Crédit François Pesant
John Lavery est un ancien vétéran de la guerre du Vietnam. Cela fait douze ans qu'il vit dans la rue à New-York. Il est resté au Vietnam « neuf mois, deux semaines et deux jours ». Aujourd'hui, ses journées ne sont faites « de rien, de néant ». Il dort à même le sol dans des stations de métro, et une fois le jour levé il fait la manche dans le but de récolter les douze ou vingt dollars qui lui suffiront pour acheter sa dose de drogue quotidienne : héroïne ou marijuana. Il explique qu'il fume pour chercher la « paix intérieure ». La vie lui semble injuste. Ce qu'il vit, ce qu'il a vécu au Vietnam : « Personne ne devrait être puni comme ça, pas même Satan. Pas même Satan ne devrait avoir à endurer dix-huit années de néant », dit-il.
Mais John Lavery n'est aujourd'hui pas le seul dans cette situation. Il fait partie de ce qu'on pourrait appeler « l'ancienne génération », les sans domicile fixe issus de la guerre du Vietnam, auxquels se rajoutent les anciens combattants des guerres d'Irak et d'Afghanistan : « la nouvelle génération ». On estime aujourd'hui à un quart le nombre d'anciens combattants SDF. Pour les vétérans de la guerre du Vietnam, le retour aux Etats-unis s'est fait dans un contexte de crise sociale liée à la dénonciation du conflit, ce qui conduisit à une exclusion sociale importante. Quant aux guerres d'Irak et d'Afghanistan, la crise économique qui sévit n'aide en rien : on estime à 9,4% le taux de chômage pour les vétérans de ces deux guerres en 2013, deux cent mille d'entre eux ont perdu leur maison. Selon le sénateur de l'Etat de New-York, Charles Schumer, qui prend pour exemple New-York et Long Island où le nombre d'anciens combattants SDF est passé de douze à vingt-cinq mille individus en 2013, ce problème est une « honte » pour les Etats-Unis. « Nous ne pouvons oublier nos milliers de héros déçus par la faillite du système de l'administration des anciens combattants. »
Décryptage d'une dure réinsertion
Ce taux élevé d'anciens combattants aujourd'hui sans abri peut être expliqué par de multiples raisons qui sont souvent liées les unes aux autres. C'est ce qu'on pourrait appeler l'effet domino : les vétérans rentrent dans un pays qui ne les attend pas, la réinsertion sociale est ainsi dure pour ces personnes qui ont vécu des choses que peu peuvent comprendre. La réintégration sociale et familiale peut être compliquée également par des problèmes tels que l'alcoolisme, la drogue qui sont en lien direct avec les traumatismes découlant de telles guerres. Un ancien combattant sur six est diagnostiqué comme ayant des séquelles psychologiques, ce qu'on appelle PTSD (trouble de stress post-traumatique) allant de la dépression, à l'anxiété aiguë et aux pertes de mémoire.
Cela empêche ces personnes d'avoir une vie dite « normale », dans un pays qui les remercie mais ne peut pas comprendre leur douleur. Cela se ressent notamment lorsque ces vétérans essaient de trouver un emploi. Leur passé peut effrayer les employeurs. George Moriarty qui est chef adjoint du service emploi du Massachusetts conseille d'ailleurs « aux anciens d'Irak de ne pas parler du travail qu'ils faisaient, mais plutôt de mettre en avant leurs compétences en matière de commandement, de capacité à réagir très vite ». Des personnes telles que Patrick Doharty, trente-et-un ans et reconnu handicapé à 100% après quelques années en Irak, ne parviennent pas à trouver des emplois, ce qui retarde leur réinsertion dans la vie sociale. Pour Patrick Doharty, le seul moyen de surpasser son traumatisme est de discuter avec un ancien combattant de la guerre du Vietnam qui est, d'après Patrick, « le seul à même de me comprendre ».
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On observe que les militaires qui s'engagent dans de tels conflits sont jeunes : ils idéalisent l'idée d'un pays fort qui doit faire régner la justice. Mais leurs idéaux sont vite réduits en poussière, tandis que le traumatisme reste lui bien présent.
Des structures actives, mais qui ne suffisent pas
La gestion du problème qu'est la réinsertion des anciens combattants relève du département de la défense ainsi que du « Department of Veterans Affairs » (Ministère des anciens combattants). Le socle de ces institutions remonte à la seconde guerre mondiale lorsque le président Franklin D. Roosevelt signa en 1944 le « GI Bill of Rights » qui avait pour but de garantir un accès à l'éducation et la formation des vétérans, lutter contre le chômage ainsi que leur assurer des logements à petit prix.
Après la guerre du Vietnam, le nombre important de vétérans pousse le gouvernement du président Reagan à créer une nouvelle agence fédérale : le ministère des anciens combattants. Ce département, encore très actif aujourd'hui, est divisé en trois administrations distinctes : une qui gère l'accès aux soins médicaux, une autre qui s'occupe du soutien social et une dernière qui est en charge des cimetières nationaux. Ce ministère gère aujourd'hui cent cinquante-trois centre médicaux et huit cent soixante-quinze cliniques. On dénombre aussi deux cent trente-deux « Vet Centers » qui sont des équipes de soutien. A cela s'ajoute une aide financière : déductions d'impôts, réseau d'assurance Tricare qui dure six ou vingt-quatre mois.
Depuis son élection en 2009, Barack Obama s'est engagé sur plusieurs points concernant la réinsertion des anciens combattants. Il a ordonné la création d'une commission qui juge l'efficacité du système et met en avant ce qui peut être entrepris pour une meilleure réinsertion. De plus, le budget du Ministère des anciens combattants a augmenté de 15%. Les républicains et démocrates ont voté, sous le premier mandat d'Obama, une loi sur « l'embauche des héros » : cette loi accorde des réductions fiscales aux entreprises recrutant des anciens combattants.
Il faut aussi noter le rôle important des associations dans ce combat. Concernant le re-logement des anciens combattants les deux associations les plus actives sont « Homes for Our Troops » et « Volunteers of America ». De nombreux foyers pour anciens combattants existent également. On peut citer le « New-England », situé à Boston, qui peut accueillir jusqu'à trois cent-six personnes. Ce foyer qui accueille des hommes et des femmes âgés de vingt à quatre-vingt-cinq ans fut créé à l'initiative d'anciens combattants de la guerre du Vietnam.
Malgré un problème pris au sérieux aux Etats-Unis, et ce depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, le nombre de vétérans qui sont aujourd'hui sans abri est toujours très élevé. A ce problème de logement, et comme une conséquence à celui-ci, s'ajoute le problème du suicide. En effet, des études ont montré qu'un vétéran tente de se suicider toutes les vingt-quatre minutes. Ainsi, les anciens combattants des guerres du Vietnam, d'Irak et d'Afghanistan sont partis du pays plein d'espoir et de courage. La plupart ne reviennent sans rien, avec comme seul compagne leur « douleur » comme le dit si bien John Avery, vétéran de la guerre du Vietnam, héroïnomane et sans abri.