Google maps, créateur de liens familiaux

Clotilde Lerévérend
24 Mai 2013


En Chine, les rapts d'enfants sont monnaie courante. Mais internet permet aux enfants devenus adultes et aux parents de se retrouver, même après 23 ans de séparation.


Un homme devant le poster signalant le rapt d'un enfant

Alors que Luo Gong, petit garçon de 5 ans, se rendait à l’école, il se fait kidnapper et est emmené dans une autre ville, dans la région de Fujian, à plus de 1000 kilomètres de sa maison. L'enfant ne connaissant pas le nom de sa ville d’origine, n’a donc aucun moyen de retourner chez lui. Vingt-trois années passent avant qu'Internet s'installe. Il se rend alors sur la plateforme Baobeihuijia, site destiné aux familles séparées, où il décide de lire les annonces et est informé qu’une famille a perdu son fils il y a 23 ans. Grâce aux internautes, il se rend sur l’annonce laissée par cette famille et décide de rentrer le nom de la ville dans Google Maps. En effet, le seul souvenir du lieu de son enfance est la présence de deux ponts dans son quartier. Avec Google Maps, il parcourt les rues de la ville et découvre les deux ponts en question. Il prend donc son courage à deux mains et se rend sur place. Et heureusement car il y a retrouvé sa famille.


Cette histoire, parmi tant d'autres, fait la lumière sur un phénomène courant en Chine, mais peu connu : le rapt d'enfant. Déjà il y a deux ans, l'histoire de Wenle avait ému le pays. Âgé de 3 ans, ce petit garçon avait été kidnappé en 2008, dans la ville méridionale de Shenzhen, près de l'échoppe de ses parents. Trois années après son enlèvement, le petit Wenle avait retrouvé sa famille, grâce à Internet. La seule trace du kidnapping était une vidéo de surveillance qui montrait un homme partant avec le petit garçon. Un journaliste avait alors publié sa photo sur son compte Sina Weibo, l'équivalent chinois de Twitter. Ceci a permis à un internaute d'identifier l'enfant. Des tests ADN ont ensuite confirmé le lien de parenté.


Une pratique courante, cautionnée par l'Etat

Selon les statistiques officielles entre 8 000 et 15 000 enfants, dont trois-quarts de garçons, disparaissent chaque année en Chine, victimes d’un « trafic humain » peu combattu par les autorités. Notons néanmoins que lorsqu'on se penche sur les chiffres donnés par le bureau du département d’État américain pour surveiller et combattre le trafic d’êtres humains, on constate que le nombre d’enfants victimes de ce trafic en Chine est compris entre 20 000 et 70 000 par an, soit beaucoup plus que les chiffres donnés par les autorités chinoises.

Personne ne semble lutter contre ce marché. Celui-ci découle de la politique de l’enfant unique. Cette politique a été à peu près acceptée dans les villes mais moins dans les campagnes, où la descendance est la seule assurance en cas de décés, de problème de santé ou simplement pour la vieillesse. Or, après leur mariage, les filles appartiennent à leur belle-famille, c'est donc les fils qui assurent les vieux jours de leurs parents. Dans beaucoup de villages, une famille sans héritier est souvent rejetée, méprisée par le voisinage. Et alors que beaucoup de paysans se sont enrichis, ils se posent la question de l’héritage. A qui transmettre lorsqu’on n’a pas de garçon ? Certains sont prêts à payer le prix fort, jusqu’à 5 000 euros, pour acheter un descendant. Il existe alors trois sortes d’acheteurs : les familles sans enfants, celles qui n’ont que des filles et celles qui ont un garçon, mais veulent avoir plusieurs descendants pour correspondre à l’image traditionnelle de la famille.

Les autorités locales ferment les yeux. Personne ou presque n’y trouve à redire, car finalement les parents adoptifs payent cher et prennent soin de l’enfant. Il n’existe d’ailleurs pratiquement aucune poursuite légale contre eux. Les rares qui se font démasquer ne sont pas condamnés. La pratique est donc tacitement autorisée. De même les ravisseurs ne risquent pas grand-chose puisqu'il existe peu de cas de condamnations, même si la loi prévoit la peine maximale pour les enlèvements d’enfants. 


Si Internet, unique espace de liberté d’expression, permet parfois de retrouver ses enfants, il n'est pas toutefois pas question de diffuser les images de l’enfant disparu. Toute manifestation, même la plus pacifique, est considérée comme un trouble à l’ordre public.