Irlande : le peuple s'unit pour moderniser la Constitution

Fabien Aufrechter
13 Aout 2013


Rédigée en 1937 durant la montée des partis facistes, la Constitution de l’Irlande n'est plus vraiment adaptée à la société irlandaise actuelle. En juillet 2012, le gouvernement d’Enda Kenny (parti Fine Gael – Centre droit) a décidé de créer une Convention chargée de la remettre au goût du jour.


Crédits photo -- Daniel English (Secrétariat de la Convention)
C’est au lendemain de la Guerre Civile que Eamon de Valera (parti Fianna Fail – Droite Nationaliste) a engagé la rédaction de la Constitution de l’Irlande (Bunreacht Na nEireann). Alors progressiste et encore considérée comme une des constitutions les plus protectrices des libertés individuelles, celle-ci n’est aujourd'hui plus adaptée à la société irlandaise.

La Constitution irlandaise, qui encourage les femmes à ne se consacrer qu’aux travaux domestiques (art. 41.2.2) et qui punit le blasphème (art. 40.6.1), est ponctuellement dépourvue de légitimité alors même qu’elle régit l’ensemble des institutions étatiques. Comme tout amendement à la Constitution doit être validé directement par le peuple avant d’être adopté (art. 46), le nombre de référendum a été multiplié ces dernières années, entraînant un désintérêt général des questions constitutionnelles.

« Nous, le Peuple d’Irlande… »

Mêlant hommes politiques et simples citoyens, la Convention constitutionnelle s’est ouverte en décembre 2012 et prévoit d’achever ses travaux dans un an. Organe consultatif, l’ensemble des intervenants devront traiter divers sujets : mariage entre personnes du même sexe, âge minimum pour être électeur ou parité en politique. Le gouvernement irlandais a promis de répondre aux attentes soulevées par un ou plusieurs référendums dans les quatre mois suivant la clôture de la Convention. Inspiré des expériences canadiennes (en Colombie-Britannique) et australienne, le rassemblement se déroule dans un climat favorable à la démocratie délibérative (comme en témoigne l’expérience semblable du G1000 menée simultanément en Belgique).

Si la Convention est censée être à l’image de l’Irlande, et ce, dans le but de représenter l’ensemble du peuple irlandais, la question d’une possible manipulation de la population peut être posée puisqu’il s’agit d’une initiative gouvernementale. Le gouvernement cherche t-il à faire adopter des lois progressistes sans heurter l’opinion, afin d'éviter de nouveaux conflits sociaux comme ceux qui ont marqué le débat sur l’avortement ? Les citoyens constituants le panel ont-ils vraiment été sélectionnés au hasard ?

Une Convention sous influence ?

Lors de cette Convention constitutionnelle, l’ensemble des points de vue et les propositions sont présentés aux participants grâce à l’intervention de spécialistes et de lobbies de toutes tendances. Le risque que les participants soient pris d’assaut par les lobbies a évidemment été souligné dès la création de la Convention. Ce risque est d’autant plus important que la liste des participants est diffusée préalablement à la réunion de la Convention, dans un esprit de transparence. Toutefois, la plupart des participants aux premières réunions ont déclaré ne pas avoir eu le sentiment d’être manipulés.
 
« Bien que la majorité des citoyens participant à la Convention ne s'estiment pas manipulés, il serait naïf de les prendre au mot », remarque Jonathan Moskovic, observateur belge de la Convention. Si les participants à la Convention ont été choisis par l’agence de marketing Behaviour & Attitudes (selon une stratégie visant à ce qu’ils soient représentatifs du peuple irlandais), les thèmes étudiés ont été définis par le gouvernement.

La tenue de réunions internes au Parlement, par les partis politiques pour discuter des positions et des arguments communs, tend à remettre en cause le principe d’égalité d’informations entre les citoyens, socle sur lequel repose pourtant la Convention. Cependant, l’ensemble des députés, bien qu’en ayant conscience de leur pouvoir de persuasion envers les citoyens, s’estiment sur un pied d’égalité avec ces derniers, voire même défavorisés, puisque qu’ils doivent faire face à des sentiments « anti-politiciens ».
 

Résultats et avenir de la Convention

S’il est trop tôt pour faire un bilan de cette Convention constitutionnelle, les premiers résultats répondent presque intégralement aux attentes du gouvernement. La Convention recommande ainsi l’abaissement de la majorité électorale à 16 ans, le mariage entre personnes de même sexe, la modification de l’article incitant les femmes à ne pas travailler et la modification d'un article encourageant la participation des femmes à la vie publique.

Le véritable problème que pose la Convention est celui de sa portée. Le gouvernement n’est pas véritablement convaincu par ses propositions, malgré sa promesse de leur donner suite. Ce gouvernement est même inquiet de se voir renverser et donc, de voir l’ensemble de ses travaux balayés. Un tel scénario est d’autant plus concevable que le principal parti d’opposition est aujourd’hui le Fianna Fail. Malgré ces risques inhérents au projet de la Convention et le scepticisme des médias à son égard, celle-ci suit son cours. La prochaine réunion de la Convention se tiendra le dernier week-end de septembre et les participants se pencheront sur la question de l’autorisation du droit de vote aux citoyens irlandais, résidants hors d’Irlande, auprès des ambassades et consulats.

Sur un terme plus long, il est même question de pérenniser l’activité de la Convention, voire de l’institutionnaliser en fonction de ses résultats : « le fait que des milliers de recommandations y aient été transmises tend à cautionner son principe et explique que la Convention, créée pour un an, puisse voir ses activités prolongées », note Colm Finlay, facilitateur à la Convention. Au-delà de sa prolongation, peut-on imaginer la généralisation de son concept, à l’échelle européenne par exemple ? Si cela reste très incertain, le fait que la question soit posée montre que le cynisme qui entourait la Convention constitutionnelle irlandaise laisse progressivement place à une certaine confiance.