Crédit DR
Nous – cinq autres français de mon université et moi-même – avons été frappés par la liberté des étudiants au sein de l’université, au sein des cours. Vous voulez aller prendre un café ? Vous en avez marre du cours ? Vous voulez aller fumer une cigarette (rare pour les argentins : ils ne fument que très peu) ? Vous pouvez sortir du cours à n’importe quel moment, devant les yeux du professeur imperturbable qui continuera à faire son cours sans même vous jeter un coup d’œil. Ceci, que vous ayez 10 ou 100 personnes avec vous dans la salle. Les allées et venues sont complètement tolérées, leur vision des choses étant que si l’étudiant vient en cours, c’est qu’il a envie d’apprendre. De ce point de vue, pourquoi lui interdire d’aller aux toilettes ou de prendre un café ? Pour nous, sortir d’un cours nous a demandé un petit effort de courage, étant habitué à voir cela comme une marque d’irrespect ou de je-m’en-foutisme. De la même façon, les absences au cours sont traitées de manière plus laxiste qu’en France.
Il faut relier cette mentalité au fait que les étudiants d’Argentine ont peu ou prou le même système qu’en Espagne : les étudiants doivent lire des textes pour préparer les cours. Sur le programme de la matière, chaque cours possède sa bibliographie et les sujets des travaux à faire chez soi donnés dès le début du semestre, permettant ainsi aux étudiants de pouvoir s’organiser. Ainsi, l’étudiant est censé être préparé au cours, le professeur ayant un rôle de clarificateur, d’indicateur. Manquer une partie du cours est donc moins gênant avec cette mentalité.
Différences profondes du système
Étant en Argentine depuis peu, j’ai le réflexe de tout comparer plus ou moins avec la France. Lorsqu’on compare justement le système d’éducation argentin avec le nôtre, on voit tout de suite qu’il existe des différences importantes. Tout d’abord ici, toutes les universités sont gratuites pour tout le monde. Il n’existe pas d’études secondaires nécessitant de mettre la main au portefeuille, alors qu’au Chili ou en Colombie, seule une toute petite élite peut se permettre de faire des études universitaires. Certes, il existe aussi des écoles privées comme chez nous, mais la valeur du diplôme est moins bonne qu’une université publique. Ainsi, l’Argentine voit donc beaucoup de ressortissants étrangers d’Amérique du Sud profiter de leur système pour étudier et par la suite repartir chez eux, créant un manque à gagner important.
La deuxième différence, et celle-ci constitue un fossé important avec nous, c’est que leur système n’est absolument pas basé sur le prestige. En France, aujourd’hui, on insiste énormément sur la valeur du diplôme, sur l’importance de faire une bonne école. En remontant plus tôt, on voit aussi le déséquilibre entre les filières dites « normales » style L, ES et S, et les filières techniques ou préparant plus tôt à la professionnalisation style CAP. Ici, la plupart des diplômes dans les filières techniques ont la valeur d’un BTS en France, et tous les diplômes universitaires se valent. Pas de discrimination au diplôme, et donc une meilleure égalité sociale puisque toutes les universités sont gratuites.
Le résultat de cette politique éducative est sans appel : taux d’alphabétisation à 99%, le taux de participation aux études secondaires est lui de 87%. On a donc un pays d’Amérique du Sud qui réussit particulièrement bien dans le domaine éducatif, en dépensant exactement le même montant du PIB que la France : 5.8%. Évidemment, c’est un montant énorme, mais qui permet à l’Argentine de posséder un avantage non négligeable sur ses voisins dans le futur.
Education et avenir en Argentine
Malgré le positionnement déclaré du gouvernement sur l’importance de l’éducation, des couacs peuvent poser problème à ce développement éducatif argentin.
En premier lieu, il s’agit de voir que l’Argentine ne fait pas défaut au trait commun des étudiants secondaires d’Amérique du Sud. En effet, la plupart des études réalisées le sont dans les sciences humaines ou sociales, notamment l’histoire, l’archéologie, la psychologie, etc… Il existe une fascination étrange des Sud-Américains à propos de leur passé, que ce soit au niveau du passé précolombien ou du passé dictatorial. Pour le premier, il s’agit d’une fascination exercée par le simple fait que ce sont des pays qui ont peu d’histoire comparé à l’Europe. Leur volonté est donc de retrouver une histoire propre afin de posséder une identité autre que celle donnée par la colonisation espagnole ou portugaise. En ce qui concerne les dictatures, la fascination intervient par le biais de la peur quasi traumatisante qu’il y ait encore des coups d’Etat et des dictateurs.
Peut-être sans le savoir, les étudiants d’Amérique du Sud donnent du fil à retordre aux différents gouvernements, et l’Argentine n’y échappe pas. Il manque un élément essentiel au développement et à la modernisation du pays : des techniciens. Une amie architecte nous disait que plusieurs de ses amis architectes ou ingénieurs ont été recrutés avant la fin de leur diplôme par des entreprises en manque de créatifs. En tant qu’étudiant, un poste dans une entreprise en même temps qu’un pont d’or est relativement difficile à refuser pour des raisons évidentes. Mais quand viendra le temps de chercher un travail, ces personnes n’auront pas de diplôme à présenter. Visiblement, c’est une pratique commune que le gouvernement a bien du mal à résoudre et ce malgré diverses réformes.
L’Argentine peut donc se targuer d’être le pays le plus avancé dans le domaine de l’éducation en Amérique du Sud, grâce à un système social permettant l’entrée de tous dans le secondaire sans discrimination économique, et une valeur égale des diplômes sur le marché du travail. Par contre, il va falloir qu’elle résolve de manière urgente son manque de techniciens et d’ingénieurs si elle veut devenir la puissance économique d’Amérique Latine.
L’Argentine possède donc clairement le système scolaire le plus égalitaire d’Amérique latine. Cependant, sans ingénieurs ni techniciens, c’est-à-dire sans créatifs, le développement sera plus compliqué.