AR.Drone Parrot. Crédits : Nicolas Halftermeyer
Face au manque de routes sur le continent africain et au prix des infrastructures, souvent trop chères à construire et à entretenir, le drone est peut-être en train de révolutionner le transport à moindre coût pour offrir aux lieux les plus éloignés une véritable ouverture sur le monde.
Depuis quelques années, le projet Afrotech, lancé par Jonathan Ledgard et l’université de Lausanne, est le leader du secteur des drones-cargos. Son objectif : concevoir des engins capables de porter jusqu’à 80 kg de marchandises sur ce continent où seuls 15 % des échanges commerciaux sont interafricains. Il prédit dans Le Monde que les drones provoqueront un véritable bond en avant en Afrique : « certains s’apprêtent à y sauver des vies par centaines et à y gagner beaucoup d’argent ».
Jonathan Ledgard estime que « l’Afrique a l’opportunité de développer des drones plus rapidement que dans n’importe quelle zone développée » car le continent présente des conditions très favorables à leur émergence. L’exploitation des drones à grande échelle est rendue possible par un espace aérien beaucoup moins saturé qu’en Asie et le faible nombre des lignes à haute tension contrairement aux pays plus industrialisés.
Intégrer les populations au processus de développement des drones
L'expert international en matière de technologies et d’innovation pour l’ONU et co-fondateur de WeRobotics Patrick Meier considère que le processus d’introduction des drones doit être fait en deux étapes : une première étape humanitaire, la seconde commerciale.
Sa mission est d’être « le pionnier des technologies humanitaires de la prochaine génération » et il soutient le fait que les populations locales doivent faire partie intégrante du processus de démocratisation des drones. « Il est important que les groupes d’utilisateurs de drones intègrent les communautés locales dans leurs projets et partagent avec eux leurs découvertes », précise-t-il au Monde .
Crédit Muriel Epailly.
Intégrer les drones, mais sans jamais juger de l’utilisation qui en sera faite. Sur la question, chacun a sa petite idée sur le meilleur moyen d’en exploiter le potentiel. Jonathan Ledgard raconte par exemple que l’un de ses interlocuteurs kenyans, très enthousiasmé par les drones, envisageait déjà de s’en servir pour livrer des bibles à toute sa famille par la voie des airs.
Le tout étant que le développement des drones se fasse par étapes. Dans une interview au centre Pulitzer, le spécialiste de la santé publique pour le United Nations Population Fund (UNFPA), Kanyanta Sunkutu a justifié l’usage des drones dans les missions humanitaires au Ghana. « Chaque vol coûte 15 dollars et il est prévu à l’avenir de livrer du matériel de vote ou les sujets d’examen pour l’école […] Nous utilisons le planning familial comme une porte d’entrée [aux drones] et nous les rendons durables » a-t-il affirmé.
De leur côté, les jeunes entrepreneurs africains ont très vite repéré les opportunités offertes par ce marché. Parmi eux, William Elong. Cet auto-entrepreneur camerounais de 23 ans, a créé en juillet 2015 l’entreprise DroneAfrica, dans le but de recruter et de construire localement des drones civils pour offrir un service généralisé et de valoriser le continent. Il filme le Cameroun depuis le ciel pour offrir des images inédites du pays : les espaces urbains, les événements culturels et cette année, la fête culturelle de Ngondo.
Le « Flying Donkey » veut bouleverser les modes de transport en Afrique
Pour Simon Johnson, directeur de la fondation Bundi, « les drones seront les acteurs décisifs du développement en Afrique ». En novembre 2014, au Kenya, il a lancé le Flying Donkey Challenge ou projet « Mule Volante », un concours pour encourager la recherche sur les innovations en matière de transport de matériaux et de denrées pour pallier aux insuffisances en matière d’infrastructures.
En ce sens, une étude réalisée par la Banque mondiale en 2012 a révélé que seulement 7 % des routes kenyanes sont bitumées et seules des mules pouvaient servir de transporteurs sur les chemins les plus éloignés où aucun pneu ne parvenait à s’aventurer. Des livreurs lents, pas toujours fiables et limités en terme de quantités transportées.
D’ici 2020, ce projet a pour ambition de développer le premier réseau commercial capable de transporter près de 20 kg de marchandises sur 50 km en moins d’une heure.
Une utilisation civile pour la protection des populations
Parallèlement à leur usage commercial, les drones sont des instruments importants dans les opérations tactiques et les déploiements stratégiques. Hervé Ladsous, secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix de l’ONU a supervisé en 2014 le déploiement de drones dans l’Est de la République démocratique du Congo.
Hervé Ladsous inspecte un véhicule aérien sans pilote. Crédits : Sylvain Liechti (MONUSCO)
Il assure que les drones utilisés par ses services sont dépourvus d’armes et ont un simple usage de surveillance. Certains avaient déjà été utilisé de tels drones au Mali et en Centrafrique pour améliorer les tactiques et déploiements stratégiques. « L’objectif est de savoir ce qui se passe autour de nous à un moment donné. Dans le nord du Mali par exemple, sans oreilles et sans yeux, nous ne pourrions pas faire notre travail. Il s’agit simplement de se procurer des outils adéquats », affirme-t-il.
Ces outils, il propose de les mettre au service de la protection des populations civiles grâce à la transmission d'images en temps réel. Cette diffusion instantanée permet de déceler plus facilement les embuscades et de prévoir les attaques pour réaliser des actions plus rapides et surtout décisives.
Quelques mois auparavant, le pilote d'un drone avait pu repérer, depuis son abri, un bateau sur le point de chavirer au large du lac Kivu. Il a ainsi pu appeler les secours et sauver les personnes embarquées qui n'avaient aucun moyen d'appeler à l'aide.
Ces outils, il propose de les mettre au service de la protection des populations civiles grâce à la transmission d'images en temps réel. Cette diffusion instantanée permet de déceler plus facilement les embuscades et de prévoir les attaques pour réaliser des actions plus rapides et surtout décisives.
Quelques mois auparavant, le pilote d'un drone avait pu repérer, depuis son abri, un bateau sur le point de chavirer au large du lac Kivu. Il a ainsi pu appeler les secours et sauver les personnes embarquées qui n'avaient aucun moyen d'appeler à l'aide.
Les défis de l’introduction des drones en Afrique
Pour Jonathan Ledgard, les drones sont construits pour être pratiques et sécurisés. Ils devront intégrer des logiciels de sécurité afin de garantir la protection de leurs usagers face aux hackeurs et au crime organisé qui risquent de détourner les marchandises de valeur.
De la surveillance de la production des grandes plantations au nettoyage de produits chimiques dans les usines en passant par le déminage, avec l’utilisation des drones, ce sont des milliers de vies qui seront épargnées.
L’utilisation des voies aériennes existantes est encore trop négligée et pourtant remplie d’une multitude de possibilités. « Nous n’avons pas de mot pour décrire l’espace au-dessus de nous dans toutes ses dimensions. Quelle que soit la langue, le mot "ciel" ne nous dit rien du tout du ciel », rappelle Jonathan Ledgard. C’est assurément le cas aujourd’hui et dans cet espace inexploité, l’Afrique est là pour nous montrer le chemin.