Affiche d'une campagne pour les droits civils des Palestiniens
« Comme si, je n’existais pas, elle est passée à côté de moi… » Selon Sam (ndlr : les prénoms ont été modifiés), une jeune libanaise qui a accepté de participer à cette enquête, les paroles de Khaled décrivent très bien la relation –ou le refus de relation- entre Palestiniens et Libanais. Sur les réseaux sociaux, tous les Libanais commentent les événements voisins : la guerre entre Israël et la bande de Gaza et la reconnaissance de la Palestine à l’ONU. Une part importante de la vie politique libanaise est tournée vers ce conflit et la résistance face à Israël.
Sam, comme les dix autres personnes interviewées, dessine une réalité moins manichéenne que celles des discours politiques. Ces jeunes décrivent un conflit complexe, où les guerres passées se mêlent dans les mémoires à celles du présent.
Ces jeunes Libanais soutiennent en général les revendications des Palestiniens pour un État indépendant. Ils se réjouissent de la reconnaissance de l’État palestinien à l’ONU. Tous n’ont pas une connaissance approfondie du conflit, mais l’exode des Palestiniens vers les pays voisins en 1948 fait partie de la mémoire collective. Pour Hani, les Palestiniens sont des « combattants ». Aby les voit comme des « innocents expropriés ». A l’inverse, Hanah refuse de considérer les Palestiniens comme des victimes : « Ils sont aussi nos agresseurs ! Je n’ai aucune pitié pour eux.»
L’image des Palestiniens au Liban n’est pas toujours aussi belle et tragique que celles des Palestiniens dans le conflit contre Israël. Quand on leur parle de la présence palestinienne dans leur pays, les jeunes Libanais nuancent en effet leurs réponses. Ils dénoncent en partie l’utilisation politique récurrente de certaines expressions comme « libération de la Palestine » ou « résistance à Israël » qui imprègnent les esprits.
Depuis des années, le conflit israélo-palestinien permet aux hommes politiques locaux de détourner l’attention des problèmes sociaux et économiques qui se posent au Liban. La présence palestinienne au Liban est prétexte à l’immobilisme. C’est, par exemple, la raison officielle pour laquelle la transmission de la nationalité n’est pas accordée aux femmes libanaises –qui permettraient, par le mariage, à des Palestiniens d’acquérir la nationalité.
Les camps palestiniens sont fréquemment montrés du doigt comme des zones de non-droit. Ils sont parfois perçus comme un fardeau dans un pays déjà pauvre et instable. Dans la douzaine de camps répartis sur le territoire libanais, les Palestiniens vivent dans des conditions difficiles, sans papiers, sans droit au travail. Les taux de délinquance sont élevés, ce qui nourrit la défiance des Libanais envers eux.
Des années après la guerre civile, certains des jeunes interviewés rappellent la double trahison qu’ont eu à subir les Libanais. Trahison des autres pays arabes, qui ont laissé le Liban porter seul le poids des exilés et de la guerre de reconquête après les accords du Caire en 1969, et trahison des Palestiniens qui ont déstabilisé le pays et participé à la guerre civile entre 1975 et 1990.
D’autres pensent que les Palestiniens sont les premiers trahis. Les Libanais refusent de voir la réalité des camps palestiniens, dans l’attente d’un improbable retour au pays de leurs voisins. « Ils sont trop préoccupés par leurs propres soucis pour s’intéresser au sort des Palestiniens,» explique Lina.
Et Israël ? C’est l’ombre qui plane au-dessus de tous. Sept des participants reconnaissent avoir peu de connaissance, voire aucune connaissance d’Israël. Au Liban, tout ce qui a trait à Israël est censuré. Il n’y a quasiment pas de contacts entre les deux pays, sinon la guerre.