"Lasqueti Terry". CréditTerry de Lasqueti.ca
Vivre hors-réseau, ou off-grid, est une pratique qui prend de l’ampleur aux États-Unis. On estime que plus de 180 000 américains adoptent actuellement ce mode de vie fondé sur les principes d’autosuffisance, de durabilité et d’indépendance vis-à-vis des réseaux d’électricité, de gaz et d’eau. À une heure de Vancouver en ferry, la totalité des habitants de l’île de Lasqueti suit ce modèle au quotidien.
Coupés de la BC Hydro, le réseau d’alimentation en eau, électricité et gaz, ils possèdent leurs propres sources d’énergie. S’il est moins rapide de faire réchauffer ses repas à l’aide d’un four solaire qu’avec un micro-ondes, les Lasquetiens ne s’en formalisent pas. Pour vivre en autarcie, il faut accepter de prendre son temps et de consacrer ses journées aux tâches permettant de satisfaire les besoins vitaux et d’assurer le confort quotidien. Le site de la communauté explique qu’aucun résident ne pourrait avoir un emploi à l’extérieur puisque chacun doit couper son bois de chauffage, s’occuper de la maintenance des systèmes d’énergie et cultiver son jardin. À première vue, ces conditions peuvent sembler précaires mais la réalité est toute autre. Si certains Lasquetiens s’orientent volontairement vers un style de vie proche de la nature, d’autres combinent avec succès autosuffisance et confort moderne. Vivre sur Lasqueti n’est pas nécessairement un retour en arrière et ses habitants sont loin de prêcher la décroissance. Au contraire, l’autosuffisance requiert une technologie de pointe et ce d’autant plus que les équipements doivent être à la fois fiables, respectueux de l’environnement et productifs.
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Déféquer à Lasqueti
« Aucun individu sain d’esprit ne devrait uriner et déféquer sous son propre toit, arroser le tout d’eau, si précieuse, pour ensuite s’en débarrasser dans les tuyaux d’évacuation » déclare Daniel, résident de l’île. Lorsque l’on adopte un mode de vie off-grid, les gestes les plus anodins prennent une toute autre dimension. Il n’est plus question de dépendre d’un système extérieur pour prendre en charge les aspects pratiques des actes quotidiens, et en l’occurrence des déjections. Dans son livre How To Shyte On Lasqueti (Comment déféquer à Lasqueti), Doug Hamilton décrit les tenants et aboutissants de l’évacuation des matières fécales sur cette île dépourvue d’égouts. Il indique comment adapter ses habitudes par des gestes simples qui respectent l’environnement de l’île, facilite le quotidien des habitants et s’avère même utile à l’entretien des cultures.
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Cet élément a priori anecdotique montre combien le modèle lasquetien, quoique viable, est paradoxal. Si un mode de vie plus proche de la nature est souhaitable au sein de nos sociétés, peut-on imaginer l’implantation de tels systèmes dans nos villes ? Quelle leçon peut-on tirer de ces aménagements spécifiques à l’île ? S’il est désirable pour certains d’évoluer vers ces genres d’alternatives à plus grande échelle, on peut se demander si la communauté lasquetienne se pose en exemple ou bien si elle ne se condamne pas à être isolée du reste du monde, en tant que simple exception.
Une ouverture ambiguë au reste du monde
Leur indépendance énergétique vis-à-vis du continent s’assortie de relations régulières avec l’extérieur, et notamment le Powell River Regional District, dont l’île dépend administrativement. Un service de ferry relie quotidiennement Lasqueti à False Bay. Les insulaires peuvent occasionnellement aller acheter des provisions de biens qu’on ne peut pas trouver sur l’île et les touristes de plus en plus nombreux viennent la visiter.
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Si les relations avec le continent sont donc sereines, le caractère marginal de ce mode de vie conduit à une lutte contre certaines normes que le district voudrait instaurer sur l’île. Un problème se pose notamment au niveau du système d’urgence. Le 26 février dernier, une assemblée du Powell River Regional District annonçait la connexion de l’île au réseau du 911. Jusqu’à présent, les urgences étaient gérées de l’intérieur par le service des pompiers de l’île. Cette situation n’est pas viable pour le district, pour lequel la liaison avec le 911 offrirait des réponses plus rapides et efficaces. En l’absence d’un raccord au réseau des urgences, il est délicat de déterminer à qui en incomberait la responsabilité si quelqu’un était gravement blessé.
Les insulaires demeurent sceptiques. En l’absence de routes à proprement parler sur l’île, ils estiment que l’implantation du 911 ne permettrait pas réellement de raccourcir le temps d’intervention. En somme, ils craignent que ce raccord à un réseau extérieur ne marque le début d’une autonomie moins complète vis-à-vis du continent, et ne menace leur mode de vie. « Tout ce que nous demandons, c’est que le comité repousse la prise de décision pour l’adoption finale de ces lois jusqu’à l’an prochain, après que les insulaires aient été consultés. Je vous prie de ne pas voter en faveur de ces lois à l’assemblée du moi de mars » demandait Andrew Fall, représentant des Lasquetiens.