États-Unis/Brésil, entre espionnage et diplomatie

Vinícius Mendes, traduit par Andressa Pellanda
23 Octobre 2013


Dilma Rousseff, la présidente du Brésil, n’utilise que très peu les nouvelles technologies au quotidien pour remplir sa fonction présidentielle. Révélations faites par son secrétaire général, Gilberto Carvalho, dans une interview parue dans le magazine brésilien Veja, le plus important tirage du pays.


Crédits Photo -- SIPA USA/SIPA
Plusieurs fonctionnaires du Palácio do Planalto, siège du gouvernement à Brasilia, capitale du Brésil, affirment que lorsque la Présidente souhaite s'entretenir avec un de ses ministres, le plus souvent, elle choisit de les contacter par téléphone pour les convoquer à des réunions dans son bureau. Son portable ne lui sert rarement pour son travail, celui-ci la Présidente l'utilise avant tout pour parler à sa famille.

Installé sur son bureau, son ordinateur ne lui sert uniquement qu’à lire les journaux et ses e-mails. Et pourtant, elle n’y répond « à peine », comme elle l'a avoué dans une récente interview à la télévision. Dilma préfère résoudre les problèmes en tête à tête. La présidente n'aime pas les réseaux sociaux. Très actif pendant les élections présidentielles de 2010, son profil Twitter a été très rapidement abandonné après son arrivée au pouvoir. Sur Facebook, Dilma Rousseff possède sa page, suivie par plus de 30 000 personnes, et mise à jour quotidiennement par le Parti des Travailleurs. Sur le web, les équipes de la Présidente sont responsables des publications quotidiennes relatives à son agenda et aux actions du gouvernement.

Nul doute qu'en juillet dernier, Dilma Rousseff a été probablement surprise d’apprendre par un reportage de TV Globo, que les États-Unis, par l'intermédiaire de la NSA (National Security Agency), espionnaient ses appels téléphoniques, ses courriers électroniques, en plus de ceux d'une bonne partie de ses alliés politiques.

Le reportage a été réalisé par le journaliste américain, Glenn Greenwald, qui vit à Rio de Janeiro. C’est le tout premier à publier les documents secrets obtenus par l'ex-analyste américain, Edward Snowden, de l'agence de renseignement américaine, désormais exilé à Moscou. En plus du gouvernement, les États-Unis ont aussi espionné des consulats, des citoyens ordinaires et la société pétrolière d’État brésilienne, Petrobras, considérée la quatrième plus grande société dans le monde, selon les documents divulgués.

Cette « mauvaise surprise » a provoqué la colère de Dilma Rousseff, causant des dommages diplomatiques sans précédent. Au moment même où les deux pays partagent des intérêts communs, les tensions entre la Maison Blanche et l'État brésilien n’ont jamais été aussi papables. La présidente brésilienne a annulé sa visite d’État prévu le 23 octobre prochain, à Washington. Aucune autre date n’a pourtant été envisagée.

Le pétrole au cœur des enjeux

Au Brésil, l'espionnage de la NSA pourrait s’expliquer par la question du pétrole : « Je n'ai aucun doute sur le fait que le Brésil soit la cible majeure des États-Unis. L'objectif de ses actes d'espionnage est, sûrement, pour l'obtention d'avantages industriels, et aussi pour des raisons de sécurité nationale », a déclaré Glenn Greenwald dans une interview pour le site brésilien UOL, au début de septembre.

Le Sénat a créé une commission d'enquête spéciale sur le sujet à la fin du mois dernier, afin d'établir que les États-Unis ont eu recours à un espionnage industriel de masse. Les parlementaires ont commencé leurs enquêtes en s’entretenant avec la présidente de Petrobras, Maria Graça Foster. Cette dernière a nié la violation des données de l’entreprise, mais a révélé un fait important : 36 des entreprises qui travaillent pour la sécurité des données et des informations au sein de Petrobras, 14 sont américaines, et la plupart d'entre elles utilisent des technologies développées aux États-Unis. Jusqu'à la fin des travaux, les sénateurs veulent entendre plus de 30 personnes, y compris des ambassadeurs, des membres du gouvernement américain au Brésil et même des employés de géants de l'internet comme Google.

L'intérêt mondial sur les ressources pétrolières brésiliennes est récent. Il y a six ans, Petrobras a découvert un champ de pétrole d'environ 800 kilomètres de long et de 200 kilomètres de large, qui occupe presque toute la côte du pays. Il est situé dans la couche du pré-sel et englobe cinq régions brésiliennes. On estime qu'il y a plus de 80 milliards de barils de pétrole et de gaz dans ce bassin. Une quantité importante, qui peut faire du Brésil, un pays privilégié, avec la sixième plus importante réserve du monde. Depuis cette découverte, en 2007, le gouvernement brésilien connait des maux de tête sur les questions de la répartition des bénéfices et des droits d'exploitation entre les différents États où il y a le pré-sel. Les exploitations sur les nouveaux domaines n'ont pas encore commencé.

Les États-Unis sont les plus grands consommateurs de pétrole dans le monde, responsable d'environ 19,8% de ce qui a été produit en 2012, selon une étude réalisée par la British Petroleum Company. Il est également le plus gros importateur de pétrole auprès des 12 pays membres de l'OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole). Étant le principal partenaire commercial de cinq d'entre eux, y compris le Venezuela - qui a également été espionné.

Cette année, la soif nord-américaine pour le liquide noir brésilien a diminué. Selon le Ministère du Commerce Extérieur du Brésil, les ventes de pétrole aux États-Unis entre janvier et juin de cette année ont été inférieures de 58 % à celles enregistrées à la même période l'an dernier. Les exportations ont totalisé 1,5 milliard de dollars (3,4 milliards de réals, monnaie brésilienne), comparativement à 3,7 milliards de dollars (8,3 milliards de réals) au cours des six premiers mois de 2012. Cette baisse s'explique comme étant un des effets immédiats de la très médiatisée « révolution énergétique », qui a commencé avec l'expansion des gaz de schiste américains, réduisant considérablement la demande américaine de pétrole.

Barack Obama s’est expliqué tout d’abord par téléphone avec la présidente Dilma Rousseff après leur rencontre à la fin août à Saint-Pétersbourg au sommet du G20. Le président américain assure que la préoccupation des États-Unis concernait des mouvements terroristes sur le territoire brésilien. C'est, jusqu'à présent, la version officielle donnée sur l'espionnage non seulement du Brésil, mais aussi dans des pays comme l'Argentine, l'Équateur, le Venezuela et la Colombie. Il est toute fois évident pour le gouvernement brésilien et ses homologues sud-américains que les motivations étatsuniennes ne se limitent pas aux seuls enjeux de sécurité et antiterrorisme.

Les relations entre le Brésil et les États-Unis

« La souveraineté peut-elle exister au Brésil alors que tous ses moyens de communication sont surveillés ? », a interrogé à distance le fondateur de Wikileaks, Julian Assange, dans un débat sur la liberté sur internet, qui s'est déroulé à São Paulo le 18 septembre dernier. Bien que l'espionnage américain au Brésil n'ait pas affecté profondément les relations entre les deux pays, les deux nations sont quand même temporairement séparées. Depuis l'élection de Lula (Luiz Inácio Lula da Silva, l'ex-président du Brésil) en 2002, les choix diplomatiques de la politique étrangère brésilienne ont changé. Le Brésil s'est rapproché des discours anti-impérialistes de ses compatriotes sud-américains. Comme Evo Morales, président de la Bolivie, et Hugo Chávez du Venezuela, l'État brésilien s'est positionné contre une intervention américaine en Syrie et en Iran. Depuis 2008 une négociation tendue avec Washington sur l'achat d'avions de chasse pour l'Armée de l'Air brésilienne, empoisonne un peu plus les relations entre les deux pays.

À la fin de septembre, le journaliste cubain, Carlos Alberto Montaner qui vit en Espagne, a publié une interview sur le Miami Herald d'un ancien ambassadeur américain au Brésil. Celui-ci confié que « du point de vue de Washington, le gouvernement brésilien n'est pas exactement un gouvernement ami. Le Brésil, par définition et par son histoire, est un pays ami - qui nous a accompagnés dans la Seconde Guerre mondiale et à la Guerre de Corée - mais le gouvernement actuel ne l'est plus ».

Autre motivation de cette distance entre les États-Unis et le Brésil: la Chine. Depuis 2009, le géant asiatique a pris la place des États-Unis comme le plus grand partenaire commercial du Brésil, malgré les inconstances du marché international. En 2012, 15,3% des importations chinoises provenaient du Brésil, contre 14,6% pour les États-Unis, une tendance qui devrait se renforcer dans les années à venir, selon les économistes.

La relation bilatérale continuera probablement sur la même orientation, même après les investigations sur l’espionnage qui sont en cours dans les deux pays. Dilma s’est exprimée dernièrement à l'Assemblée Générale des Nations Unies, à New York. « La relation stratégique entre les deux pays dépasse le cas de l'espionnage. Elle a sa propre dynamique. Il serait possible d'augmenter le niveau de relation et je crois que c'est aussi la volonté du président Barack Obama, mais les conditions pour cela doivent être construites », a conclu la présidente.