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Même si le concept de réhabilitation ne date pas d’hier, l’initiative de la municipalité d’Aarhus au Danemark est une première en Europe. Au-delà du problème du départ de certains musulmans extrémistes européens, particulièrement vers la Syrie, pour faire le djihad, c’est leur retour qui pose actuellement un des plus grands défis au Vieux Continent. On estime qu’entre 3000 et 5000 Européens auraient rejoint les rangs du Front islamique, les différentes branches d’Al-Qaïda ou des organisations rebelles syriennes selon le sénateur européen Gilles de Kerchove. Un nombre qui ne cesse de s’alourdir. Le Danemark est le pays le plus touché au monde par le phénomène, et détient le record de djihadistes par tête.
Depuis les attentats de Madrid en 2004 et ceux du métro de Londres en 2005 perpétrés par des musulmans extrémistes, la ville d’Aarhus a lancé une politique de prévention de la montée de l’islam radical à une période de grandes tensions identitaires et de polarisation vers les extrêmes sur l’échiquier politique danois. Les services de renseignements danois estiment que près de cent citoyens ont quitté le pays depuis 2011. Parmi eux, 31 auraient quitté Aarhus et intégré des organisations terroristes. Cinq d’entre eux seraient morts, dix séjournent encore au Moyen-Orient, et seize seraient revenus à Aarhus. Face à ce retour massif des combattants radicaux, la municipalité d’Aarhus est donc la première en Europe à se demander comment aider ces revenants à se réinsérer socialement.
Vaincre le mal par le bien
Dans la majorité des pays européens, ces revenants seraient envoyés en prison, verraient leurs passeports confisqués comme en France, voire seraient bannis du pays comme au Royaume-Uni lorsqu'ils sont considérés comme un danger pour la nation.
Mais la ville de Aarhus a décidé d’adopter une toute autre méthode, appelée SSP Method, la « méthode Aarhus », un programme de réinsertion consistant en un suivi psychologique des revenants des groupes extrémistes. Un accompagnement des parents dont les enfants sont en voie de radicalisation ou déjà partis au Moyen-Orient a été mis en place afin de les « éduquer » à inciter leurs enfants à revenir, ou à garder contact avec eux pendant leur absence. Comme l’affirmait Jacob Bundsgaard, le maire social démocrate d’Aarhus, au Policy Forum du Washington Institute, « plus long sera leur séjour, le plus abîmé ils reviendront ». Pour éradiquer le mal à la racine, des réseaux associatifs ont également été développés au sein des écoles, en particulier dans les banlieues bien plus touchées par le phénomène, avec des structures visant à déconnecter ces jeunes d’éventuels gangs et à recréer un lien avec leur famille, leur éducation, leurs repères.
Un moniteur du programme interrogé par The Guardian explique que leur objectif n’est « pas de les persuader de quitter leurs convictions religieuses» mais de « les aider à équilibrer cette perspective religieuse avec l’école, le travail, la famille. Avec la vie en fait. D’être capable de percevoir des questions depuis un angle différent, d’avoir une opinion plus nuancée. Un horizon plus large. »
Pour les anciens djihadistes considérant qu’ils n’ont pas besoin d’aide, la condamnation n’est pas non plus à l’ordre du jour même s’ils ne sont pas tout à fait exempts d’un face-à-face avec la justice. La police transmet tout de même les dossiers des réfractaires au procédé de réintégration aux services de renseignements qui suivent de près les individus en question. Jacob Bundsgaard demeure ferme sur la question : ce n’est « simplement pas acceptable que des jeunes s’engagent dans un conflit à des milliers de kilomètres qui n’est pas leur conflit, que les [leaders religieux radicaux] aillent les faire tuer, ou les laisser mentalement ou physiquement traumatisés. »
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Aarhus face à la ghettoïsation et la radicalisation de ses banlieues
Les mesures entreprises par la ville sont bien accueillies par la communauté musulmane de Aarhus et ses alentours, qui est le principal terrain d’application du programme de déradicalisation. Le Danemark, et en particulier Aarhus, souffre comme beaucoup de ses voisins européens d’une importante ségrégation sociale. Selon The Guardian, 15% de la population de Aarhus est constituée d’immigrés ou de descendants d’immigrés, et ce chiffre monte à deux tiers pour les personnes vivant en banlieue. La majorité de ces populations est musulmane et originaire de pays d’Afrique, en particulier de Somalie, mais on retrouve aussi des populations turque, palestinienne et irakienne largement concentrées dans la périphérie de la ville.
Le phénomène de ghettoïsation des vagues d’immigration qui ont touché le pays depuis 1960 a résulté comme dans beaucoup de cas en Europe, en une évolution vers des quartiers défavorisés. Malgré une intégration de ces deuxième et troisième générations d’immigrés relativement réussie, la discrimination raciale à l’école comme sur le marché du travail, le décalage entre le niveau d’éducation et l’occupation professionnelle, et une rupture du lien avec leur environnement a souvent généré un sentiment de frustration et d’exclusion. Une situation où le recours à la violence en tant que moyen d'expression semble alors être la seule option.
Le sentiment d’abandon et d’exclusion que ressentent beaucoup de ces jeunes de banlieues donne fréquemment du grain à moudre à des imams radicaux qui prêchent dans les mosquées de périphérie. A Aarhus, la mosquée de Grimhøj a souvent été un vivier de leaders appelant au djihad et au départ de leurs ouailles pour mener la guerre sainte au Moyen-Orient, comme le mentor Abdessamed Fateh qui a prêché à Grimhøj jusqu’en 2013, récemment ajouté par les États-Unis à leur liste noire des Specially Designated Global Terrorists. Les autorités estiment que la mosquée a déjà envoyé 23 djihadistes en Syrie.
« Cure de désintoxication » : les voix contre
L’accueil du programme de réinsertion sociale de ces anciens djihadistes prête parfois à confusion. Oussama al-Saadi, le président de la mosquée confiait au Guardian que ces jeunes sont partis « pour aider, pour faire la différence. C’est tout à fait normal dans notre religion : nos amis, nos frères, notre communauté souffre en Syrie, et nous essayons de les aider. Le djihad n’est pas seulement la guerre sainte. »
De la même manière, la méthode est souvent l’objet de polémique, jugée parfois inefficace au vu des relents de haine comme avec les attentats à Copenhague les 14 et 15 février 2015. Un membre du Parlement danois, et du parti nationaliste le Parti du peuple danois, considère qu’« ils sont bien trop laxistes [à Aarhus], et ils échouent à voir le problème. Le problème c’est l’islam. L’islam lui-même est radical. On ne peut pas intégrer un grand nombre de musulmans dans une communauté chrétienne. »
Une programme de réinsertion pourtant bien accueilli par la communauté musulmane
La commune a pourtant réussi à établir un véritable dialogue avec beaucoup de représentants de Grimhøj. A travers la rencontre de ces revenants, les représentants de la ville tentent ainsi de comprendre les raisons qui ont motivé ces hommes et ces femmes à partir lutter aux côtés de rebelles au Moyen-Orient ou du Front islamique, et essaient de les dissuader d’emprunter le chemin de la violence. Le porte-parole de la mosquée affirmait que « cette idée est définitivement la bonne. C’est une bonne chose de ne pas traiter ces jeunes gens de criminels, comme ils le font à Londres et ailleurs. C’est beaucoup mieux de bien les traiter de cette manière ils se sentiront honteux d’avoir fait quelque chose de mal quand ils seront revenus. Si vous les traitez sévèrement, injustement, ils commenceront à haïr la société. »
Le journal danois The Local souligne que depuis la création du projet en 2007, 130 cas de radicalisation ont été détectés, dont la majorité a été traitée. Parmi eux, 15 personnes ont accepté l’accompagnement personnel par un moniteur de la méthode Aarhus, dont 8 sont arrivés à leurs fins avec succès, et les personnes restantes seraient toujours suivies par le programme.
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Des questions plus larges
La méthode SSP a pourtant aux yeux de certains une défection intrinsèque. Jette Klausen, un professeur à la Brandeis Université, qui a étudié de près les djihadistes revenants, expliquait au journal Newsweek que leur ouvrir les portes sans autre forme de procès est « extrêmement naïf » notamment quand ces individus ont endommagé l’image de l’Occident. « Nous avons maintenant des occidentaux qui marchent dans les rues de Raqua donnant des ordres à la population musulmane locale. Cela crée un sérieux problème de crédibilité. »
D'autres voient dans la méthode Aarhus des questions plus larges. L’aspect arbitraire de la qualification d’un individu comme étant extrémiste ou non par les services de renseignements, simplement basée sur le soupçon, pose un sérieux problème éthique et moral aux autorités. Le maire lui-même déclarait lors du Policy Forum de Washington : « comment aborderiez-vous, sans compromettre vos principes fondamentaux, le fait que certains ne sont pas d’accord avec ces principes fondamentaux ? » questionnant alors le fait que certains puissent se positionner aux extrêmes de l’échiquier politique sans pour autant que la religion soit impliquée.
Qu’en est-il de la question des réfractaires ? Peut-on vraiment obliger quelqu’un à ne plus croire en quelque chose ? Si la majorité des djihadistes revenants semblent coopérer avec les autorités danoises, dû à un grand traumatisme et à une désillusion quant à ce que le djihad leur apporterait, d’autres paraissent considérer ne pas devoir faire l’objet d’un accompagnement par les moniteurs de la méthode Aarhus. Cela souligne indirectement un échec cuisant des pays occidentaux à atteindre une politique d’égalité et d’intégration réussie. Preben Berltesen, un professeur de psychologie à l’université d’Aarhus demandait alors à la journaliste de Newsweek « où vont-ils aller après ? [...] J’ai peur que nous nous retrouvions avec des jeunes nomades n’ayant d’autre opportunité que la criminalité et la destruction violente. Sauf si nous les aidons à se réintégrer, ils se mettront à la recherche d’un nouveau groupe qui sera probablement davantage agressif. » La méthode Aarhus, une initiative louable donc, mais loin d'être parfaite.