Revue militaire en Érythrée pendant les conflits frontaliers récents avec l'Éthiopie, REUTERS / Jacques Kimball
Le 21 janvier dernier, le ministère de l’information érythréen à Asmara, la capitale, est pris d’assaut par des mutins de l’armée régulière. Personne ne sait ce qui se passe, la télévision officielle diffuse un programme musical. Après plusieurs jours d’incertitudes, on apprend que les mutins ont quitté le ministère. Le coup d’État n’a pas eu lieu, Issayas Afewerki est toujours au pouvoir. On ne sait rien de plus. Faute de presse indépendante sur place, faute de pouvoir accéder au pays avec une carte de presse. Pourtant, tout semble annoncer l’éclatement d’un conflit. Analyse des étincelles qui pourraient bien faire exploser une nouvelle fois la poudrière qu’est la Corne d’Afrique.
La lutte pour l’indépendance
L’Érythrée est indépendante depuis 1993 seulement. Ce pays de la Corne d’Afrique bordant la Mer Rouge a d’abord été colonisé à la fin du XIXe siècle par l’Italie, en retard dans la course aux colonies. Après avoir pris une partie de la Somalie et l’Érythrée, les Italiens échouent dans la conquête du royaume d’Éthiopie. L’Érythrée prend alors sa forme actuelle en devenant une base italienne en Afrique de l’Est. Sous le régime de Mussolini, l’Italie tente une nouvelle fois d’envahir l’Éthiopie, la Seconde Guerre mondiale éclate. Dans l’offensive, l’Italie fait appel à des soldats érythréens. Avec la défaite de 1945, elle perd toutes ses colonies au profit des Britanniques. En 1952, les négociations entre Grande Bretagne, Italie, Éthiopie et Érythrée pour l’accession à l’indépendance des pays africains n’aboutissent pas. Arbitrairement, l’ONU décide de regrouper l’Éthiopie et l’Érythrée en une fédération d’États autonomes ce qui permet à l’Éthiopie de bénéficier d’un accès à la mer. Mais la fédération se transforme vite en une annexion de l’Érythrée par l’Éthiopie, alors dirigée d’une main de fer par le dernier Negus (Roi des éthiopiens). La rébellion s’organise à partir de 1958 en Érythrée pour renverser le régime et recouvrer l’indépendance. Les exilés, les maquisards de différents mouvements se revendiquant du marxisme mènent la bataille. En tête, le FPLE (Front pour la libération de l’Érythrée) dirigé par Issayas Afewerki. Malgré la répression, le mouvement gagne du terrain et renverse le régime éthiopien à fin des années 1980, date à laquelle l’Éthiopie est abandonnée par son allié l’URSS.
En 1993, Issayas Afewerki prend la tête de l’État érythréen. Des gouvernements alliés sont alors à la tête de l’Éthiopie et de la nouvelle Érythrée indépendante, pourtant les conflits territoriaux enterrés depuis l’annexion ressurgissent. Une guerre entre l’Érythrée et l’Éthiopie éclate entre 1997 et 2000 faisant entre 70 000 et 100 000 morts. Depuis, la guerre ouverte a fait place à une guerre froide ponctuée par des affrontements aux frontières, comme le dernier en mars 2012. L’Érythrée reproche à l’Éthiopie sa position colonialiste. Mais le conflit est territorial et économique, l’Éthiopie ne dispose pas de sortie sur la mer, et passe désormais par Djibouti pour l’exportation et l’importation. Ainsi l’Érythrée est-elle aussi en guerre larvée avec Djibouti depuis 2007.
En 1993, Issayas Afewerki prend la tête de l’État érythréen. Des gouvernements alliés sont alors à la tête de l’Éthiopie et de la nouvelle Érythrée indépendante, pourtant les conflits territoriaux enterrés depuis l’annexion ressurgissent. Une guerre entre l’Érythrée et l’Éthiopie éclate entre 1997 et 2000 faisant entre 70 000 et 100 000 morts. Depuis, la guerre ouverte a fait place à une guerre froide ponctuée par des affrontements aux frontières, comme le dernier en mars 2012. L’Érythrée reproche à l’Éthiopie sa position colonialiste. Mais le conflit est territorial et économique, l’Éthiopie ne dispose pas de sortie sur la mer, et passe désormais par Djibouti pour l’exportation et l’importation. Ainsi l’Érythrée est-elle aussi en guerre larvée avec Djibouti depuis 2007.
Ce lourd historique de lutte pour l’indépendance a permis à Issayas Afewerki de légitimer son pouvoir depuis maintenant vingt ans. Il use d’une politique basée sur la méfiance vis-à-vis des instances internationales, complices de son annexion, et le rejet de ses voisins, alliés de son grand ennemi, l’Éthiopie. Depuis 1993, Afewerki a progressivement fermé le pays, prônant l’autosuffisance économique, se proposant comme un modèle pour l’Afrique. Un modèle de dictature pour ses opposants.
Le 11 septembre 2001, alors que le monde a les yeux tournés vers les États-Unis, Issayas Afewerki opère une purge sans précédent au sein de son régime. Les voix discordantes, qui appelaient dans une lettre ouverte à une ouverture du pays sont éliminées. La presse est muselée, les journalistes arrêtés dans le silence général. Depuis le totalitarisme le plus sombre semble régner sur ce pays de 5 millions d’habitants. De nombreux Érythréens quittent leur pays pour échapper à la conscription forcée.
L’Érythrée se sent isolée, entourée d’ennemis et a développé selon Roland Marchal une diplomatie « obsidionale » avec le sentiment d’être assiégé en permanence par ses ennemis. Le maitre mot de cette politique est « l’ennemi de mon ennemi est mon ami ». Une diplomatie jugée « dangereuse », facteur « d’instabilité régionale » par les instances internationales qui émettent régulièrement des sanctions à l’encontre de l’État, accusant notamment le régime d’entretenir les shebabs somaliens, groupes islamistes qui déstabilisent les instances étatiques somaliennes, quasi inexistantes. On lui reproche d’aider les mouvements qui déstabilisent ses adversaires pour maintenir sa position régionale.
À l’ennemi extérieur s’ajoute un ennemi intérieur encore mal défini. Le magazine Slate rapportait il y a quelques mois la distribution de Kalachnikovs à la population érythréenne par le gouvernement. Une mesure qui inquiète la diaspora. La Corne d’Afrique est une poudrière et l’Érythrée pourrait être le détonateur d’un nouveau conflit
Le 11 septembre 2001, alors que le monde a les yeux tournés vers les États-Unis, Issayas Afewerki opère une purge sans précédent au sein de son régime. Les voix discordantes, qui appelaient dans une lettre ouverte à une ouverture du pays sont éliminées. La presse est muselée, les journalistes arrêtés dans le silence général. Depuis le totalitarisme le plus sombre semble régner sur ce pays de 5 millions d’habitants. De nombreux Érythréens quittent leur pays pour échapper à la conscription forcée.
L’Érythrée se sent isolée, entourée d’ennemis et a développé selon Roland Marchal une diplomatie « obsidionale » avec le sentiment d’être assiégé en permanence par ses ennemis. Le maitre mot de cette politique est « l’ennemi de mon ennemi est mon ami ». Une diplomatie jugée « dangereuse », facteur « d’instabilité régionale » par les instances internationales qui émettent régulièrement des sanctions à l’encontre de l’État, accusant notamment le régime d’entretenir les shebabs somaliens, groupes islamistes qui déstabilisent les instances étatiques somaliennes, quasi inexistantes. On lui reproche d’aider les mouvements qui déstabilisent ses adversaires pour maintenir sa position régionale.
À l’ennemi extérieur s’ajoute un ennemi intérieur encore mal défini. Le magazine Slate rapportait il y a quelques mois la distribution de Kalachnikovs à la population érythréenne par le gouvernement. Une mesure qui inquiète la diaspora. La Corne d’Afrique est une poudrière et l’Érythrée pourrait être le détonateur d’un nouveau conflit
Une catastrophe imminente et sans témoin
Devant ses signes inquiétants, le journaliste est confronté à un grave problème, l’absence de sources sûres. Aucun journaliste ne peut exercer librement sur le territoire érythréen. Il doit se référer aux sources officielles divulguées par le gouvernement, qui laissent entrevoir un pays idyllique. Ou bien faire confiance aux témoignages des exilés qui racontent les pires atrocités sur le pays. On est tenté de les croire comme le fait Léonard Vincent, mais ils ne présentent qu’un visage de l’Érythrée. La seule radio libre d’Érythrée est radio Erena une radio satellite diffusée depuis Paris avec l’aide de RSF. Comment interpréter sans erreurs dans ses conditions la distribution d’armes, les évènements du 21 janvier dernier et le piratage de la radio Erena. Si cela n’excuse pas le silence des médias occidentaux, cela l’explique en partie. Toute information nouvelle doit être prise avec des pincettes, la source provenant souvent de familles d’exilés. Une chose est sûre, l’absence de liberté d’expression sur place, qui s’avère catastrophique pour tenter d’alerter sur ce qui semble se passer en Érythrée.