La controverse Panti bliss

L’annonce de la tenue d’un référendum sur la question a entraîné son lot de controverses et de crispations. Le 11 janvier dernier, lors d’un débat sur RTE (la principale chaîne de télévision irlandaise), Rory O'Neill, drag queen plus connu sous le nom de Pandora Panti Bliss, accusait d’homophobie certains journalistes et certaines personnalités luttant contre l’ouverture du mariage aux homosexuels et participant au débat en direct. Ses contradicteurs l’attaquèrent en justice et décidèrent de poursuivre également RTE. La chaîne de télévision tenta d’étouffer l’affaire moyennant la somme de 85 000 euros. Rory O’Neill est depuis la proie des anti-mariages gay et en particulier du Iona Institute, un lobby ultraconservateur.

Devenu persona non grata sur les plateaux télévisés et dans les autres organes de presse qui craignent d’être poursuivis en justice à l’image de RTE, Rory O'Neill n’a pu répondre à ses détracteurs pendant plusieurs semaines. Le 1er février, profitant d’être invité à l’Abbey theatre, le théâtre national irlandais, il donna un discours d’une dizaine de minutes pour répondre à la controverse. Réitérant ses accusations dans un brillant discours, il affirma que dans un monde ou tout le monde est plus ou moins homophobe, les homosexuels avaient le droit de se sentir oppressés.


Le mariage gay et lesbien, une évidence ?

Au-delà de la polémique, la lutte pour l’égalité entre hétérosexuels et homosexuels est devenue pour ainsi dire une évidence en Irlande. A la veille des Jeux olympiques de Sotchi, le syndicat étudiant de Trinity College (la principale université du pays) bannissait ainsi du campus les produits Coca-Cola, accusant la marque de soutenir par sa passivité les lois russes anti-gays. Dans le même état d’esprit et à l’imitation du maire de New York, Joan Burton, la ministre irlandaise de la protection sociale qui sera à New York le 17 mars prochain, a refusé de participer à la parade de la Saint Patrick qui se tiendra dans la ville. Son objectif est de dénoncer l’interdiction faite aux homosexuels de défiler en affichant leur orientation sexuelle.

Le mariage gay et lesbien est-il vraiment appréhendé par la majorité des irlandais comme un « droit basique et essentiel », pour reprendre l’expression de Brian Sheehan, directeur de GLEN, une ONG militante pour les droits des homosexuels ? Seuls les résultats du référendum de 2015 permettront de répondre à la question. Mais la légalisation du mariage gay et lesbien a déjà trouvé d’ardents défenseurs, en particulier au Parlement. C’est d’abord le cas de Jerry Buttimer, député de Cork, qui fut en 2012, le premier membre du parti majoritaire (le Fine Gael) à faire son coming out. C’est aussi le cas du sénateur David Norris, homosexuel déclaré et malheureux candidat à l’élection présidentielle de 2012, militant pour l’égalité des droits entre hétérosexuels et homosexuels. David Norris, qui fut à l’origine de la dépénalisation de l’homosexualité en Irlande, est une personnalité haute en couleur. Protestant, il fit parti de la liste des personnes à abattre tenue par l’IRA jusqu’aux Accords du Vendredi Saint en 1998. Si ses propos, faisant l’éloge de la pédérastie dans la Grèce Antique, firent scandale et l’empêchèrent d’accéder à la présidence de la République d’Irlande, il demeure une figure clef du paysage politique irlandais. En témoigne par exemple le succès de sa campagne, à l’automne 2013, contre l’abolition du Sénat. Sa prise de position, comme celle de Jerry Buttimer, sera peut-être décisive lors du référendum de 2015.

Vers une Irlande arc-en-ciel ?

Quoi qu’il en soit, le « Pantigate » a placé la question de l’homophobie et de l’égalité des droits entre homosexuels et hétérosexuels au cœur du débat public irlandais. Lutter contre le mariage, entre personnes de mêmes sexes, semble être brutalement passé de mode, et même l’Eglise catholique a semblé en prendre acte. En effet, l’évêque de Dublin en personne a déclaré qu’être homophobe revenait à être « Dieu-phobe ». L’homophobie n’a pourtant pas disparu, comme en témoigne les récents propos de Neil Francis, ancien joueur de rugby irlandais, selon lequel le sport n’intéresse pas les homosexuels. Bien que ce dernier se soit excusé, l’homophobie est encore bien vivace.

En Irlande, les homosexuels et les lesbiennes n’ont pas fini de se surveiller aux passages piétons. S’il est improbable que déferle sur Dublin des « manifs pour tous », le mariage gay et lesbien n’est pas encore adopté, et la route est encore longue jusqu’au référendum de 2015. L’arc-en-ciel qui s’est levé sur l’Irlande semble bien guider l’île d’émeraude vers le chaudron d’or de l’égalité des droits.