Emirats arabes unis : prison pour les islamistes d'Al-Islah

Maryame Laaroussi
5 Juillet 2013


Le 2 juillet dernier, la Cour Suprême a rendu son verdict dans l'affaire des 94 islamistes soupçonnés de complot contre l'État. Retour sur un procès sans précédent aux Emirats arabes unis, qui a suscité une vague de critiques depuis l’étranger et chez les familles des victimes.


Crédit Photo -- Reuters

Les faits :

2012 : 94 personnes sont arrêtées lors d’une série d’interpellations.

27 janvier 2013 : 94 Émiratis sont déférés au parquet de la Cour Suprême Fédérale pour avoir tenté de renverser le pouvoir.

Mars 2013 : Les suspects comparaissent pour avoir tenté de renverser le pouvoir en place et d'appartenir au groupuscule Al-Islah (qui serait lié aux Frères Musulmans).

Avril 2013 : 6 témoins sont interrogés et des enregistrements téléphoniques sont présentés au parquet. La défense explique que les accusés, reconnus sur les enregistrements, appelaient à une réforme du système et non un renversement du pouvoir.

7 mai 2013 : La partie civile énonce la liste des chefs d'accusation retenus contre les différents accusés et annonce que « l'organisation clandestine avait planifié de recruter 20 000 nouveaux membres d’ici quatre ans pour renverser le gouvernement [...] et déstabiliser la sécurité intérieure ».

20 mai 2013 : La défense questionne les conditions d'arrestation, de détention et d'interrogation des suspects ainsi que l'impartialité des recherches menées.

2 juillet 2013 : Verdict de la Cour Suprême sur le sort des accusés.


Le procès qui s'est ouvert à Abu Dhabi, en mars dernier, est le plus grand procès de masse jamais traité dans l'histoire de la Justice émiratie. Considérée comme une affaire de sécurité intérieure, c'est la Cour Suprême qui a jugé les accusés dans un procès particulièrement médiatisé.

Présumés membres d'une mouvance appelée Al Islah, proche des Frères Musulmans en Égypte, les accusés (tous émiratis ou d’origine égyptienne) ont été jugés pour des chefs d'accusation graves, dont la trahison, notamment pour le leader du groupe Sheikh Sultan, membre de la famille royale de l'Émirat de Ras Al-Kheima.

Né dans les années 1990, Al Islah s'inspire des Frères Musulmans dans leur façon de procéder pour leur reconnaissance, en faisant un travail social dans les rues du pays. Mais les 2 000 à 3 000 membres que compte la mouvance sont, depuis le printemps arabe, persona non grata aux Émirats ; en cause, leurs idées prônant un islam politique. Une menace pour le gouvernement qui craint que ce type de groupuscules n'entraine une expansion du réveil arabe aux Émirats pouvant aboutir à une chute du régime. Pour autant, on ne peut pas dire qu'Al Islah ait acquis une popularité chez les Émiratis. Ainsi, les condamnations ont été relativement bien reçues par l'opinion publique selon The Gulf News, un média local.

Un procès criant d'injustice et une lutte pour la démocratie étouffée.

La question qui se pose actuellement est de savoir si la justice a été impartiale et n'a pas favorisé le gouvernement, qui a accueilli les condamnations avec beaucoup de satisfaction. À l'étranger, on peut lire dans de grands médias comme The Guardian ou la BBC que ces individus étaient dans une démarche démocratique de réformes sociales et politiques. Les familles des victimes ont elles aussi tenu à exprimer leur incompréhension à l'issue du jugement. En effet, elles accusent la Justice d'avoir été partiale dans cette affaire, empêchant ainsi l'audition de témoins susceptibles de pouvoir changer le cours du procès ou encore en critiquant les conditions de détention des suspects.

En effet, il semblerait que la notion même des droits de l’Homme ait été bafouée tout au long de cette affaire puisque les 94 islamistes présumés ont été torturés, et que les observateurs des droits de l’Homme n’ont pas pu assister au procès, ou ni même vérifier les conditions dans lesquelles étaient détenues ces 94 personnes. La coalition des Droits de l’Homme qui a suivi le dossier a annoncé que « le gouvernement veut faire d’eux des exemples » et c’est ainsi qu’au cours du procès, trois autres personnes ont été arrêtées pour leurs commentaires critiques sur les réseaux sociaux concernant l’affaire. Par ailleurs, il est intéressant de noter que parmi les condamnés il y a deux avocats spécialistes des droits de l’Homme, des juges, des professeurs ou encore des étudiants engagés dans leurs écoles.

Rappelons que ce n’est pas la première fois que les Émirats essuient ce genre de critiques concernant les droits de l’Homme ; ainsi, de grands organismes tels que Human Rights Watch ou Amnesty International ont dénoncé à de nombreuses reprises, dans des communiqués et rapports, la torture systématique dans les prisons et le manque de liberté d’opinion.