Hillbrow Tower | DR
Situé au centre de Johannesburg, Hillbrow s'est imposé en enclave progressiste, cosmopolite et multiraciale dans les années 1980, échappant à l'emprise de l'apartheid. Aujourd'hui réputé dans toute l'Afrique du Sud comme l'un des quartiers les plus dangereux du pays, il connaît néanmoins un renouveau considérable.
« JE NE M'ARRETE PAS AUX FEUX ROUGES PAR SECURITE »
La nuit, les conducteurs, rongés par la peur, ne s'arrêtent pas aux feux rouges d’Hillbrow. « C'est par sécurité », me dit le Sud-Africain qui m'emmène dans l'un des quartiers les plus dangereux de Joburg. Au feu, il ralentit, regarde des deux côtés de la route, et ré-accélère.
De toute façon, il y a peu de voitures, mais les rues ne sont pas vides pour autant. Elles sont calmes, sans être tranquilles, à l'image de ceux qui les arpentent seuls ou en petit nombre, d'un pas précipité. Il y a aussi du bruit dans ces rues, un boucan qui paraît si lointain qu'il ne dérange pas la nuit des dizaines de clochards qui sommeillent sur les trottoirs sales d'Hillbrow.
De toute façon, il y a peu de voitures, mais les rues ne sont pas vides pour autant. Elles sont calmes, sans être tranquilles, à l'image de ceux qui les arpentent seuls ou en petit nombre, d'un pas précipité. Il y a aussi du bruit dans ces rues, un boucan qui paraît si lointain qu'il ne dérange pas la nuit des dizaines de clochards qui sommeillent sur les trottoirs sales d'Hillbrow.
HILLBROW, GHETTO INCURABLE ?
Dans le club où nous entrons après avoir été fouillés, ma couleur de peau attire l'attention. Les Blancs ont déserté Hillbrow depuis un moment. Entre deux parties de billard, un local me défie pour 100 Rands d'aller au prochain coin de rue et de revenir vivant. Il se corrige en m'expliquant qu'en fait, c'est plus dangereux pour lui que pour moi de se balader dans ces rues. « Si un Blanc se fait tuer à Hillbrow, c'est le début des vraies emmerdes, si c'est un Noir comme moi ou les types que tu vois là, c'est monnaie courante ». Avant d’ajouter plus sérieusement que les Blancs ont fuit par peur, à la fin de l'apartheid. Ils avaient les moyens de partir quand le quartier s'est dégradé.
Un exode colossal puisqu'ils ne représentent même plus qu’une poignée d’habitants à Hillbrow, autrefois désigné « whites-only », aujourd'hui noir à plus de 98%. « Cela a commencé à se gâter au début des années 1990 » lance-t-il ensuite. Le progressisme d'Hillbrow dans les années 1980 en a fait un El Dorado pour les populations pauvres des townships, des quartiers ruraux mais aussi du reste de l'Afrique (Nigéria, Zimbabwe, RDC notamment).
Aucun projet politique et d'investissement n'a alors été établi pour faire face à la croissance de la population, à l'immigration, à la pauvreté, à cet exode des classes moyennes et à la dégradation des immeubles et des infrastructures d'Hillbrow. En l'absence de politique, la criminalité, la prostitution et la drogue ont pu proliférer sans entraves à Hillbrow, véritable ghetto incurable en 1995.
Un exode colossal puisqu'ils ne représentent même plus qu’une poignée d’habitants à Hillbrow, autrefois désigné « whites-only », aujourd'hui noir à plus de 98%. « Cela a commencé à se gâter au début des années 1990 » lance-t-il ensuite. Le progressisme d'Hillbrow dans les années 1980 en a fait un El Dorado pour les populations pauvres des townships, des quartiers ruraux mais aussi du reste de l'Afrique (Nigéria, Zimbabwe, RDC notamment).
Aucun projet politique et d'investissement n'a alors été établi pour faire face à la croissance de la population, à l'immigration, à la pauvreté, à cet exode des classes moyennes et à la dégradation des immeubles et des infrastructures d'Hillbrow. En l'absence de politique, la criminalité, la prostitution et la drogue ont pu proliférer sans entraves à Hillbrow, véritable ghetto incurable en 1995.
LES « HIJACKED BUILDINGS »
Crédits Photo -- http://iclimbedthat.wordpress.com
Des bâtiments entiers se sont détériorés et ont été détournés, volés par des gangs à la mort ou au départ des propriétaires. De retour dans la voiture, mon ami Sud-Africain me pointe du doigt l’un de ces « hijacked buildings », complètement délabrés : « quand tu vois des bâtiments comme ceux là, tu sais qu'ils ont été détournés ».
Ces logements insalubres sont nombreux à Hillbrow. Ils sont contrôlés par les gangs et ont été désertés par la police dans les années 1990. Quartier d'immigration massive, Hillbrow a une densité de 69 000 habitants par km2 : les familles s'entassent à dix dans des appartements conçus pour deux personnes avec un accès illégal et précaire aux services de base comme l'eau courante ou l'électricité.
On reconnait d'ailleurs à leurs façades noircies, les logements qui ont pris feu à Hillbrow : des incendies dévastent régulièrement ces taudis du fait des mauvaises installations qui donnent aux habitants un accès illégal à l'électricité. Le loyer tombe directement dans la poche des hijackers, qui travaillent souvent en collusion avec des officiers de police corrompus.
Ces logements insalubres sont nombreux à Hillbrow. Ils sont contrôlés par les gangs et ont été désertés par la police dans les années 1990. Quartier d'immigration massive, Hillbrow a une densité de 69 000 habitants par km2 : les familles s'entassent à dix dans des appartements conçus pour deux personnes avec un accès illégal et précaire aux services de base comme l'eau courante ou l'électricité.
On reconnait d'ailleurs à leurs façades noircies, les logements qui ont pris feu à Hillbrow : des incendies dévastent régulièrement ces taudis du fait des mauvaises installations qui donnent aux habitants un accès illégal à l'électricité. Le loyer tombe directement dans la poche des hijackers, qui travaillent souvent en collusion avec des officiers de police corrompus.
« EKHAYA » MALGRE LA MAUVAISE REPUTATION
Mais Hillbrow change et va mieux. Si les « hijacked buildings », la pauvreté et la criminalité y sont toujours d'actualité, le quartier connaît une véritable transformation. La ville a décidé depuis une dizaine d'années de faire la guerre aux hijackers et de récupérer les immeubles détournés. En modifiant la législation et classant désormais le détournement de logements comme « criminal offence » et non plus comme « civil offence », le City Council de Joburg a considérablement amélioré l'efficacité des procédures d'éradication des hijackers et de récupération des immeubles. Par ailleurs, une force spéciale de police a été créée pour récupérer ces bâtiments ensuite rachetés par la ville ou par des compagnies privées. Celles-ci proposent de faibles loyers pour des appartements rénovés, salubres et sécurisés.
Le programme « eKhaya » (« my home » en zulu, ndlr) lancé en 2004 par la Johannesburg Housing Company a ainsi permis la rénovation de près d'une trentaine de bâtiments autrefois détournés. Des polices privées patrouillent la zone « eKhaya » d'Hillbrow. Les rues sont tenues propres. Les investissements importants dans le sport, l'art et la culture transforment le quartier qui continue de souffrir de sa mauvaise réputation. Selon Josie Alder, coordinatrice du programme « eKhaya », le problème, c'est la peur qui règne autour de la simple mention du nom d' « Hillbrow »: « Quand j'étais petite, les gens avaient peur d'aller à Alexandra. Ensuite, ils ont eu peur d'aller à Soweto, maintenant, ils ont peur de venir en Afrique du Sud. Les gens font ce qu'ils veulent avec leurs peurs. Il n'y a pas de doute : Johannesburg est une ville très dangereuse. Mais réagir à ce problème par la peur, cela empire les choses. Et si dans l'Afrique du Sud post-apartheid, les gens se laissent piéger par leurs peurs, alors on finira par trahir le cadeau que nous a fait Madiba, de pouvoir vivre libres et sans aucune peur » affirmait-elle dans une interview donnée au Mail and Guardian en 2011.
Le programme « eKhaya » (« my home » en zulu, ndlr) lancé en 2004 par la Johannesburg Housing Company a ainsi permis la rénovation de près d'une trentaine de bâtiments autrefois détournés. Des polices privées patrouillent la zone « eKhaya » d'Hillbrow. Les rues sont tenues propres. Les investissements importants dans le sport, l'art et la culture transforment le quartier qui continue de souffrir de sa mauvaise réputation. Selon Josie Alder, coordinatrice du programme « eKhaya », le problème, c'est la peur qui règne autour de la simple mention du nom d' « Hillbrow »: « Quand j'étais petite, les gens avaient peur d'aller à Alexandra. Ensuite, ils ont eu peur d'aller à Soweto, maintenant, ils ont peur de venir en Afrique du Sud. Les gens font ce qu'ils veulent avec leurs peurs. Il n'y a pas de doute : Johannesburg est une ville très dangereuse. Mais réagir à ce problème par la peur, cela empire les choses. Et si dans l'Afrique du Sud post-apartheid, les gens se laissent piéger par leurs peurs, alors on finira par trahir le cadeau que nous a fait Madiba, de pouvoir vivre libres et sans aucune peur » affirmait-elle dans une interview donnée au Mail and Guardian en 2011.
Crédits Photo -- http://iclimbedthat.wordpress.com
LE BRANCHé DANS L’UBUNTU
Une culture émerge de l’énergie artistique d’Hillbrow. Le quartier est de plus en plus présent comme le futur Harlem d’un New York sud-africain qui plongerait le branche d’un Brooklyn dans l’ubuntu du sud de l’Afrique, philosophie humaniste et opposée a l’individualisme des sociétés occidentales.
Je finis la soirée à l'Ouest d'Hillbrow devant les Great African Steps du Constitution Hill, la Cour constitutionnelle sud-africaine. Ces marches, symbole du chemin parcouru vers la démocratie et la liberté, sont faites des briques d'une ancienne prison, celle où a été emprisonné le Mahatma Ghandi en 1906. Devant ces marches, il y a une sculpture taillée dans une seule pièce de bois dans le Limpopo : celle d'un monstre de près de trois mètres, à la grimace hallucinée, un « angry Godzilla » d’après mon ami.
A mille lieues de Cape Town réputée européenne, le centre-ville de Johannesburg est une planète façonnée par l’histoire du pays. Elle est dangereuse mais fascinante. Sous estimée, il y grouille une énergie africaine impressionnante. Dans dix ans, on s’arrêtera a ces feux rouges.
Je finis la soirée à l'Ouest d'Hillbrow devant les Great African Steps du Constitution Hill, la Cour constitutionnelle sud-africaine. Ces marches, symbole du chemin parcouru vers la démocratie et la liberté, sont faites des briques d'une ancienne prison, celle où a été emprisonné le Mahatma Ghandi en 1906. Devant ces marches, il y a une sculpture taillée dans une seule pièce de bois dans le Limpopo : celle d'un monstre de près de trois mètres, à la grimace hallucinée, un « angry Godzilla » d’après mon ami.
A mille lieues de Cape Town réputée européenne, le centre-ville de Johannesburg est une planète façonnée par l’histoire du pays. Elle est dangereuse mais fascinante. Sous estimée, il y grouille une énergie africaine impressionnante. Dans dix ans, on s’arrêtera a ces feux rouges.