Klaxon de Paris, klaxon de Pondichéry

Guillaume Matuzesky
26 Juillet 2015


L’Inde est un pays peu connu, plus rêvé que réellement étudié. Pour le découvrir, l’occasion est donnée à un étudiant français d’étudier dans le Sud du Pays à Pondichéry pendant un an. Les premières découvertes et le choc de l’arrivée décryptés.


Crédit Eledhwen
Débarquant en Inde, dès la sortie de l’aéroport, le bruit de la rue est saisissant : moteurs anciens, certes, mais surtout le klaxon. Du plus aigu à la corne de brume du paquebot, en passant par celui terni par l’usage. Le sentiment d’agression pour le piéton démuni est au départ inévitable. Mais une attentive observation renseigne sur bien d’autres choses.

Etudiant dans une grande ville française, me voilà immergé pour un an d’échange en Inde, au Sud du pays à Pondicherry, Pondichéry ou Puducherry, histoire multi-étatique oblige. L’occasion m'est donnée de régulièrement découvrir à travers quelques reportages la compréhension progressive d’une culture bien éloignée de l’Occident.

De l’usage social du klaxon

Crédit Eledhwen
Avant ce grand départ, j’ai dû passer une semaine à Paris, dans l’attente incertaine d’obtenir le visa. Dans la capitale française, l’intensité d’utilisation du klaxon est proche de celle des rues indiennes. Pour quelqu’un de province, de la campagne ou du péri-urbain, le klaxon sert principalement à faire un signe à un ami. En cas d’urgence, il permet d’éviter un accident. A Paris, le klaxon du conducteur stressé signifie pour le véhicule le précédant qu’il doit se dépêcher d’avancer. Usage contestable dans une ville entièrement congestionnée, où tout le monde a envie d’avancer. Enfin dans le cas indien, ou plutôt, dans le cas pondichérien, la priorité à un carrefour et le feu de signalisation n’existant pas, le klaxon remplace le clignotant. Condition sine qua non des transports routiers en Inde, le klaxon a le rôle d’avertir la dense circulation de sa position. Situation jugée peut-être à peine plus désordonnée selon les critères occidentaux, on notera cependant l’absence de congestion dans cette ville de 700 000 habitants où la circulation est régulée à allure moyenne. La réflexion sur l’usage social du klaxon est lancée.

Comprendre l’Inde : le challenge

Avant de quitter la France, mon parrain me parlait sans cesse du caractère sacré de la vache. Une collision en transport avec une ruminante me conduirait selon lui immédiatement en prison. Je ne sais pas si en renverser une est réellement un crime, par contre je peux attester que les vaches marchent effectivement sur les routes. Sont-elles libres de tout propriétaire ? Les croyants les nourrissent-elles ? Pour le moment pas de réponse, exceptée que leurs longues cornes qui montent vers le ciel sont peintes avec des couleurs vives lors de festivals religieux.

« Les indiens parlent anglais ». Voilà une motion qui n’est pas vérifiée. Les statistiques disent plutôt qu'une personne sur vingt le maîtrise, maintenant je les crois. Y compris à l’université, il va falloir s’habituer à l’indglish. Ne pouvant poser toutes mes questions, je reste fixé sur le comportement, ou l'ethos corporel, de mes hôtes. L’approbation se fait par un dodelinement de la tête, ce qui donne l’impression que l’interlocuteur hésite tout le temps, mais on s’habitue à prendre ce mouvement pour une confirmation, quoique l’exercice mental soit de taille. Je pensais à mon arrivée, quand les passants m’analysaient du regard de la tête au pied d’un air sceptique ou étonné, que le sourire était une expression peu développée. Après quelques expériences, un grand sourire et un signe de salutation de ma part déclenche majoritairement en retour un sourire indien, en particulier chez les dames.

La spiritualité indienne pose question. Les communautés religieuses catholiques, musulmanes et hindoues de diverses obédiences du Tamil Nadu, un des 28 Etats qui composent l’Inde - celui où l’on parle la langue Tamoul -, vivent à Pondichéry. Les dieux sont nombreux, c’est principalement Vishnu et Shiva qui sont célébrés dans les petits sanctuaires aménagés dans les maisons de particuliers. Ayant eu la chance d’être invité par un professeur de théâtre très accueillant, nous avons eu le droit de manger une partie des offrandes pour les dieux. Gastronomie superbe du Tamil Nadu, merci donc à Vishnu et Shiva ainsi qu’à nos hôtes pour la délicieuse soupe de vermicelle au lait, le riz sucré aux épices et le succulent beignet salé.

N’oublions pas dans ce tableau que le syncrétisme est de mise ; en mangeant avec des catholiques, ceux-ci respectent la règle pan-indienne de ne manger qu’avec la main droite, l’autre étant impure. Exercice périlleux pour les nombreuses préparations en sauce, qui fait beaucoup sourire nos amis indiens. Enfin dans la Guest House un peu lugubre où je réside, j’ai bien identifié quelques icônes colorées de dieux hindous, devant lesquels se trouvaient deux statuettes de la Vierge Marie accompagnées par des représentations de Jésus. 

Les femmes sont drapées de sari, tissu de plusieurs mètres de long savamment enroulé. Les couleurs sont flamboyantes. A la moindre occasion, des bijoux en nombre accompagnent cette parure. Des colliers de fleurs de jasmin tressées servent à attacher leurs cheveux, marquant un charmant contraste entre le blanc des pétales et le noir ébène de leurs longues chevelures. Les hommes portent des sandalettes en cuir, des pantalons de costume large et des chemises en coton. Dans la rue, de nombreuses affiches représentent des portraits d’hommes. J’hésitais à parier sur des prédicateurs religieux ou des politiciens. Un gentil chauffeur de rickshaw, équivalant du Tuk-Tuk thaïlandais, me confirme la seconde hypothèse : il s’agit d’une famille d’hommes politiques. 

Au-delà des bus bondés ouverts sur la rue et de la musique rythmée qui s’en échappe, l’un des éléments fondamentaux est la chaleur. Humide et alourdissante, en respirant ma première bouffée d’air à Chennai (anciennement Madras), quatrième mégapole du pays, je me suis dit que j’allais étouffer. Finalement ce n'est pas le cas, je bois plutôt trois litres d’eau par jour et les transpire dans leur quasi-intégralité. Les 37°C alliés à l’humidité donnent l’impression d’être dans un sauna peu chauffé. 

Tourisme, voyage, cheminement

Le commencement de ce voyage est fait de rencontres. Tous les jours, les Indiens nous rendent service, dans les transports, ils nous indiquent la direction, ils nous prêtent leur mobile et nous expliquent en souriant. La ville de Pondichéry est aussi le siège d’une communauté d’expatriés français importante. Dans ce contexte de changement, ces connaissances peuvent être des points de repère. Mais alors faut-il découvrir l’Inde avec d’autres français ? Le voyage est-il aussi un chemin qui doit se faire seul ? 

L’environnement social nouveau nécessite de pouvoir parfois se retirer. Ma première sortie comme piéton en ville a duré dix minutes. Les odeurs de la rue me déboussolaient, les Indiens me regardaient et à chaque intersection, je ne trouvais pas le nom des rues. Tout était nouveau, je n’avais pas de carte, et lors de cette matinée où tout le monde vaquait à ces occupations, je n’étais pas sûr qu’on m’indique mon chemin. Je suis rentré dans ma Guest House, j’étais seul, j’ai respiré profondément, étudié la carte sur internet et je suis reparti. Là j’ai acheté de l’eau, je me suis repéré dans le quadrillage des rues aux façades colorées et quelques minutes plus tard je suis monté sur ma première moto indienne, qui m'a emmené vers d’autres péripéties. C’est sûr, il va falloir trouver un équilibre entre expérience personnelle et partage collectif.

Suivre les guides imprimés en visitant les monuments, ou choisir de se laisser conduire par les rencontres et attendre que les choses viennent d’elle-même, habitudes occidentales ou voie indienne, tourisme ou aventure, les deux seront sans doute mêlés durant cette année. Beaucoup de questions naissent de l’expérience, et mériteront bien une année d’immersion, bercée par les doux klaxons.