Kirghizistan : une sextape pousse le Grand Mufti à la démission

La rédaction de FranceKoul.com
9 Janvier 2014


Le Grand Mufti du Kirghizistan a annoncé sa démission, suite à la publication sur internet, le 31 décembre, d’une vidéo le montrant en plein ébat avec une jeune femme. A 35 ans, Rakhmatulla-Hajji Egemberdiev ne sera resté qu’un an à la tête de la communauté musulmane kirghize. C’est le vice-mufti Maksat-Hajji Toktomuchev qui assurera l’intérim jusqu’à la prochaine élection, le 8 février 2014.


© RFE/RL
Plusieurs dizaines de personnes s’étaient rassemblées lundi devant les bureaux d’Egemberdiev, l’accusant d’adultère et exigeant sa démission. Bakyt Nurdinov, membre du Congrès des Musulmans, un groupe promouvant les droits de la communauté musulmane, a confié que la vidéo avait profondément choqué les dirigeants religieux : « C’est la première fois qu’une chose pareille arrive au Kirghizistan. C’est déplorable. »

Scandales sexuels et détournements de fonds

Ce n’est toutefois pas la première fois qu’une sextape coupe l’herbe sous le pied d’un dirigeant kirghize. Une vidéo similaire montrant Omurbek Tekebaev, leader du parti Ata-Meken et ancien président du Parlement, était apparue en 2008, et avait refait surface peu avant les élections parlementaires décisives de 2010. La démission de Rakhmatulla-Hajji Egemberdiev s’avère aujourd’hui des plus déstabilisantes pour la communauté musulmane, c'est-à-dire 80% de la population kirghize.

Cinq Grands Muftis se sont succédés en seulement quatre ans. Egemberdiev a été élu Grand Mufti le 17 décembre 2012, en dépit d’une enquête en cours à son sujet pour fraude fiscale concernant l’argent qu’il aurait empoché en supervisant des pèlerinages de fidèles vers La Mecque (le hajj). Le hajj est obligatoire pour tout musulman en ayant la capacité physique et financière, et est soumis à un système de quotas par l’Arabie saoudite. En charge depuis 2011 de l’attribution de ces voyages très convoités vers La Mecque, les responsables musulmans du Muftiat sont soupçonnés d’avoir profité de leur position pour toucher des pots de vins. Des allégations que rejete Rakhmatulla-Hajji Egemberdiev, qui accuse aujourd’hui le président de la Commission aux Affaires religieuses, Abdulatif Jumabayev, de l’avoir piégé, afin de le remplacer par un mufti plus docile envers le gouvernement.

Un leadership spirituel introuvable

Orozbek Moldatiev, représentant de la présidence auprès du Parlement, dénonce quant à lui la vénalité des muftis kirghizes : « Toute une génération de mollahs a reçu la même éducation médiocre. Ils aspirent tous à devenir muftis, et ce uniquement parce que le hajj leur permettrait d’empocher des millions de dollars. » Des propos qui révèlent la discorde entre le gouvernement du Kirghizistan (Etat laïque) et le Muftiat, sous tutelle de l’Etat, et souhaitant obtenir une plus grande autonomie. Ces tensions prennent place dans un contexte de malaise religieux latent dans le pays depuis la chute du communisme.

Un des plus grands défis actuels du Muftiat est d’améliorer la formation religieuse des imams pour éviter une montée de l’extrémisme et faciliter les rapports inter-religieux. Une mission impossible à accomplir dans le contexte actuel d’instabilité à la tête du Muftiat. Scandales, décès et violences ont fait qu’aucun des Grands Muftis élus récemment n’a pu achevé son mandat de cinq ans. Kanybek Osmonaliev, ancien directeur du comité d’Etat aux Affaires Religieuses, ne peut que déplorer la zizanie au sein des autorités religieuses kirghizes : « De mufti ils n’ont que le nom. En vingt ans, nous ne sommes pas parvenu à générer le moindre chef religieux dans notre pays. »

© Baptiste Vassy