Esclaves kirghizes : le prix de la liberté

La rédaction de FranceKoul
11 Juillet 2013


La pauvreté et le chômage ont poussé de nombreux citoyens kirghizes à partir à l'étranger pour gagner leur vie. Des employeurs sans scrupules, profitant de la situation financière difficile des migrants, les attirent en leur promettant un hébergement gratuit et des salaires décents. Nombreux sont ceux qui acceptent de travailler illégalement et qui finissent souvent par tomber dans l'esclavage.


Kirghiz Portrait - Jety Oguz © All Rights Reserved
En 2012, selon l'ambassade du Kirghizstan à Moscou, 543 000 migrants kirghizes travaillaient en Russie. Parmi eux, seuls 106 000 avaient reçu l'autorisation de travailler, tandis que 70 000 ont acquis une licence de travail sur le tard. Toutefois, plusieurs sources non officielles rapportent que le nombre de travailleurs migrants kirghizes s'élèverait actuellement entre 800 000 et un million. Âgés de 18 à 35 ans, ces travailleurs font le choix de partir pour des pays proches ou lointains dans l'espoir de trouver un moyen de gagner leur vie.

« Un piège pour les migrants »

Les victimes potentielles des « trafiquants de travail » sont les chômeurs, les femmes seules, devant nourrir des enfants en bas âge, ainsi que des jeunes peu au fait des réalités du monde du travail. Les « employeurs » promettent de s'occuper des migrants en seulement quelques jours. Ceux qui n'ont pas une éducation particulière acceptent n'importe quel travail. En général, les femmes travaillent comme aides-soignantes ou femmes de ménage, les hommes comme ouvriers sur les chantiers. Des offres alléchantes, comme « vous n'avez pas à payer quoi que ce soit », « vous nous rendrez l'argent plus tard » ou encore « ne laissez pas passer la chance de votre vie ». Les migrants acceptent souvent sans sourciller. En échange de ces « conditions idéales », les travailleurs se voient confisquer leur passeport et sont obligés de travailler pour payer le coût du voyage, de l'hébergement et des repas. Après 2 ou 3 mois, ils comprennent qu'ils sont tombés dans l'esclavage.

C'est ce qui est arrivé à Jazgul. Son mari est alcoolique et la bat régulièrement. Avec un enfant à sa charge, elle n'a pas la possibilité de regagner son village pour assurer sa survie et divorcer. Poussée par le désespoir, Jazgul décide de partir travailler à l'étranger. Une « bonne connaissance » lui propose de travailler au Kazakhstan pour un salaire convenable. Comment refuser ? À peine arrivée sur place, les « employeurs » lui prennent son passeport et ses papiers et la forcent de s'occuper à faire paître du bétail. Jazgul est séquestrée avec son enfant dans une cabane sale, pratiquement sans nourriture. Elle n'a jamais aperçu la couleur de l'argent promis. Quelques semaines plus tard, elle a pu s'enfuir et retourner au Kirghizstan.

L'histoire de Marat est presque identique. Un « ami » lui fait savoir qu'il y a du travail bien payé, là aussi au Kazakhstan. Une fois Marat arrivé, ses « employeurs » lui prennent son passeport, soi-disant pour le mettre en lieu sûr. Marat va alors travailler 4 mois dans une plantation de tabac. Quand il demande sa paie, il est roué de coups et jeté à la rue. De telles histoires sont légion et se ressemblent toutes. La structure même du réseau employé par les « trafiquants de travail » est toujours identique, avec, à chaque fois, des recruteurs, des passeurs, des exploiteurs et des maîtres. Il est pratiquement impossible d’identifier les chefs de ces groupes, dans la mesure où leurs dirigeants sont haut placés et couverts par les forces de l'ordre. Selon des données préliminaires de l'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), au cours des 10 dernières années, la traite des êtres humains n'a été retenue comme charge qu'à deux ou trois reprises, pour des proxénètes et des recruteurs. Tous les autres s'en sont tirés avec des amendes administratives.

« Dans notre centre de crise, nous effectuons un travail de reconstruction et de réintégration des victimes de la traite des êtres humains. Grâce aux donateurs étrangers, ces derniers vivent en sécurité dans des logements sociaux. Hélas, ils ne sont pas protégés par la loi. Alors qu'un recruteur peut avoir six avocats, les victimes, elles, ne peuvent même pas en payer un seul », nous confie le responsable d'un centre de réinsertion. Les victimes du trafic d'êtres humains ne croient pas en la justice. La plupart d'entre elles n'osent même pas s'adresser aux forces de l'ordre, craignant la stigmatisation et la honte. Selon Jana Saliyeva, coordinatrice du programme concernant les questions relatives à la traite des êtres humains de l'OIM, le problème prend de l'ampleur au Kirghizstan, et sa résolution implique obligatoirement un soutien gouvernemental. « Le problème de la traite des êtres humains doit être abordé au niveau législatif. Nous n'avons pas de stratégie pour la politique migratoire et il n'existe aucun plan d'action national contre la traite des êtres humains », conclut la spécialiste.