Corée du Sud : alchimie politique à Séoul

Alexis Raison
13 Novembre 2013


Lundi 4 novembre, le gouvernement coréen a envoyé à la Cour constitutionnelle une demande pour dissoudre le Parti Progressiste Unifié (PPU). Dans le même temps, Ahn Cheol-soo, un député indépendant à l’assemblée nationale a annoncé son intention de créer son propre parti.


Ahn Cheol-soo | Crédits photo -- Yonhap
La vie politique est, au-delà des ponctuels événements électoraux et des politiciens, l'histoire continue de familles et de partis politiques. Cette semaine pourrait marquer l'histoire partisane coréenne par une évolution déclenchée par deux événements. Le premier est la demande gouvernementale envoyée à la Cour constitutionnelle de dissoudre le Parti Progressiste Unifié (PPU), parti ayant raflé 6 sièges sur 300 aux dernières élections législatives de 2012. Le second est la déclaration d'Ahn Cheol-soo, député indépendant à l'assemblée nationale, qui a annoncé son intention de créer son propre parti.

La fin annoncée du Parti Progressiste Unifié

La demande gouvernementale faite à la Cour constitutionnelle pourrait bien clôturer un feuilleton politique qui a commencé l'été dernier, avec l'accusation faite au PPU de vouloir renverser le gouvernement en cas de conflit avec le Nord, et d'avoir ainsi planifié un véritable coup d’État. Le 4 septembre, les députés du parti majoritaire et de l'opposition ont décidé ensemble de retirer l'immunité parlementaire au député Lee Seok-ki, leader de ce parti, permettant son arrestation pour trahison.

Une nouvelle étape de cette affaire se joue à présent avec la demande de dissolution transmise au Conseil constitutionnel, lundi dernier. La raison avancée par Hwang Kyo-ahn, ministre de la Justice, est que le PPU est un danger pour la démocratie, désireux de renverser le gouvernement. Il qualifie le mouvement d' « organisation révolutionnaire ».

Réagissant à cela, le Parti du Progrès Unifié dénonce le caractère anti-constitutionnel de la demande, qui bafouerait les bases même de la démocratie. Pour Lee Jung-hee, candidate du PPU à la dernière élection présidentielle, si la demande gouvernementale de dissolution était permise par la Cour, cela constituerait à un retour à la période Yunshin. Cette allusion est lourde de sens, faisant référence au pouvoir de Park Chung-hee dans les années 1970. Quatrième République coréenne, la période Yushin ne fut autre qu'une dictature militaire. C'est une manière explicite de s'attaquer au pouvoir en place, Park Chung-hee étant le père de l'actuelle présidente.

Le Conseil Constitutionnel, composé de neuf juges, devra accepter par six voix la demande du gouvernement pour que celle-ci soit effective. C'est la première fois dans l'histoire constitutionnelle du pays que la Cour, instituée en 1988, doit se prononcer sur un tel cas.

Cette affaire touche de manière collatérale le parti démocrate, le principal parti d'opposition (centre-gauche), qui a dénoncé dès le début le PPU. Le parti demande une décision « sage » du Conseil constitutionnel. Le parti démocrate souhaite ainsi ne pas recevoir sur lui l’opprobre tombant sur le PPU, marqué comme pro-Corée du Nord, ce que tentent malicieusement d'organiser quelques députés du Saeunuri, parti au pouvoir, en dénonçant des alliances passées entre les deux formations d'opposition.

Ahn Chael-soo, un centrisme à la coréenne

Pendant que la gauche de l'échiquier politique est en train de perdre pied, un mouvement innovant se précise au centre. Dimanche dernier, Ahn Chael-soo, entrepreneur dans le domaine des logiciels, professeur à Seoul National University et ancien candidat à la présidentielle de 2012 a annoncé son intention de créer un nouveau parti. Député sous l'étiquette indépendante, il pourrait, s'il va au bout de sa démarche, rénover le paysage politique en mettant en place ce qui pourrait être un troisième grand parti politique.

Cela mettrait fin au bipartisme, où le Saeunuri (conservateur) et le Parti démocrate se partagent le pouvoir. Lors de l'élection présidentielle de 2012, il ne s'était présenté que tardivement en septembre, avant de se retirer au profit du candidat du parti démocrate pour éviter la victoire du camp conservateur. Entre-temps, il avait su mobiliser les déçus, les indécis, les jeunes et les libéraux, ayant pu dans les sondages d'octobre 2012 flirter avec les 30%, quand le Parti démocrate peinait à dépasser les 20 %.

La scène politique coréenne s'anime, les lignes bougent à l'extrême-gauche, au centre, mais la droite n'est pas à l'abri d'un retour de bâton politique. La Présidente, opportunément à l'étranger pour la demande de dissolution du PPU, a évité d'affronter la grogne qui s'amplifie contre les services de renseignements (NIS), qui auraient participé à l'élection de Park Geun-hye. Mardi dernier, le chef du NIS a admis que près de 2 000 tweets négatifs visant Moon Jae-in, candidat du Parti démocrate face à l'actuelle Présidente, avaient été publiés. Il a expliqué cela comme une dérive de la cellule de combat psychologique contre la Corée du Nord.

Le parti Saenuri a remporté haut la main deux élections partielles le 30 octobre dernier, avec près de 62 % et 78 %. Il faudra attendre encore un peu pour observer si le pouvoir conservateur chancelle ou non devant une offre politique renouvelée et devant l'évolution de l'affaire impliquant le NIS.