Inde : les étudiants du Tamil Nadu soumis à des règles de plus en plus strictes

Ramalingam Va, traduit par Julie Richard
10 Septembre 2013


Dans les collèges du sud de la région du Tamil Nadu, en Inde, les étudiants doivent désormais se soucier de leur style vestimentaire en plus de leurs études. Récemment, lors d’une assemblée organisée dans l’illustre université de Madras, les dirigeants ont décidé de mettre en place des règles concernant le code vestimentaire que les étudiants doivent respecter dans les universités.


Crédits photo -- Biswarup Ganguly
Le débat concernant ce code vestimentaire a été d’une grande importance pendant quelques temps. Les écoles d’ingénieurs ont depuis longtemps mis en place des règles concernant la tenue des étudiants. Il a été demandé à ces derniers d'être vêtus de manière formelle et professionnelle. S’ils ne le font pas, ils pourraient se voir attribuer des amendes ou être exclu de cours. Cependant, de telles règles ne s’appliquent en général que dans le Tamil Nadu, une des région ayant le plus grand nombre d’instituts d’enseignement supérieur.

Une attitude « professionnelle »

Quand il est question de justifier ce choix d’imposer un code vestimentaire, tous les collèges répondent de la même façon en prônant le concept de « professionnalisme ». Bien que les universités, auxquelles les collèges sont affiliés, ne sont pas aussi strictes concernant la tenue vestimentaire des élèves, beaucoup de collèges y accordent une grande importance afin d’inculquer la discipline aux étudiants. Les dirigeants déclarent que la fac « ne joue aucun rôle concernant la décision d’un code vestimentaire dans les collèges affiliés. » Cependant les collèges citent le règlement de l’université afin de faire respecter cette règle.

« Obliger les étudiants à respecter un code vestimentaire aussi strict fait du collège une continuation de l’école, déclare Pranav Kiran, étudiant en dernière année à l’école d’ingénieurs Rajalakshmi, près de Chennai. Il pense que mettre l’accent sur la tenue vestimentaire n’est pas une solution pour mettre en valeur le concept de professionnalisme. Cependant, le point de vue du directeur de ce collège, le Dr. Thangam Meganathan, est différent : « Forcer les étudiants à adhérer à un code vestimentaire les aidera à décrocher un emploi dans le domaine de l’informatique ». Cela n’est pas le cas des étudiants de l’université mère à laquelle ces collèges appartiennent. Ils n’ont en effet aucune contrainte vestimentaire à respecter. « Nous n’avons pratiquement aucune règle concernant nos tenues vestimentaires et nous sommes libres de porter ce que l’on souhaite », nous informe Srinithi, étudiante en première année à Anna University. En plus de reconnaître les collèges étant sous son égide, cette université leur impose aussi le programme des cours et d’autres règles diverses.

D’autres règles à respecter

En plus des codes vestimentaires, les étudiants doivent respecter beaucoup d’autres règles sur le campus. Il leur faut toujours avoir leur carte d’identité avec eux et avoir une coupe de cheveux décente. Certains collèges limitent même les interactions entre filles et garçons. Ils vont jusqu’à imposer des amendes à ceux qui ne respectent pas ces règles. Dans une époque où les femmes indiennes imposent de plus en plus leur présence dans les bureaux aux côtés de leurs homologues masculins, de telles règles vont sûrement être contre-productives.

Beaucoup d’étudiants pensent qu’être isolé de leurs camarades féminines résultera en un manque d’interaction et un manque de confiance en soi dans le domaine professionnel. Ils n’apprécient également pas beaucoup le fait d’être commandé de la sorte. « Notre liberté d’expression nous est retirée à cause de ces règles. Nous sommes adultes et nous n’apprécions pas que l’on nous dise quoi porter », déclare Swathi Renugopal, étudiante au collège pour femmes Ethiraj à Chennai, en commentant la récente réunion de l’université de Madras concernant les codes vestimentaires. Le président de l’université de Sathyabama revendique le fait que les collèges doivent être considérés « comme des temples ou des églises ». Selon lui, la discipline doit être entretenue. C’est pourquoi il est important d’être vêtue correctement.

La tendance se répand dans d’autres collèges

Lancée par les écoles d’ingénieurs, la mode du code vestimentaire chez les étudiants s’est répandue dans d’autres écoles d’art et de sciences qui étaient auparavant plutôt libérales à cet égard. Récemment, une réunion a été organisée par le directeur de l’éducation dans les collèges afin de discuter d’une éventuelle charte à propos d’un code vestimentaire dans les campus. Les autorités ont décidé d’envoyer une lettre circulaire d’ici quelques jours. Si un code strict est voté, les garçons ne seront plus autorisés à porter de t-shirts et les filles devront éviter de porter des jeans. Les étudiants en art et en sciences sont totalement opposés à ce projet car cela n’est, selon eux, pas nécessaire. Ils pensent même qu’une telle réforme serait un obstacle à l’expression de la créativité des étudiants.

« Si le personnel le peut, pourquoi pas les étudiants ? »

Crédits photo -- Vedhan M/The Hindu
Il existe déjà un code vestimentaire strict pour le personnel dans les collèges. Les hommes doivent porter une tenue professionnelle et les femmes, des saris ou salwars (2). Les autorités des collèges se justifient par la même question rhétorique : « si le personnel peut respecter un code vestimentaire, pourquoi pas les étudiants ? » Cependant, il y a des arguments contre ces déclarations de la part des étudiants. « Nous n’avons jamais demandé à la faculté de se plier à un code vestimentaire, ce n’est pas juste de nous imposer cela seulement parce que le personnel le fait », se défend Malvika, étudiante.

Un environnement plus strict

Les collèges, en particulier les professionnels, maintiennent une atmosphère très stricte dans les campus. Afin d’assurer le respect de ces règles par les étudiants, les collèges ont un département spécifique pour gérer ces litiges. Le personnel de ce département sillonne le campus et attrape les fautifs. Ils sont souvent envoyés à leurs chefs de département respectifs afin d’expliquer pourquoi ils ne sont pas habillés selon le code établi.

En outre, les interactions entre hommes et femmes sont surveillées. Quelques collèges à Chennai, dans le Tamil Nadu, interdisent l’interaction entre les hommes et les femmes à l’intérieur du campus. Ne pas respecter cette règle implique soit une amende d’une centaine de roupies minimum (l’équivalent de 2 €) soit un avertissement du personnel.
Ce qui est désolant, c’est que la plupart des parents préfère que leurs enfants étudient dans un environnement plus strict car ils sont convaincus que cela réduira les risques de distraction. En Inde, où les étudiants dépendent de leurs parents plus longtemps que leurs homologues occidentaux, ils n’ont pas d’autre choix que de respecter les souhaits de leurs parents. Les collèges profitent de cette situation pour attirer les étudiants et exhibent leur rigueur par le biais de publicités.

Une triste situation

La liste des règles à respecter est interminable. Les étudiants des écoles d’ingénieurs sont les plus affectés par les règles et les normes imposées. Certains collèges comme celui de St. Joseph ont rendu obligatoire pour les étudiants l’utilisation des transports et des logements propres au collège. Même la nourriture est fournie par l’école. « Nous sommes toujours tenus d’adhérer aux règles qu’ils ont établies. Si nous ne le faisons pas, le directeur de notre département pourrait saisir notre carte d’identité et demander à nos parents de venir le jour suivant pour fournir une explication », confesse un étudiant de ce collège qu souhaite rester anonyme. Ceci n’est pas un cas isolé dans le Tamil Nadu. Beaucoup d’écoles privées d’ingénieurs ont des règles similaires. Beaucoup de collèges « réputés » ont un système de régulations très rigide.

Les années passées à la fac, supposées être les meilleurs moments de la vie étudiante, sont contrôlées et régulées par le biais de règles toujours plus strictes. Les responsables des collèges doivent prendre le temps de réaliser que de telles règles ne sont d’aucune aide pour les élèves. Ils doivent aussi comprendre que les universités les plus renommées mondialement ne valorisent pas les codes vestimentaires, sauf en cas d’évènements spéciaux. Ces universités se focalisent plutôt sur l’éducation même des étudiants. Bien que le problème du code vestimentaire puisse sembler trivial, tout cela participe à une image plus globale de l’éducation en Inde. Il est grand temps que les collèges se détournent de leur obsession concernant le code vestimentaire pour se focaliser davantage sur la qualité de l’enseignement.

(1) En Inde, les « colleges » sont des écoles affiliées à une université régionale. Chaque collège est affilié à une université, cette université dirige ces collèges : elle décide du programme des cours, du règlement. Ces établissements n’offrent en général que des licences allant jusqu’à 4 ans d’études mais rarement des masters.  

(2) Vêtement traditionnel indien