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Anna, jeune chef de projet issue de la classe moyenne arménienne, aborde le sujet du génocide presque dès notre rencontre, devant la statue-symbole de mère Arménie qui surplombe la capitale. Elle dit avoir grandi dans la haine des responsables du génocide et de leurs descendants, et en avoir pris conscience au cours d’un voyage à Moscou : assise dans le métro, elle regardait fixement un groupe de Turcs. L’un d’eux l'a interpellée et lui a demandé si elle était arménienne. Il avait lu sa nationalité dans son regard, peu chaleureux. Parce qu’elle ne voulait pas devenir à son tour aspirante bourreau, elle entreprit un voyage initiatique en Anatolie, là où des Arméniens vivaient depuis l’Antiquité avant d’être déportés et massacrés. « Tu sais, ici, chacun a son histoire familiale. Moi, c’est mon arrière-grand-père qui a vu ses sœurs égorgées sous ses yeux ; lorsqu’on te raconte de telles histoires au berceau, tu es incapable d’avoir une réflexion rationnelle sur le sujet. »
Une Arménie divisée
De son voyage, elle a gardé un souvenir aigre-doux. La vision d’une immensité désertique où se dressaient encore, il y a un peu plus de cent ans, des dizaines de villages arméniens décrits comme des merveilles par ses aïeuls, lui a « brisé le cœur » ; mais ses rencontres avec des Turcs finalement humains ont recollé les morceaux. Elle attend pourtant toujours les excuses d’Ankara, afin de pouvoir, enfin, faire le deuil de son passé.
Parmi les étudiants de l’université d’Erevan, dès que l’on lâche le mot « génocide », les remarques fusent. La classe est divisée : pour une partie, les Turcs d’aujourd’hui ne sont pas des ennemis, et certains les ont même trouvés sympathiques lors d’une rencontre internationale universitaire en Géorgie. L'autre moitié réplique que les Turcs n’ont pas de culture propre, ayant tout pillé dans les pays alentours. Le prof, qui me confie que l’opinion est courante en Arménie, a toutes les peines du monde à faire admettre à la partie opposée que toutes les cultures empruntent aux autres. « Les Turcs n’ont pas leur propre alphabet, ils n’ont pas de danses, pas de cuisine qui soient réellement à eux. C’est pour ça qu’ils sont manipulés par leur gouvernement. »
Parmi les étudiants de l’université d’Erevan, dès que l’on lâche le mot « génocide », les remarques fusent. La classe est divisée : pour une partie, les Turcs d’aujourd’hui ne sont pas des ennemis, et certains les ont même trouvés sympathiques lors d’une rencontre internationale universitaire en Géorgie. L'autre moitié réplique que les Turcs n’ont pas de culture propre, ayant tout pillé dans les pays alentours. Le prof, qui me confie que l’opinion est courante en Arménie, a toutes les peines du monde à faire admettre à la partie opposée que toutes les cultures empruntent aux autres. « Les Turcs n’ont pas leur propre alphabet, ils n’ont pas de danses, pas de cuisine qui soient réellement à eux. C’est pour ça qu’ils sont manipulés par leur gouvernement. »
Une réconciliation utopique
La normalisation des relations avec la Turquie cent ans après le début du génocide reste un objectif encore lointain et inaccessible. Pour le professeur Nareg Seferian, enseignant à l’université américaine d’Erevan, la réconciliation est compromise par le manque de volonté politique des parties concernées. Les États arméniens et turcs ne sont pas les seuls acteurs du drame qui se joue depuis cent ans : la diaspora arménienne, le corps religieux orthodoxe, les Arméniens de Turquie auront aussi leur mot à dire. Et au sein-même de la société arménienne, la question des réparations fait débat.
« Que voulons-nous en tant qu’Arméniens ? Simplement une reconnaissance du génocide ? Des excuses ? Des territoires ? Une compensation financière ? Changer la politique d’éducation turque ? L’exigence de plus de droits pour les minorités culturelles ou religieuses en Turquie ? Il y a un éventail de possibilités très large, et aucun consensus. ». En attendant la reconnaissance et la reprise des relations avec la Turquie, beaucoup s'accordent sur un point : la mémoire, ils continueront à la porter, et à la transmettre de génération en génération.
Anna poursuit en racontant son passage préféré de l’Histoire arménienne : alors que l’Arménie était encore une partie de l’URSS, les autorités soviétiques avaient tenté de supprimer petit à petit les commémorations du génocide pour gommer les différences nationales. Mais pour le cinquantenaire, le 24 avril 1965, plus de 100 000 personnes se sont rassemblées spontanément sur le parvis de l’opéra pour rendre hommage aux victimes, au son des : « Justice ! Nos terres ! ».
Cette manifestation fut non seulement la première dans toute l’Union soviétique, mais elle a également lancé la lutte pour la reconnaissance du génocide. Une reconnaissance qui, pour le centenaire, est encore loin d’être acquise.