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Issu d’un milieu aisé et mélomane, on peut dire que la musique a fait vibrer le liquide amniotique dans lequel le petit Miles Davis se trouvait bien avant qu’il ne voit le jour. Ce dernier commence très jeune à jouer de la trompette, à fréquenter des personnes influentes et ne tardera pas à étudier dans les meilleures écoles. Mais l’envers du décor façonnera rapidement la personnalité et le caractère de ce génie en herbe. Le racisme ambiant et l’accès facile aux drogues dures l’entraîneront tout au long de sa vie dans une série de sevrage et de rechute. L’univers toxique de New-York lui donne des envies d’évasion. A la fin des années 40, son premier voyage en Europe changera sa vie et sa musique. Paris et son univers bohème fait contraste au rush américain qu’il a toujours côtoyé. Il fréquente Sartre, tombe amoureux de Juliette Greco… Jusqu’à ce que la nostalgie de sa terre natale le reprenne.
Son retour au bercail est également un retour aux mauvaises habitudes. Il tombe dans une profonde dépression et replonge dans la drogue, allant jusqu’à avoir recours au proxénétisme pour se fournir sa dose quotidienne. Heureusement, sa volonté et l’amour inconditionnel qu’il porte à la musique prendront le dessus et lui permettront de décrocher. En dehors de ses réguliers combats contre la drogue, Miles Davis luttera toute sa vie contre la ségrégation et le racisme, souhaitant que sa notoriété soit reconnue au même titre que ses comparses blancs.
Du rock à l’électronique
Son parcours de vie haletant se ressentira dans sa musique. Entre ses multiples égarements, le dur et mélancolique dealer de spleen retrouve son instrument fétiche et sait où s’épanouir. Ayant étudié son art dans les plus grandes écoles, Miles Davis a une connaissance à la fois académique et naturelle de la musique. Sa minutieuse recherche d’harmonie et de perfection en est presque surhumaine. De la funk au rap, nous constaterons ébahis l’évolution de son propre style au fil de sa carrière.
Ce grand fan de Jimi Hendrix, ira même jusqu’à réconcilier le jazz et le rock, deux styles frères de naissance mais que le temps à pourtant séparé. Plus tard, en expérimentant les collages de musiques enregistrés de manière hasardeuse ici et là, Miles jette les prémices de la musique électronique. L’artiste devient un chasseur de son et l’ingénieur du son, un musicien.
Des musiciens qui parlent la même langue
Miles Davis, Kind of Blue Sessions, 1959. Don Hunstein © Sony BMG Entertainment
En effet, en 1959 entouré de musiciens aussi talentueux que passionnés qui deviendront rapidement des grands noms de la scène jazz, Cannonball Adderley, John Coltrane et Bill Evans, Miles Davis signe un disque qui s’inscrit parfaitement dans la tradition jazz tout en y insufflant une fraîche bouffée de modernité. Ensemble, ils s’inspirent mutuellement, s’influencent positivement en communiquant musicalement. Ils commencent par reprendre des standards be-bop avant de considérer ce style comme une entrave à la créativité. Encouragé par George Russell, Davis s’oriente vers la voie de l’expérimentation modale, allant jusqu’à enregistrer en studio sur de l’improvisation. Le sextet se laisse inspirer par des esquisses de gammes et des lignes mélodiques. Que ce soit en studio ou sur scène, ne communiquant entre eux que par la l’énergie de leur musique, le groupe entrait dans une alchimie fusionnelle qui rendait leur musique authentique et transcendante.
Miles Davis était le chef d’orchestre, le leader de ce groupe dont il avait minutieusement choisi chaque membre. Le talent de cet artiste provient non seulement de son envie et de son besoin presque vital de faire sans cesse évoluer sa musique mais également, de sa manière de vivre ses collaborations. Chaque membre du groupe était une pièce unique en son genre et indispensable à la création du sublime puzzle qu’est « Kind of blue ». En dénichant de nouveaux talents, Davis mettait au profit de son travail la singularité d’autres petits génies qui deviendraient les leaders des générations suivantes.
« Kind of blue » est une œuvre complète et complexe susceptible d’éveiller l’appétit d’un public curieux de découvrir le jazz sous une nouvelle approche. D’un classicisme moderne intemporel, cet album à franchi les barrières de ce qui n'était encore à l’époque qu’un nouveau genre.