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Les scores des sondages de début de campagne ne faisaient aucun doute : le non allait l'emporter haut la main et l’hypothèse d'un oui au référendum était hautement improbable. En effet, YouGov donnait le 24 mars le Non gagnant avec 58 % des intentions de vote contre 42 pour le Oui. Début août, la même tendance pouvait être observée avec 61 % de Non et 39 % de Oui. Les autres instituts de sondages donnaient également la même idée sur la structure du vote : une victoire certaine du Non.
Une montée rapide du oui
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Depuis le début du mois d'août, cependant, l'écart se réduit considérablement tandis que le Non descend dans les sondages au profit du Oui. Le 7 août, le Non domine à 61 % et le Oui est à 39 %. Le 15 août, une semaine seulement après, YouGov donne le Non gagnant à 57 % contre 43 % ; soit une chute de 4 points du Non qui partent directement pour le Oui. Le 31 août, le fossé de départ n’est plus qu’une fissure avec le Non gagnant à 53 % contre 47 %. S'ils ne donnent pas tous exactement les mêmes chiffres, les sondages de Survation, TNS-BMRB, ICM et Panelbase laissent voir la même tendance sur le mois d'août : l'écart entre le Oui et le Non se réduit jusqu’à ne se compter qu'en quelques points…
Le Journal International : Comment expliquer cette montée fulgurante du Oui pendant le mois d'Août ?
Tanya Abraham : Beaucoup de gens ont changé d'avis avec l'importante campagne du Oui. En particulier, les électeurs du parti « Labor » (parti de gauche britannique) sont passés de 18 % à penser voter Oui à 35 %. Les ouvriers et les jeunes sont aussi de plus en plus nombreux à pencher pour l'indépendance. Les femmes, qui avaient tendance à être plus pour le Non, se sont également tournées de plus en plus vers le Oui. La campagne du Oui a fait changer d'avis ces électeurs qui au départ pensaient que l'indépendance leur nuirait et qui pensent maintenant qu'ils seraient gagnants.
Le paroxysme de cette tendance est atteint fin août - début septembre quand le Oui est même donné gagnant par YouGov, affolant les unionistes et provoquant la chute de la livre sterling qui enregistre son plus bas historique. On assiste le 11 septembre à une inversion de la tendance ; et le Oui, qui n'avait cessé de monter depuis le mois d'août, enregistre une redescente selon YouGov et plusieurs autres sondages.
JI : Comment expliquer la remontée du Non depuis le 6 septembre ?
TA : La campagne du Non s'est intensifiée et on a pu voir de nombreuses personnalités venir exprimer leur soutient à la cause du Non. Il y a eu beaucoup de chefs de file de mouvements politiques qui sont venus en Écosse pour demander aux écossais de voter Non. L'intervention de Gordon Brown joue également un rôle clé. Les arguments des unionistes sur les questions économiques ont aussi fait mouche ; les gens ont peur d'une augmentation des prix, de la fuite des banques écossaises… Toutes ces influences affectent grandement le Oui.
JI : Les campagnes du Non et du Oui se sont depuis le début de la campagne axées sur des questions économiques. Comment évaluez vous l'importance de l'argument économique dans les changements d'opinion ?
TA : De manière générale, la question de l'économie est l'une des plus importantes pour les interrogés, quel que soit le sujet. Ça touche directement les gens par leur emploi, leur pouvoir d'achat, leurs retraites… Dans ce cas précis, qui est exceptionnel, les électeurs la considèrent particulièrement puisque les conséquences pourraient être bien réelles que ce soit dans un sens ou dans l'autre ; les gens ne veulent pas mettre en danger leur prospérité économique.
JI : La question économique fait-elle pencher la balance plutôt vers le Oui ou vers le Non ?
TA : Un peu plus d'écossais pensent que l’écosse serait moins performante économiquement si elle devenait indépendante et que leur situation personnelle serait modifiée négativement.
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Considérations sur l'issue du scrutin
Depuis le 11 septembre, la situation est très controversée dans les sondages. ICM donne le Oui gagnant à 53 % contre 47 % le 12 septembre tandis que Survation prévoie le 13 septembre une victoire du Non à 53 % contre 47 % et qu'ICM, le même jour, persiste sur la victoire du Oui à 56 % contre 44 %. Dans le cas de YouGov, 1200 personnes sont habituellement interrogées. Dans le cas du référendum, elles ont toutes plus de 16 ans et sont sélectionnées pour que l'échantillon représente la démographie écossaise.
JI : Pensez vous avoir des résultats significatif avec une aussi petite différence entre les partisans du Oui et du Non ?
TA : Nous faisons les échantillonnages de manière à ce qu'ils soient représentatifs de la population écossaise. Le résultat est ainsi représentatif ; ceci dit, vu les changements rapides et les résultats serrés, il est difficile de donner une issue certaine à ce référendum. Nous sommes cependant confiants dans nos résultats.
Devant la bataille des sondages et la proximité des scores du Oui et du Non, l'issue du vote n'a jamais été aussi incertaine. En observant les résultats des sondages en fonction des catégories de population, on comprend mieux la complexité d'un tel vote. D'après Tanya Abraham, rien ne permet de dire si les indécis vont pencher d'un côté ou de l'autre : « Il est très difficile de déterminer vers quel côté ils vont pencher et cela dépendra sûrement de la suite de la campagne… Il faut bien rappeler que la situation est tout à fait exceptionnelle et que les écossais considèrent ce référendum comme très important. Quand on leur demande, ils affirment faire leur propre choix indépendamment du vote de leurs parents ou amis et de leurs préférences politiques ».
JI : Comment analysez vous le vote des jeunes (moins de 20 ans) et très jeunes (16-18 ans) ?
TA : Ce sont les groupes d'âge les plus en faveur de l'indépendance. Au contraire, les seniors (plus de 60 ans) prévoient de voter massivement Non.
JI : N'est-ce pas paradoxal sachant que les plus âgés sont ceux qui ont vécu les politiques Thatcheriennes qui ont alimenté le débat sur l'indépendance ?
TA : Dans un sens, ça peut sembler surprenant. En fait, il faut savoir que pour faire leur choix, les électeurs considèrent leur situation personnelle et les moyens de l'améliorer ou au moins de la conserver. L'indépendance correspond à l'incertitude pour ces personnes qui ont souvent mis de l'argent de côté et attendent leur pension de retraite…
JI : Au final, qu’est-ce qui pourrait favoriser une victoire du Oui ou du Non ?
TA : Ce référendum est vraiment unique et il est donc très difficile de prévoir… En tout cas de manière générale, dans les élections plus classiques, les gens préfèrent la situation dans laquelle ils sont déjà car elle présente moins d'incertitudes… Ceci dit la campagne du Oui apparaît aux gens plus claire, plus honnête et plus positive que la campagne du Non donc les deux issues du vote sont envisageables.
Toutes les issues sont donc encore possibles à deux jours de la consultation électorale. Deux seules certitudes : la participation promet d'être exceptionnelle, attendue entre 93 et 95 %, et le sort de l’Écosse se jouera à quelques voix.