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Coup de théâtre politique au Sri Lanka. Jeudi 8 janvier 2015, le président sortant Mahinda Rajapakse organisait des élections anticipées, avec la certitude qu’il serait réélu pour un troisième mandat. Mais la voix du peuple s'est exprimée : en ce matin du 9 janvier, les urnes annonçaient la victoire de son principal opposant Maithripala Sirisena avec 51,3%. Rajapaske quitte donc le gouvernement sri-lankais après dix ans à sa tête. Et ce non sans conséquences.
Certains incidents ont été enregistrés lors de la campagne, comme le redoutaient les forces de l'ordre : intimidations, menaces, harcèlement et violences, en particulier envers les candidats de l'opposition. Un homicide en relation avec les élections a notamment été enregistré, mais de manière générale cette campagne fut moins meurtrière que la précédente. Un bon signe pour le nouveau président ?
Un nouveau président cinghalais : un nouveau Sri Lanka?
Maithripala Sirisena n’est pas un novice en politique. Ancien ministre de la Santé sous le gouvernement Rajapakse, il séjournait aux côtés de l’ancien président depuis de longues années. Les deux hommes, tous deux appartenant à la majorité cinghalaise sri-lankaise, étaient partenaires jusqu’à ce que Sirisena n’annonce sa candidature surprise à la présidence en novembre dernier, entraînant dans son sillage une vingtaine de députés et ministres de Rajapakse, et remportant le soutien de nombreuses minorités du pays et de partis d’opposition, notamment celui de l’Alliance Nationale Tamoule. Avec un tel support, Sirisena aspire à montrer une nouvelle face au Sri Lanka, et semble pour le moment incarner l’espoir d'une meilleure gouvernance.
Ces élections semblent d’ailleurs être le témoin d’un réveil de la population sri-lankaise : le taux de participation s’est montré anormalement élevé, en contraste avec les prévisions officielles. Une surprise d’autant plus étonnante que plus de 75% de la population tamoule du nord et de l’est (une minorité qui représente environ 11% de la population totale du pays) se seraient présentés aux urnes, en opposition avec les dernières élections nationales qu’ils avaient boycottées.
Rajapakse : figure d’un Sri Lanka en paix
Le renouvellement du mandat de l’ancien président ne semblait faire aucun doute. L’homme qui aimait à se surnommer « le rebelle avec une cause » est souvent considéré comme l’initiateur de la fin de la guerre civile en 2009 qui a déchiré le pays pendant plus de vingt-six ans.
Après l’indépendance du Sri Lanka du joug britannique, les cinghalais nationalistes instaurèrent lentement une séparation entre eux et la communauté Tamoule qu’ils considéraient comme l’objet de traitement de faveur de la part des Britanniques. Un mouvement séparatiste Tamoul éclata dans les années 1970 alors que certains groupes armés émergeaient dans l’est et le nord du pays. Les Tigres Tamouls naquirent au début des années 1990, faisant office « d’État fantôme », n’hésitant pas à avoir recours aux attentats suicides et autres formes de violence politique pour revendiquer leur autonomie. C’est donc après de nombreux traités de paix et cessez-le-feu et lors d’une offensive finale que Rajapakse acheva les Tigres en 2009.
A ce qui est certainement le plus grand succès politique de l’ancien président s’ajoute un redressement économique record du pays avec une croissance moyenne annuelle de 7% depuis la fin de la guerre, et son ouverture aux investissements chinois.
La page Rajapakse se tourne : qu’en est-il des cicatrices de la guerre civile?
Il apparaît pourtant que ces changements n’ont pas suffi à convaincre les sri-lankais de réélire Mahinda Rajapakse. Les retombées économiques ne profitent pas directement à la population, l’emploi des sri-lankais par les grands groupes investisseurs chinois est limité, et l’augmentation des revenus n’a pas suivi les rythmes de la croissance nationale.
Le président lui même était graduellement accusé de corruption et autoritarisme, voire d'un despotisme naissant lorsqu’il a changé la constitution pour s’autoriser le luxe d’un troisième mandat que les sri-lankais, et en particulier les tamouls, ne semblaient plus pouvoir endurer.
Avec la fin de la guerre civile, Rajapakse n’a pourtant pas réussi à effacer la question de la division du pays entre cinghalais et tamouls, un défi majeur que Sirisena aura à affronter durant son mandat. La situation économique et sociale des tamouls reste très inégalitaire comparée à celle des cinghalais. Alors que la fin de la guerre remonte maintenant à plus de cinq ans, une grande partie de la communauté tamoule semble toujours vivre dans des conditions dramatiques, pour certains dans des camps de réfugiés délabrés, ou constamment surveillés par la police, comme le montre ce reportage d’Arte. L’échec de Rajapakse pour une réconciliation nationale semble donc avoir poussé les tamouls à fonder leurs espoirs en son concurrent.
La guerre civile n'est d'ailleurs pas le seul fossé qui divise le Sri Lanka. La question de la religion demeure une des nombreuses couches qui compose l'identité nationale complexe. Entre Musulmans, Catholiques et Bouddhistes, les relations sont parfois électriques. Depuis la fin de la guerre, les Musulmans sri-lankais ont dû faire face à un large rejet de la part des cinghalais, voire de certains groupes identitaires comme Bodu Bala Sena, un groupe de moines bouddhistes extrémistes affirmant que les Musulmans construisaient trop de mosquées, faisaient « trop d'enfants » et menaçaient le pays, allant jusqu 'à perpétrer des agressions et viols comme rapporte un article de la BBC. Rajapakse laisse donc derrière lui un pays déchiré entre divisions identitaires et frictions religieuses.
Son expérience aux côtés de Rajapakse et sa ferveur à dénoncer « une économie toute entière et chaque aspect de la société (…) contrôlé par une famille (trois des frères Rajapakse détenaient des positions notoires au sein du gouvernement NLDR) » fut donc la solution des sri-lankais au besoin de changement. Sirisena se dit aujourd’hui le représentant de ces minorités divisées sous son prédécesseur, et prêt à restaurer une certaine justice.
Mais pour beaucoup, il semblait incarner la seule alternative au despotisme latent de l’ancien président. Aux dernières lueurs du jour de sa victoire apparaissent déjà les limites de ses promesses. Sirisena a en effet, tout comme Rajapakse, refusé toute enquête internationale sur les derniers mois de la guerre civile dont les bombardements et la violence avait tué plus de 40 000 victimes sri-lankaises, selon l’ONU. Il avait déjà refusé de retirer les troupes qui occupaient le nord du pays à majorité tamoule deux semaines avant la fin des combats.
Comme il l'annonçait sur twitter, Rajapakse maintient qu'il assurera une « transition paisible » entre les deux gouvernements. Reste à voir si les élans nationalistes et les divisions identitaires ne l'altèreront pas...