Egypte/Iran: rapprochement ou mise en scène?

21 Janvier 2013


Depuis son élection à la tête de l'Égypte, le Président Morsi n’a pas cessé de surprendre la communauté internationale par ses actions diplomatiques très controversées. Lui et les Frères musulmans désirent rompre avec la politique étrangère de leur prédécesseur en instaurant une diplomatie plus « ouverte » et plus « indépendante » qui aura pour objectif de satisfaire les intérêts stratégiques du pays. Analyse.


On s'embrasse ?


L'arrivée au pouvoir de Mohamed Morsi en Egypte a donné le départ d'une grande course à la diplomatie. En accord avec le parti des Frères musulmans, le Président égyptien procède désormais à une forte ouverture du pays, dans un but éminemment stratégique. La visite du Président égyptien, effectuée en priorité en Chine, avant même les Etats-Unis, s’inscrit dans une telle démarche. Cette visite a permis à l’Egypte de bénéficier d’un crédit de 200 millions de dollars. Morsi s’est également tourné vers la Russie dans la perspective de renforcer les rapports entre les deux pays. 

Mais c’est le rapprochement entre l’Egypte et l’Iran qui a le plus marqué. Après 30 ans de rupture suite aux accords de Camp David, l’Egypte et l’Iran ont repris le contact diplomatique comme le démontre la multiplication des visites mutuelles entre les responsables égyptiens et iraniens dont la plus importante se manifeste par la participation du Président Morsi au Sommet des Etats non-alignés à Téhéran, ainsi que la visite du ministre des affaires étrangères iranien au Caire.

Au-delà de ces visites, les relations entre l’Egypte et l’Iran ont évolué de manière surprenante puisque le Président Morsi a associé l’Iran, aux côtés de l’Arabie Saoudite, dans le « quartet » devant trouver une solution en Syrie. Ce comportement a été justifié par les Frères musulmans par la nécessité de créer « un équilibre stratégique dans la région ».

Du côté de l’Iran, le rapprochement avec l’Egypte traduit, en fait, une volonté d’exploiter la présence des Frères musulmans au pouvoir pour approfondir son emprise sur la région. En fait, l’Iran considère la révolution égyptienne et la prise de pouvoir par les Frères musulmans comme « le réveil islamique » qui « s’inspire directement de la révolution iranienne ». A ce titre, l’Egypte des Frères musulmans pourrait devenir un allié stratégique, pour renforcer l’axe Hamas-Hezbollah, susceptible d’encercler les pays du Golf et asseoir l’hégémonie iranienne dans toute la région.

Cette situation n’a pas été sans incidence sur les rapports interétatiques dans la région. Certains ont même déclaré que l’Egypte pourrait constituer une alternative en cas d’effondrement du régime en Syrie, c'est-à-dire que l’Egypte serait susceptible de devenir le prochain allié stratégique de l’Iran. Se pose, ainsi, la question suivante : l’Egypte a-t-elle l’intention de rejoindre le camp iranien au détriment de ses rapports avec les pays occidentaux, principalement les monarchies du Golf ?

L’analyse de la politique étrangère égyptienne, menée par le Président Morsi et les Frères musulmans, laisse prétendre une réponse négative. En d’autres termes, la diplomatie égyptienne est conditionnée par des besoins économiques, et de ce fait, il est difficile d’imaginer l’intention du Président Morsi de rompre avec ses alliés traditionnels dont elle dépend énormément. Ainsi, le rapprochement avec l’Iran ne peut s’expliquer que par une stratégie, mise en place par l’Egypte, d'instrumentalisation du rapprochement avec l’Iran pour obtenir le soutien financier des monarchies du Golf.

L’instrumentalisation du rapprochement Egypte/Iran

L’Egypte connaît une grave crise politique et économique. Le Président égyptien voit sa légitimité massivement rétrogradée à cause des tensions sur le projet de constitution qui demeure très controversé. Ceci engendre une grave instabilité politique dont les répercussions sont néfastes pour l’économie du pays.
Le chef de file des Frères musulmans, Mohammed Badie. | REUTERS/AMR ABDALLAH DALSH

Justement, l’économie de l’Egypte souffre d’une crise très complexe qui se traduit principalement par la chute des réserves en devises, à cause de la baisse des recettes du tourisme et le recul de l’investissement étranger. D’ailleurs, la Banque centrale égyptienne a déclaré que ses réserves en devises ont profondément chuté passant de 36 milliards à 15 milliards de dollars en moins de deux ans. Cette baisse est importante à tel point que ladite banque n’arrive plus à soutenir la monnaie du pays.

De ce fait, l’Egypte a plus que jamais besoin des aides financières de ses partenaires du Golf. Mais en choisissant le rapprochement avec l'Iran, le Président Morsi semble avoir choisi la stratégie de la provocation.

Le Président Morsi a pris l’initiative de se rapprocher de l’Iran et de ses alliés (Chine et Russie), tout en sachant pertinemment que le monde occidental et les monarchies du Golf ont besoin de son poids géopolitique pour contrer les aspirations hégémoniques de l’Iran. De ce fait, ces derniers ne laisseront nullement l’Egypte basculer vers l’autre camp.

Le Président Morsi est tout à fait conscient qu’une telle politique placerait l’Egypte dans une confrontation directe avec ses alliés traditionnels, notamment les monarchies du Golf qui craignent pour leur propre sécurité les conséquences d’une éventuelle « iranisation » de l’Egypte.

Les Etats-Unis, quant à eux, considèrent déjà le régime des Frères musulmans « ni comme un allié ni comme un ennemi » et un rétablissement des relations avec l’Iran aggraverait sans doute la situation. Plus encore avec Israël qui verrait sa sécurité menacée. En fait, ces pays considèrent le régime iranien comme leur premier ennemi et une normalisation avec lui ne peut que compliquer la légitimité des Frères musulmans.

Ce contexte remet en cause la volonté de l’Egypte de normaliser ses rapports avec le régime iranien. En réalité, l’intention du Président égyptien et des Frères musulmans s’explique par la volonté d’instrumentaliser le rapprochement avec l’Iran en vue d’exercer une pression suffisamment puissante sur les monarchies du Golf pour les inciter à intervenir financièrement dans le secteur économique égyptien en peine.

Cette stratégie a plutôt bien réussi puisque les pays du Golf, notamment les plus riches (l’Arabie Saoudite et le Qatar) ont aussitôt réagi en vue de limiter la présence de l’Iran en Egypte, craignant que Téhéran n’exploite les partisans des Frères musulmans présents sur leur territoire pour déstabiliser leur sécurité.

Intervention financière des pays du Golf : succès de la stratégie égyptienne

La pression du Président égyptien semble porter ses fruits puisque les pays du golf, inquiets de l’influence croissante de l’Iran en Egypte, ont décidé d’intervenir financièrement dans les projets de restructuration économique du pays. L'Egypte, qui compte sur les monarchies du Golf, a reçu plusieurs milliards de dollars d’aide pour alimenter la Banque Central Egyptienne. L’Arabie Saoudite a aussitôt dépassé certaines divergences politiques avec l’Egypte, tout en lui allouant plusieurs milliards de dollars sous forme d’aides financières au développement au profit du secteur économique et social en Egypte.

Parallèlement, le Qatar a rapidement octroyé à l’Egypte un prêt de 2 milliards de dollars, puis il a débloqué 500 millions de dollars sous forme d’aide destinée à réalimenter les caisses de l’Etat en devises. Ce soutien financier a évidemment déjà été versé à la Banque Centrale égyptienne.

A côté des monarchies du Golf, plusieurs pays occidentaux sont intervenus pour assister financièrement l’Egypte, et du coup, éloigner le spectre iranien. A titre d’exemple,on pourrait citer le soutien financier de l’UE pour relancer l’économie égyptienne ou l’appui des Etats-Unis au Fond Monétaire International (FMI) afin de permettre à l’Egypte de bénéficier d’un plan d’aide financier très important.

Devant cette situation, il n’est pas surprenant de voir le Président Morsi et les Frères musulmans tourner le dos à l’Iran en réclamant le renforcement des liens avec les pays arabes, notamment en matière de sécurité et de défense. Ils prônent la création d’un système arabe de l’OTAN dissuadant toute tentative de déstabilisation de la sécurité du monde arabe, principalement dans la région du Golf.

Ce constat confirme que Mohamed Morsi n’avait pas l’intention de changer de camp, car pour lui, « la sécurité des pays du Golf et arabes fait partie de celle de l’Egypte », s'agissant d’un message clair adressé à l’Iran : la normalisation des relations est encore très loin. A ce titre, « il ne devrait menacer aucun pays arabe ».
En somme, la politique du Président égyptien émane beaucoup plus d’un besoin économique que d’une vision stratégique, mais toujours est-il que le succès de cette stratégie démontre l’erreur de « l’axe occidental » qui a sous-estimé la capacité stratégique des Frères musulmans. Ces derniers ont réussi, par le bais de l’instrumentalisation du rapprochement avec l’Iran, à marquer le retour en force de l’Egypte comme acteur politique essentiel dans le Moyen-Orient.



Doctorant en Relations et Droit Internationaux à l'Université de Rabat (Maroc) et membre du Centre… En savoir plus sur cet auteur