Fin du programme d'aide américain : ce que le Kirghizstan pourrait perdre

Novastan
13 Aout 2015


Le 21 juillet dernier, le Kirghizstan est revenu sur un accord très important avec les Etats-Unis, alors que le département d’Etat américain avait récompensé quelques jours plus tôt Azimjan Askarov du prix du « Défenseur des droits de l’homme ». Cette décision hâtive du gouvernement kirghiz pourrait mettre en danger des millions de dollars d’assistance de Washington et définitivement asseoir la crise économique du pays.


Plus de 75 000 fermiers ont reçu l'assistance de l'USAID. Crédits USAID
L’accord de 1993 signé avec les Etats-Unis encadrait l’aide financière et humanitaire de Washington à Bichkek. Depuis l’indépendance, celle-ci affiche un total de 2 milliards de dollars. En signant la révocation de ce traité le 21 juillet dernier, le Premier ministre du Kirghizstan Temir Sariev a engagé une rupture diplomatique avec les Etats-Unis qui pourrait fortement pénaliser le Kirghizstan.

Les Etats-Unis financent directement (à travers le programme USAID) et indirectement (à travers d’autres organisations y compris l’ONU) une vaste partie des programmes de développement au Kirghizstan. Ce qui lui a souvent valu le titre de « pays sous perfusion ». Ces billets verts sont destinés notamment aux secteurs de la santé, de l’éducation, de l’agriculture et de la sécurité.
USAID soutient des projets de développement lié à l'agriculture, la santé, l'éducation et la sécurité. Crédit USAID.

USAID a permis d'améliorer l'élevage au Kirghistan, en important des technologies ainsi que 200 vaches. Crédit USAID
La plus petite république d’Asie centrale est ainsi celle qui reçoit le plus d’aide du géant américain, selon le communiqué  de l'ambassade des Etats-Unis à Bichkek. Pourtant, les Etats-Unis y ont moins d’intérêts financiers que dans les pays voisins. Outre un sol moins riche, la fermeture de la base militaire de Manas en juin 2014  a entraîné la retrait définitif des troupes américaines.

L’ambassade des Etats-Unis au Kirghizstan s’est dite profondément déçue par cet acte politique. « Le Kirghizstan reçoit la plus importante assistance au développement en Asie centrale précisément parce qu’il partage les valeurs démocratiques des Etats-Unis, en créant des opportunités économiques pour ces citoyens et assurant une population éduquée et en bonne santé », a noté l’ambassade. Celle-ci souhaite voir prolongée l’aide américaine au Kirghizstan, mais le gouvernement kirghiz l’entend autrement. Le chef d’Etat Amalzbek Atambaïev a réaffirmé son soutien à la révocation de l’accord lors de sa dernière conférence de presse.

« Nous sommes un gouvernement indépendant », a rappelé  le Président Atambaïev lors d'une conférence de presse, catégorique jusqu’au dernier mot. « Nous ne nous inclinerons et ne nous agenouillerons devant personne. »

21 kilomètres d'irrigations et de canals ont été installés pour consolider les terres agricoles. Crédit USAID
L’homme fort du Kirghizstan soupçonne les Etats-Unis d’être à l’origine de troubles politiques et ethniques au Kirghizstan. « Ces tentatives de semer la division, le chaos et la déstabilisation nous indignent », a-t-il déclaré. Il craint que l’attribution du prix du « Défenseur des droits de l’homme » à Askarov ne ravive les ressentiments et revendications ouzbèkes. « On voit maintenant qui veut réellement un Kirghizstan paisible, prospère et stable, et qui veut le voir toujours en flammes. »

Un pas de plus vers Moscou ?

Alors que l’entrée du Kirghizstan dans l’Union eurasiatique est imminente, attendant encore la signature du Kazakhstan, cette rupture a été interprétée comme un énième pas de plus vers la Russie. Dans une interview donnée à IWPR, le politologue local Medet Tiulegenov comprend cette situation comme « une illustration de la confrontation grandissante entre l’Occident et la Russie ».

Pourtant, pendant cette même conférence de presse, Atambaïev a évoqué une possible fermeture de la base militaire russe de Kant, en banlieue de Bichkek : un signe, selon Eurasianet, d’une volonté d’indépendance totale du Kirghizstan. Quoi qu’il en soit, cette démonstration de force pourrait avoir de graves conséquences économiques sur le pays, déjà en lutte contre la pauvreté. La fin de la coopération américaine entraînerait avec elle celle de nombreux projets, ralentissant le développement et laissant des centaines de personnes sans emploi.
Lassistance américaine dans le secteur de l'agriculture. Crédit USAID

Agriculture : plus de 75 000 fermiers sous tutelle américaine

Voici quelques exemples, en chiffre, de l’assistance américaine au Kirghizstan depuis 1993. Entre 2011 et 2014 le Fond pour le développement économique a reversé plus de 20 000 000 dollars dans le secteur de l’agriculture. Cela a permis d'améliorer 55 000 hectares de terres cultivées, soit suffisamment pour produire plus de 100 000 tonnes de pommes de terre par an. USAID a aussi supervisé l'installation de 21 km de canaux d'irrigation sur les terres agricoles du Kirghizstan. 40 000 fermes ont reçu des semences de haute qualité, augmentant leur rendement et leur production. En tout, 400 tracteurs neufs ont été donnés aux fermiers. 
L'assistance américaine dans le secteur de l'économie et de l'infrastructure. Ici: aide matérielle pendant les violences de juin 2010. Crédit USAID

USAID reconstruit l'économie et l'infrastructure

Pendant les 5 dernières années, les organes gouvernementaux ont reçu 3,7 millions de dollars d'aide, soit 3,4 millions d'euros. 138 établissements d’enseignement ont été réparés et rénovés sous les projets de USAID. 44 feux de croisements ont été installés dans 5 villes au sud du pays, permettant de réduire les accidents de 58% à ces intersections. Un autre exemple d'assistance matérielle est l'installation de 24 transformateurs dans le sud du Kirghizstan. Les Etats-Unis ont également coopéré avec le Banque Nationale Kirghize pour créer un système d’audit et de comptes basés sur les standards internationaux.
Ici: programme « lisons ensemble ». Crédit USAID

Education : l'avenir est dans la lecture

Plus de 500 000 étudiants ont été reçus en études supérieures sur une base équitable, grâce à des tests nationaux élaborés avec le soutien des Etats-Unis. 250 000 écoliers du primaire ont pu apprendre à lire dans le cadre du projet « Lisons ensemble ». USAID a préparé 2 400 enfants des nouvelles banlieues de Bichkek à leur rentrée scolaire. Enfin, plus de 700 professeurs et personnels des universités ont reçu des formations sur les nouvelles méthodes pédagogiques, le time-management etc.
Assistance américaine dans le domaine de la santé. Crédit USAID

Santé : la mortalité infantile réduite de deux-tiers

Grâce à la vaccination et à la formation, le Kirghizstan était le seul pays d’Asie centrale qui n’a pas été touché par l’épidémie de polio en 2010. Le programme USAID pour les maternités et pédiatries a permis de réduire le taux de mortalité infantile de deux tiers. Aujourd'hui, 80% des citoyens du Kirghizstan ont accès aux services médicaux grâce à l’assurance médicale obligatoire, élaborée avec le soutien des Etats-Unis.
 

Vous pouvez consulter l’ensemble des projets USAID au Kirghizstan ici  (en russe) ou sur le site de l'ambassade des Etats-Unis au Kirghizstan (en anglais), ici et 

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