Photo : Andrew Burton, REUTERS || New York durant l’une des nombreuses manifestations organisées pour défendre Trayvon Martin contre l’impunité de son bourreau, Georges Zimmerman.
Sanford, Floride, le 26 février 2012. Trayvon Martin jeune afro-américain de 17 ans marche seul sous la pluie dans le quartier privé où vit son père. Georges Zimmerman coordonne les veilleurs volontaires chargés de la surveillance du voisinage. Il patrouille seul dans sa voiture. Très vite, il repère ce jeune homme, qui, selon lui, se comporte étrangement, peut-être sous l’effet de la drogue. Il semble errer inlassablement dans les rues de la copropriété, sans prêter attention à la pluie battante qui s’abat sur ses joues. Zimmerman s’inquiète du fait que le jeune homme jette des coups d’œil à toutes les habitations autour de lui. Le veilleur décide d’appeler la police locale, puis contre l’avis des forces de l’ordre, sort de sa voiture et se lance à la poursuite de Martin, qui s’enfuit en courant. Après le coup de fil au commissariat (consultable ici), Zimmerman et Martin finissent par se retrouver face à face. Une altercation violente s’en suit. Les circonstances restent extrêmement troubles. Lorsque les policiers arrivent sur les lieux, Zimmerman est au sol, le nez sérieusement amoché, des marques de lacérations à l’arrière du crâne. Le corps de Martin gît à l’endroit de l’altercation, mortellement touché à la poitrine par une balle tirée par Zimmerman. Le jeune homme de 17 ans, parti acheter des bonbons, ne rentrera jamais chez lui. Zimmerman clamera rapidement la légitime défense, affirmant avoir agi afin de stopper les coups d’un Trayvon Martin devenu incontrôlable.
Légitime défense, ou délit de « sale gueule » ?
Toute la problématique de l’affaire est de déterminer lequel des deux protagonistes a provoqué l’altercation. Au moment des faits, il semble que Martin était en train de téléphoner à un ami, et qu’il se soit inquiété d’être poursuivi sans raison par un inconnu. Et c’est bien sur les évènements qui se sont produits durant ces quelques obscures minutes que les 6 jurés, 5 femmes blanches et une Hispanique ont buté durant près de seize heures de délibérations. Martin a-t-il agi ou réagi ? Lequel des deux hommes s’est rué sur l’autre ? Martin a-t-il été la malheureuse victime d’un délit de faciès, ou était-il réellement dangereux pour le voisinage ? Peu tend à soutenir la thèse d’un Martin violent ou hors la loi. Hormis quelques incidents liés à des graffitis et une possession de cannabis, son casier judiciaire était complètement vierge avant les faits. Cela n’a néanmoins pas empêché les jurés de soutenir la thèse de la légitime défense dès le début de l’enquête. Zimmerman n’a d’ailleurs jamais vraiment été inquiété juste après les faits. Tout au long du procès, la justice l’a considéré comme la victime malheureuse d’une rencontre dont il se serait bien passé. Le problème n’a jamais été le comportement de Zimmerman, mais plutôt une rencontre peu fortuite avec un individu à l’air un peu trop menaçant pour qu’on le laisse marcher tranquillement dans la rue. La nuit passée, les jurés ont tranché et livré le verdict : Zimmerman est non coupable et a agi uniquement sous le coup de la légitime défense. Tous les chefs d’accusation sont abandonnés. Il peut rentrer chez lui, comme si rien ne s’était passé.
Un procès imprégné de problèmes raciaux pourtant peu mis en avant
Très rapidement, les médias américains se sont pris de passion pour cette affaire qui rappelle celle de la mort du jeune Oscar Grant, noir américain tué par un policier à Oakland en 2009. Celui-ci ne fût condamné qu’à deux ans de rétention, peine très faible pour un crime de ce type. Et comment ne pas penser à Emmet Till, jeune garçon noir de 14 ans, lynché en 1955 dans une barbarie indicible par deux bourreaux blancs qui n’ont jamais été inquiétés pour leur crime ? Le procès n’avait alors pas duré plus de 67 minutes, ruiné de bout en bout par un racisme sudiste des plus révoltants. Ces deux injustices ne sont malheureusement que des exemples choisis parmi bien d’autres procès douteux, dont certains récents. Tuer un noir aux États-Unis a longtemps été passible de peines bien plus légères que lors de crimes contre des blancs. Et c’est en cela que la mort de Trayvon Martin a choqué une part importante de l’opinion publique et des médias. Elle apparaît pour beaucoup comme une piqure de rappel douloureuse, amère, et inquiétante. Dans son éditorial pour le New Yorker, Jelani Cobb, expert en American Studies, a pointé du doigt cette troublante répétition des faits : « Peut-être que l’histoire ne se répète pas exactement de la même manière, mais elle est sujette à de très longues paraphrases. Bien longtemps avant que le jury n’annonce sa décision, beaucoup de gens savaient déjà à quoi ressemblerait l’issue de ce procès, qu’elle serait un étrange écho aux mots que Zimmerman a prononcés durant cette nuit pluvieuse (…) : “Ils finissent toujours par s’en sortir” »
La question centrale était peut être celle-ci : Que se serait-il passé si Martin avait été blanc ? Zimmerman aurait-il alors pris la peine de le suivre et de l’inquiéter ? C’est l’un des points que l’enquête a le moins considéré. Il était pourtant fondamental. La peur de Zimmerman a été acquise dès le début et a justifié le reste des faits sans susciter d’interrogations supplémentaires. Or, une enquête réalisée par Associated Press en 2012 a montré que 56 % des Américains s’estimaient encore menacés par leurs voisins noirs, et ce, en général, uniquement par le simple fait de leur couleur de peau. Zimmerman faisait-il partie de ces 56 % de paranoïaques (un brin) racistes ? Certainement. Si ce procès révolte, c’est bel et bien parce qu’il justifie les actes de ces criminels angoissés et paranos, encore bercés par des craintes racistes aussi vieilles que l’Amérique. L’Afro-Américain effraie à plus de la moitié de la population américaine et les tribunaux ne sont pas encore capables de rendre justice en prenant en compte ces délits de faciès à peine masqués. Qu’en sera-t-il des Zimmerman de demain, qui provoqueront de tels affrontements douteux et finiront par tuer impunément en invoquant la légitime défense ? À cause de cela, des milliers de manifestants se sont rassemblés dans les grandes villes du pays peu après le crime. C’est aussi dans cette veine que nombre d’entre eux se sont réunis aux portes du palais de justice hier soir et qu’ils chantaient « No justice, no peace ».
Malheureusement, la justice américaine a encore montré qu’elle ne jouissait pas d’outils adaptés pour trancher ce type d’affaires. Comme les manifestants l’ont si bien dit, tant qu’il n’y aura pas de justice, la paix ne pourra pas exister. D’autres Trayvon Martin seront pris pour cibles injustement, certains manifestants afro-américains exprimeront leur ressentiment pour cette justice douteuse de manière frontale, et des esprits inquiets finiront bien à leur tour par prendre peur de ces Noirs-Américains exaspérés. Dans ce procès, la peur de l’autre a débouché sur la pire des injustices judiciaires. Or l’injustice est le meilleur ingrédient de la haine, et la haine de la peur. Vous saisissez le cercle vicieux ?
La question centrale était peut être celle-ci : Que se serait-il passé si Martin avait été blanc ? Zimmerman aurait-il alors pris la peine de le suivre et de l’inquiéter ? C’est l’un des points que l’enquête a le moins considéré. Il était pourtant fondamental. La peur de Zimmerman a été acquise dès le début et a justifié le reste des faits sans susciter d’interrogations supplémentaires. Or, une enquête réalisée par Associated Press en 2012 a montré que 56 % des Américains s’estimaient encore menacés par leurs voisins noirs, et ce, en général, uniquement par le simple fait de leur couleur de peau. Zimmerman faisait-il partie de ces 56 % de paranoïaques (un brin) racistes ? Certainement. Si ce procès révolte, c’est bel et bien parce qu’il justifie les actes de ces criminels angoissés et paranos, encore bercés par des craintes racistes aussi vieilles que l’Amérique. L’Afro-Américain effraie à plus de la moitié de la population américaine et les tribunaux ne sont pas encore capables de rendre justice en prenant en compte ces délits de faciès à peine masqués. Qu’en sera-t-il des Zimmerman de demain, qui provoqueront de tels affrontements douteux et finiront par tuer impunément en invoquant la légitime défense ? À cause de cela, des milliers de manifestants se sont rassemblés dans les grandes villes du pays peu après le crime. C’est aussi dans cette veine que nombre d’entre eux se sont réunis aux portes du palais de justice hier soir et qu’ils chantaient « No justice, no peace ».
Malheureusement, la justice américaine a encore montré qu’elle ne jouissait pas d’outils adaptés pour trancher ce type d’affaires. Comme les manifestants l’ont si bien dit, tant qu’il n’y aura pas de justice, la paix ne pourra pas exister. D’autres Trayvon Martin seront pris pour cibles injustement, certains manifestants afro-américains exprimeront leur ressentiment pour cette justice douteuse de manière frontale, et des esprits inquiets finiront bien à leur tour par prendre peur de ces Noirs-Américains exaspérés. Dans ce procès, la peur de l’autre a débouché sur la pire des injustices judiciaires. Or l’injustice est le meilleur ingrédient de la haine, et la haine de la peur. Vous saisissez le cercle vicieux ?