Football Manager : au-delà du virtuel

5 Novembre 2013


Loin de l’univers FIFA et PES, Football Manager débarque avec son nouvel opus « FM14 », une référence dans le monde des jeux vidéo traitant du football. Basé sur une incroyable base de données de joueurs réalisée par une équipe de superviseurs, et d'une communauté des fans du jeu, FM dépasse l’aspect virtuel en aidant certains clubs professionnels à effectuer leur recrutement.


Crédits photo -- Tom Dulat/Getty Images
Football manager est LE jeu par excellence de management d’équipe de football. Pourtant, pas de manette, pas de contrôle des joueurs, pas de maniement de touches pour placer le retourné acrobatique pleine lucarne. L’aventure se passe derrière un ordinateur, devant des listes de statistiques, de chiffres, et autres graphiques. Le principe est simple : partir de rien, prendre la direction d’un club, et le mener au sommet du football mondial. Diriger le club signifie prendre le contrôle total : gestion financière, des salariés, entraînement détaillé, transferts. Le filon paraît déjà exploité à première vue, mais la force du jeu repose sur son réalisme. Chaque section du jeu est extrêmement détaillée, comme dans la réalité.

Une base de données unique au monde

Cependant, si l’on devait dégager la principale qualité de Football Manager, ce serait son incroyable base de données. Près de 400 000 joueurs sont référencés. Le développeur, Sports Interactive, dirigé par Miles Jacobson, s’arme de plus de 1500 scouts et superviseurs pour évaluer les quelques 250 caractéristiques objectives, comme sa taille ou son lieu de naissance, ou subjectives, sa capacité en passes, agilité, endurance notée sur 20, propre à chaque joueur. Tous les championnats sont représentés, des plus grands européens aux obscures compétitions des contrées lointaines. Devant cette richesse de joueurs, FM, pour les plus geeks, devient inépuisable et d’une durée de vie rare voire infinie, grâce aux fournées de joueurs générés par l’ordinateur chaque saison, nommés regen. Le jeu devient alors rapidement addictif, car complexe et tactique, entre prise de tête et stress.

La qualité de ce jeu provoque un engouement pour les fans. Ainsi, la communauté de joueurs ne résigne pas à la tâche d’aider SI Games à développer encore plus les opus – versions du jeu - et la base de données en créant des mises à jour, ainsi qu’en complétant la liste des championnats encore non exploités par le jeu. Les idées proposées par les fans sont exploitées par les développeurs pour améliorer d’année en année le jeu.

FM a su repérer nombre de jeunes joueurs à fort potentiel qui ont explosé ou qui explosent aujourd’hui, appelés les perles. Ces jeunes pépites évidemment réelles sont disponibles à faible coût au début du jeu et sont amenées à devenir des stars du ballon rond. Football Manager et ses scouts parient, en scrutant leurs matchs, en estimant leur potentiel, sur ces joueurs. Si à la base, le monde professionnel réel du football peut estimer que cette évaluation n’est que subjective, car faite par des développeurs de jeux vidéos, il en résulte que nombre de joueurs « scoutés » comme futur grand joueur dans le jeu dès leur plus jeune âge, ont réellement percé et sont aujourd’hui des stars du ballon rond. Ainsi, dès FM 2009, Marco Verratti, évoluant dans le faible club de Pescara en Italie, obtenait le profil de futur grand joueur mondial. Aujourd’hui, Verratti, qui joue au Paris-Saint-Germain, est pisté par les meilleurs clubs européens. On peut citer plusieurs dans le même cas de figure, comme Vincent Kompany, Eden Hazard, Gareth Bale, etc.

Repérer les talents cachés

Cependant, les jeunes joueurs à fort potentiel sont connus des clubs professionnels. La force de FM est aussi de repérer grâce au scoutisme les bons joueurs évoluant dans les championnats obscurs que ne connaissent pas les grands championnats. Ainsi, les joueurs de Football Manager peuvent, comme dans la réalité, découvrir de bons joueurs méconnus à faible coût, comme un club le ferait dans la réalité. Le suédois Kim Kallstrom était un bon joueur de FM évoluant en Suède, mais très peu connu en Europe occidentale. Lorsque Rennes achète le joueur en 2004, les addicts de FM connaissent déjà son nom. Là aussi, la liste n’est pas mince, Vucinic, Modric, Tevez, Kolarov étant aujourd’hui des joueurs reconnus. Dans FM 2007, Falcao, transféré cet été à Monaco pour la somme record de 60 millions d’euros, était déjà bien noté par les équipes de SI Games mais encore inconnu en Europe, chose que le club portugais du FC Porto rectifia en 2009 en débauchant le joueur de River Plate.

Si aujourd’hui la qualité de l’évaluation des joueurs ainsi que l’estimation du potentiel est de très bonne facture – il y a et aura toujours des variables ainsi que des éléments impossibles à appréhender -, la liste des futurs ballons d’or révélée par FM, qui n’ont pas confirmé dans la réalité, est longue. L’exemple le plus frappant est celui de Lebohang Mokoena. Ce Sud-Africain, évoluant dans son championnat national, représentait la perle par excellence de Football Manager, c’est à dire jeune, disponible tout de suite pour un prix dérisoire, et avec possibilité de le recruter même avec un club de seconde zone. Dans FM 2005 et 2006, le joueur évoluait de manière extraordinaire, scorant avec un ratio de plus d’un but par match au top de sa carrière. Ce joueur est tellement emblématique des perles Football Manager que la communauté de gamers l’a érigé en icône, avec cette phrase résolvant tous les problèmes de la vie : prends Mokoena. Un site hébergeur d’images portant son nom a même vu le jour sur la toile : mokoenashack, hébergeur officiel de la communauté Football Manager. Mais la vraie situation du joueur aujourd’hui est bien moins réjouissante. Originaire de Soweto, le bidonville cher à Nelson Mandela, Lebohang Mokoena évolue toujours dans le championnat sud-africain, n’y inscrivant qu’une vingtaine de buts durant sa carrière, et demeure inconnu du grand public.

Quand le virtuel s’inscrit dans le réel

Football manager est devenu une évidence pour tous les passionnés de football. Si bien que des clubs professionnels utilisent l’immense base de données développée par Miles Jacobson et ses scouts. Le club anglais d’Everton, basé à Liverpool, a été le premier club à avoir contracté officiellement un partenariat avec SI games pour obtenir, avant la sortie du jeu, la base de données de la prochaine version. En effet, les 250 données récoltées sur chaque joueur ne sont pas toutes inscrites dans le jeu, mais le club a pu en bénéficier.
Si cette base de données est évidemment retravaillée par l’équipe de recruteurs du club, elle permet de faire le « tri » et de cibler des joueurs pas forcément connus pour ensuite aller les observer. Le club français de l’OGC Nice a également utilisé la fameuse base de données pour recruter en 2011 l’Argentin Fabian Monzon, bon joueur FM depuis la décennie passée.

Si en France le jeu est connu des spécialistes du football, il connaît un succès bien plus important en Angleterre où le jeu est réalisé. Il est resté numéro un des ventes 20 semaines d’affilée. Après l’AFC Wimbledon, le club de Watford, ancien pensionnaire de première division anglaise et aujourd’hui à l’échelon inférieur, ne s’y est pas trompé. Il a signé un partenariat avec SI Games pour inscrire la marque Football Manager sur son maillot. Watford, club atypique, puisque détenu par la famille Pozzo, également propriétaire du club italien de l’Udinese et de Grenada en Espagne. La politique de ces trois clubs s’inscrit dans la lignée de la clé du succès dans Football Manager, c’est à dire une stratégie de formation de jeunes talents couplée à un contrôle strict des finances.

Olé Gunnar Solksjaer, ancienne gloire de Manchester United et aujourd’hui jeune entraîneur talentueux de Molde en Norvège, admet même d’y jouer. Le jeu dépasserait-il le cadre virtuel et s’affirmerait-il comme une manière d’évaluer son potentiel de manager ? Difficile d’y croire, Football Manager reste un jeu vidéo, avec ses scripts et ses réalités impossibles à retranscrire. Pourtant, le FC Bakou, club de première division d’Azerbaïdjan, a décidé de nommer l’année dernière Vugar Huseynzade, 21 ans, et 10 ans de Football Manager derrière lui. Un seul conseil à lui donner : prends Mokoena !