L'Inde face au spectre chinois

Ramalingam Va, correspondant à Chennai, Inde
14 Juin 2013


Les tensions indo-chinoises sont ravivées par l'avancée de l'Armée populaire de Libération (APL) sur un territoire revendiqué par l'Inde. Les troupes chinoises ont même campé 27 km après la frontière, à quelques pas de leurs homologues indiens. Malgré plusieurs rencontres entre généraux et la pression diplomatique de l'ambassade d'Inde en Chine, Pékin reste ferme.


Le Premier ministre chinois, Li Keqiang (à gauche), et le Premier ministre indien, Manmohan Singh (à droite) à New Delhi en mai 2013. Crédit Photo -- Saurabh Das/Associated Press
Daulat Beg Oldi (DBO), c'est le nom de la zone revendiquée par l'Inde dans la région himalayenne du Ladakh située à 19 km de la ligne de contrôle effective (Line of Actual Control ou LAC). Depuis des décennies, la LAC est l'épicentre de nombreuses tensions frontalières entre les deux pays les plus peuplés du monde. Après l'installation des troupes chinoises en avril sur ces terres, les visites respectives du ministres des Affaires étrangères indien et du nouveau Premier ministre chinois Li Keqiang ont finalement apaisé le climat. Si des rumeurs indiquent que l'Inde a dû faire des concessions sur le nombre de ses soldats présents dans la région pour que la Chine se retire, Li Keqiang s'est montré amical lors de son déplacement.

Dans les colonnes du quotidien indien The Hindu, le leader chinois a minimisé les positions de son pays et avancé la carte de l'hégémonie régionale. Sur le plan international, il a appelé à une coopération étroite avec l'Inde tout en soulignant la faiblesse des relations commerciales entre les deux pays aux capacités de production et d'échange pourtant importantes. Quelques accords et échanges de courtoisie officiels qui ont finalement calmé les deux camps, au moins temporairement. De nombreux experts affirment que l'Inde est restée trop molle face à l'autoritarisme chinois. Ils ont également blâmé la passivité de New-Delhi qui n'a réagi à l'occupation qu'après quinze jours.

Un match sans arbitre

La Chine et l'Inde n'en sont pas à leurs premières escarmouches frontalières. Déjà en 1962, la guerre sino-indienne prenait racine dans cette rivalité territoriale. Afin d'éviter toute nouvelle débâcle, l'Inde a misé sur la voie diplomatique pour appuyer ses revendications auprès des Chinois. Mais la nature autoritaire du régime chinois s'est exprimée à plusieurs reprises dans le passé. Comme lorsqu'il a proclamé et revendiqué l'Arunachal Pradesh comme étant la « partie sud du Tibet ».

« Les problèmes frontaliers entre l'Inde et la Chine ne peuvent pas être facilement résolus en raison du nombre d'arbitrages dans les démarcations frontalières », affirme un expert en Chine. Le dernier incident dans le DBO apparaît donc comme un test, une volonté d'affirmation de la Chine dans ce conflit. Un exercice de style aussi... Les autorités chinoises ont toujours nié avec véhémence toute intrusion sur le territoire indien.

La crainte de l'encerclement

Si le Premier ministre chinois a envoyé un message fort en consacrant sa première visite à l'étranger à son voisin indien, il y reste un point noir qui inquiète New-Delhi. Li Keqiang s'est aussi rendu au Pakistan dans la foulée. Une « poignée de main à travers l'Himalaya » non seulement consacrée à la deuxième nation la plus peuplée du monde, mais aussi à son plus fidèle ennemi.

Le Premier ministre chinois se serait entretenu avec de nombreux dirigeants politiques du Pakistan, y compris Nawaz Sharif, qui devrait former le prochain gouvernement. Une raison de plus pour l'Inde de se méfier des relations sino-pakistanaises déjà très étroites. La presse a par ailleurs relaté des investissements chinois dans des projets d'infrastructure au Pakistan. Un appoint non-négligeable à des relations stratégiques importantes. Li Keqiang aurait promis au Pakistan deux réacteurs nucléaires supplémentaires pour lutter contre la crise de l'énergie. Les États-Unis ont averti sur le risque d'une telle mesure qui pourrait stimuler le programme nucléaire pakistanais. À cela s'ajoute la présence militaire de la Chine dans la région sensible du Cachemire occupé par le Pakistan (PoK). Une amitié qui a donc de quoi nourrir les inquiétudes indiennes. En signe de fébrilité, de nombreux experts et éditorialistes pressent l'Inde à renforcer sa politique vis-à-vis de la Chine pour ne pas perdre la main dans ce conflit sous haute tension.

Traduit de l'anglais par Thomas Denis.