Grèce : « Europe, gardez votre argent ! »

Dimitri Mézière, correspondant à Athènes
24 Septembre 2013


Portrait de Dimitris, 42 ans, habitant à Acharnai, en banlieue nord d'Athènes. Proche de la mouvance anarchiste, son témoignage s'inscrit dans la tendance générale à la radicalisation de la société grecque. Sur fond de crise politique, le parti néo-nazi Aube Dorée gagne lui aussi de l'influence alors que beaucoup de Grecs, sans espoir, ne savent comment réagir face à la crise qu'ils traversent.


Affiche antifasciste lors d'une manisfestation à Thessalonique | Crédits photo -- Dimitri Mézière/Le Journal International
Dimitris vit avec son fils, dans le quartier d'Athènes, un des plus touchés par la crise. Dimitris fait d'abord état de la défiance généralisée du peuple grec envers ses élites politiques. Pour lui, et pour beaucoup de Grecs, la corruption est commune à tout le personnel politique, qu'il soit de gauche comme de droite, PASOK comme Nouvelle Démocratie ou encore KKE. La crise que connaît le pays est en grande partie dû à la corruption de l’administration existante depuis 1974, date du retour à la « démocratie » et acceptée par le peuple en échange de quelques avantages.

Surfant sur cette crise économique et politique, le parti néo-nazi et « anti-système », Aube Dorée, fait de plus en plus d'adeptes. Aube Dorée est actuellement créditée de 13 % dans les sondages et compte déjà 18 sièges de députés au sein du Parlement. Dimitris et son fils ont tous deux fait l'expérience d'apprendre que plusieurs de leurs vieilles connaissances étaient devenu partisan d'Aube Dorée. Dimitris explique que le désespoir et l'oubli de l'histoire grecque contemporaine ont fait le lit des fascistes. D'après lui, ce sont des victimes de la crise, en perte de repères. Les étrangers, les junkies sont désignés comme des bouc-émissaires. Désormais ce sont les militants d'extrême gauche qui sont visés. Cette pratique constitue une stratégie électorale qui permet à Aube Dorée d'élargir peu à peu son cercle d'influence vers la droite conservatrice. La semaine dernière, huit communistes collant des affiches dans un quartier proche du Pirée ont été agressé par un groupe de néo-nazis. Mais surtout, le meurtre, dans la nuit du 17 au 18 septembre, du rappeur, Pavlos Fyssas, connu pour son engagement antifaciste et antiraciste, par un membre du parti Aube Dorée a soulevé la polémique dans tout le pays et à l'international.


UNE SITUATION ÉCONOMIQUE INÉGALITAIRE

Les positions vis-à-vis des aides de la Troïka et de l'Union Européenne sont également divergentes. Dimitris nous fait part de son point de vue. Pour lui, la crise grecque fait partie d'un mouvement néo-libéral plus large de délitement des acquis sociaux obtenus lors de la période d'après-guerre. S'inscrivant dans une politique ultra-libérale, la Troïka exige, contre une aide qui permet tout juste d'éviter la banqueroute, de réduire les déficits publics. Or, ces coupes budgétaires visent principalement les secteurs de la santé et de l'éducation, deux critères retenus pour calculer l'Indice de Développement Humain, deux bases essentielles à chaque individu pour vivre. Pour Dimitris, ce n'est certainement pas un hasard si ce sont ces deux foyers qui sont touchés.

Il s'agit ainsi de maintenir le peuple dans un certain cadre pour éviter toute menace de sa part. « Pourquoi ne pas réduire les dépenses dans le domaine militaire qui sont extrêmement importantes ? », s'indigne Dimitris. Il m'explique que sous prétexte de la « menace turque », la mobilisation militaire et le service militaire de 9 mois – pourtant très onéreux – sont maintenus. La part du budget alloué aux dépenses militaires en Grèce (de l'ordre de 3% du PIB) est en effet la deuxième plus importante au sein de l'OTAN, derrière celle des États-Unis …

Les multiples plans de sauvetages de la Troïka sont également sujets à discussion. Dimitris affirme que « Vous, l'Europe, vous, pouvez garder votre argent ! Elle ne nous aide pas ici ». Il me présente à un de ses amis d'enfance, actuellement employé au ministère du Tourisme, qui me dévoile l'emploi de l'aide de l'UE au sein de son ministère. Il m'explique que le ministère a décidé de rendre obligatoire pour les étudiants en tourisme, à la fin de leurs études, un stage de plusieurs heures par semaine, une sorte de contrat aidé. Cette mesure loin d’œuvrer à la reprise économique, précarise les jeunes travailleurs, et fournit aux grands hôtels de la main d’œuvre quasi-gratuite et surtout sans couverture d'assurance. À la fin de notre entretien, Dimitris ajoute « Avec la crise, les inégalités se creusent de plus en plus ».