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Deux heures et demie pour en arriver là ! Invectives, méfiance et attentisme pourraient résumer à eux seuls la séance du conseil de sécurité qui vient de se dérouler. La Russie, totalement isolée, s’est vu adressée un barrage de critiques et d’accusation sur les évènements de ces derniers jours. L’ensemble des représentants occidentaux ont été unanime, décrivant ce qui apparaît de plus en plus comme une ingérence russe. Le parallèle avec la Crimée n’étant jamais loin, la description minutieuse des équipements, des armes et des méthodes d’action des milices semblent en effet en tout point identiques. La Russie financerait ainsi directement les séparatistes allant jusqu’à infiltrer des « forces spéciales » afin de former des groupes prêts au combat. « Machine anti-occidentale et anti-ukrainienne », « agression militaire », « fiction », ces mouvements spontanés pro-russes serait une création totalement artificielles, ne visant qu’à déstabiliser l’Ukraine et à la démanteler.
Ritournelles angoissantes, renforcée par la présence croissante de troupes russes aux frontières et en Crimée, l’ambassadeur britannique compara même les évènements en cours aux « pratiques les plus sombres du siècle dernier ». Pour l’ambassadeur ukrainien enfin, Yuri Sergeyev, la Russie n’aurait pour d’autre but que de détruire l’Ukraine, en alimentant des marginaux en armes et munitions, l’accusant ainsi de soutenir des groupes terroristes. Surtout, fait notable, la Chine est apparue embarrassée, ne s’exprimant que rapidement sur le sujet. Absolument neutre, elle n’a pas soutenu la Russie et s’est contentée d’appeler à une résolution « équilibrée » et pacifique.
Tout au contraire de ces accusations, la Russie s’est présentée comme la garante de la démocratie en Ukraine, fustigeant dès qu’elle le pouvait, le « coup d’Etat » et « l’ordre criminel » de Kiev. Vitaly Churkin, son représentant, parla ainsi lui aussi de guerre et de terrorisme, mais à propos de Maïdan, et de Secteur droit, l’organisation des ultra-nationalistes.
Adjoignant de préférer le dialogue à la force, elle rappela avec insistance l’échéance prochaine de l’ultimatum, évoquant sans un sourire, des « évènements irréversibles », si cela se produisait.
Le rôle du CSNU et la recherche d’une « désescalade »
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Tout l’enjeu de ce conseil était d’instituer les fondements d’un dialogue futur entre l’Ukraine et la Russie, mais plus encore, de qualifier juridiquement la situation. En effet, la fédération russe voulait empêcher à tout prix une reconnaissance d’un lien de dépendance et de contrôle entre elle et ces entités infra-étatiques. Le risque aurait été l’application de la résolution 3314 de 1974 portant sur la définition de l’agression ; possibilité que rappela opportunément l’Australie. La responsabilité de la Russie aurait au minimum été engagée et au pire le CSNU aurait pu apporter son consentement à des mesures de rétorsion économiques, voire militaires.
Du côté ukrainien, l’intérêt justement était de légitimer son action de contre-terrorisme, en soulignant l’artificialité de l’instabilité. Il fallait à tout prix éviter que ces groupes soient perçus comme proprement indépendants au risque d’être qualifié de mouvement de libération. Leur rattachement à la Russie lui permet ainsi de maintenir sa souveraineté internationale sur ses territoires.
Enfin, de façon plus globale maintenant, régnait la peur diffuse que le droit international soit remplacé à nouveau par les rapports de puissance dans la résolution des conflits entre Etats. C’est pourquoi, si tous furent unanimes à condamner la Russie, aucun ne fit de propositions de sanction à son égard. De part son rôle et son pouvoir de véto, cette initiative aurait été de fait inutile bien sûr, mais l’idée était elle aussi présente, qu’il était envisageable d’atteindre une meilleure compréhension des peurs et des intérêts de l’autre. La sécurité collective défendu par l’ONU et théoriquement mis en œuvre par le CSNU devait pouvoir s’imposer à la légitime défense de l’État ukrainien. La possibilité de « désescalade » de la crise devait être tenté.
Malheureusement, il n’en fut rien, car vouloir faire baisser la tension d’une crise n’est pas la résoudre. Les deux frères slaves aux visions désormais diamétralement opposées, ne pouvaient pas ainsi faire table-rase de leur différends sans aucune proposition de la part de leur gouvernement. Incapable de faire des compromis, c’est la paix qui aujourd’hui, va en payer les frais.