Entomophagie, la fin des haricots !

16 Mai 2013


L'ouverture ce lundi par la Food and Agriculture Organization (FAO) d'un programme favorisant la consommation d'insectes énonce l'enjeu de la production alimentaire à venir. Face aux neuf milliards d'individus attendus pour 2050, le problème de la sécurité alimentaire favorise l’émergence d’un nouveau marché, celui de la nourriture alternative.


Crédit Photo -- AFP
250 000 euros. C'est le prix qu'a couté le premier steak composé uniquement à base de cellules souches créées par le docteur Mark Post et son équipe de chercheurs hollandais. Premier steak conçu en laboratoire, il peut posséder jusqu'à 20 000 fines bandes de tissu musculaire. La confection de ce steak est simple. Effectuer une biopsie, une extraction de tissu musculaire, sur un animal mort. Placées dans leur environnement de prédilection, et après une semaine d'incubation, les cellules souches finissent par se multiplier et s'associer. Cette technique présente la caractéristique de n'engendrer aucune perte.

Les obstacles restent nombreux. Économiquement parlant, le coût de production est à première vue exorbitant. Il faut également que la viande synthétique ait l'aspect et le goût d'une viande naturelle, même si Mark Post estime sa viande « relativement bonne ». Jean-François Hoquette, directeur de recherche à l’Unité de Recherches sur les Herbivores de l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique) ne paraît guère optimiste sur ce type de production : « ce qu’il est possible aujourd’hui de produire n’est guère qu’un agglomérat de cellules musculaires, ne ressemblant ni tout à fait à du muscle, ni tout à fait à un steak. D’autre part, il est encore moins possible de le produire en très grande quantité pour nourrir des milliards d’êtres humains !»

Si la possibilité de voir un réel marché de viandes composé de cellules souches semble inconcevable à l'heure actuelle, la recherche tend à découvrir de nouvelles méthodes d'exploitation et d'alimentation.

Des externalités négatives

Les problèmes liés à la capacité à produire de la nourriture sont multiples. Selon l'ONU, la production alimentaire devrait doubler d'ici 40 ans. Cette production « mobilise déjà 70 % de nos terres agricoles » estime quant à lui le docteur Post. Il reste donc très peu de terres vierges. En Australie, l'équipe de chercheurs de la James Cook Academy estime que les vaches, les moutons et les chèvres, en dégageant du méthane, participent à 12 % de l’émission des gaz à effets de serre du pays. Le réchauffement climatique qui s'accroit rend l'exploitation agricole de plus en plus compliquée. Les animaux voués à l'abattage vivent parfois dans des conditions indignes. De plus, selon la FAO, « la pollution des sols et de l’eau dus à la production animale intensive et le surpâturage conduisent à la dégradation des forêts ».

Il faut donc trouver des dérivés aux méthodes agricoles de base. Tout d'abord, vis-à-vis de l'alimentation donnée au bétail. Les chercheurs de la James Cook Academy ont démontré que les vache s'alimentant d'algues marines produisaient moins de méthane, car « les algues contiennent plus d'amidon et moins de cellulose que les fourrages conventionnels et deviennent de ce fait plus facilement digeste ». Sans oublier la non-pollution de l'eau, car, au contraire des cultures céréalières, la pousse d'algues ne nécessite pas d'engrais chimiques.

L'algue peut aussi se transformer en aliment. L'avantage de cet organisme réside dans le fait qu'il est unicellulaire. Il s'accroît à vitesse grand V et peut se développer dans des eaux polluées où aucune autre culture ordinaire ne peut subsister. Cette nourriture est déjà très répandue en Chine et au Japon. On l’utilise en engrais et en carburant.

Vers une évolution de notre alimentation

Outre la viande composée de cellules souches et les algues, chercheurs et entrepreneurs s'investissent pour développer des alternatives aux denrées alimentaires habituelles. Il s’agit soit de trouver de nouveaux produits comestibles, soit de dériver la fabrication habituelle d'aliments. Il faut aussi que la population occidentale accepte la consommation de produits, déjà utilisés sur d’autres continents. La commercialisation d'insectes déshydratée, connue en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique commence à apparaître en Europe, et notamment en France. Une jeune entreprise basée près de Toulouse nommée Micronutris s'est lancée dans l’aventure. La société s'est lancée dans l'élevage de grillons, criquets et vers de farine afin de les vendre dans la grande consommation.

Par la voix de sa directrice du département des politiques économiques des forêts, Éva Ursula Müller, le message de la FAO est simple : « mangez des insectes. Les insectes sont en abondance, ils sont une source riche en protéines, matières grasses et en minéraux ». Leur particularité est qu'elles « présentent des taux de croissance et de conversion alimentaire élevés et ont un faible impact sur l’environnement pendant tout leur cycle de vie », toujours selon Éva Ursula Müller. Deux kilos de matière suffisent pour produire un kilo d’insectes, à la différence de la viande qui nécessite huit kilos de substance pour un kilo produit. Un aliment que tout le monde peut produire, y compris « les plus pauvres de la société, comme les femmes et les paysans sans terre. Les insectes peuvent être collectés directement et facilement à l’état naturel. Les dépenses ou investissements exigés pour la récolte sont minimes »

Changer les mentalités

Le pari ? Qu’une clientèle peu encline ingurgite ces aliments dérivés ou nouveaux. Alors qu’un tiers de la planète est entomophage, c'est à dire consommateur d'insectes, l'Europe peine à s'y accoutumer, même si la FAO énonce qu'ils « commencent à apparaître dans les menus de restaurants en Europe ».

Pour Éva Ursula Müller, les insectes « peuvent être consommés entiers ou réduits en poudre ou pâte et incorporés à d’autres aliments ». Chez Micronutris, on retrouve le goût de cacahuètes et de noisettes dans les vers de farine déshydratés. L'entreprise va également mettre en vente d'ici quelques mois une barre énergétique à base de farine d'insectes. Un produit plus enclin à satisfaire, du moins visuellement, le marché occidental. Le prix est aussi un élément primordial. Outre la viande de cellules souches, le prix au kilo du grillon ou du ver avoisine les 200 euros. Micronutris pense cependant pouvoir atteindre le prix de la viande d'ici trois ans.

En ce début de siècle où la peur du manque de ressources énergétiques et notamment du pétrole prédomine dans les médias, il serait plus opportun de se demander non pas comment vont perdurer voitures et avions si chers à nos modes de vie, mais plutôt comment nous allons, tout simplement, nous nourrir.