Voici le plus grand exode dans l’histoire de l’humanité : les populations rurales de Chine migrent vers les villes à une telle vitesse que d’ici 2030, une personne sur huit dans le monde vivra dans une ville chinoise.
Avec la modernisation et le développement économique extrêmement rapide de la Chine, une énorme partie de la population rurale fuit la campagne à la recherche d’une meilleure qualité de vie en ville. À l’heure actuelle, on compte environ 250 millions de travailleurs migrants dans les villes de Chine. Ces gens vivent sans « hukou », un permis obligatoire pour acheter un logement ou envoyer ses enfants à l’école. Cette base de données des habitants « légaux » des villes est une manière par laquelle l’État chinois empêche justement ces travailleurs de s’installer en ville. Résultat : ils constituent le plus grand nombre d’habitants de taudis au monde.
Pas de « hukou », pas de vie
Ce système fait des habitants des étrangers dans leur propre pays. Ils n’ont pas d’emploi légal, ni d’accès aux services publics tels que l’éducation ou encore la santé. Ils se regroupent en communautés dans les périphéries, dans de petites maisons auto-construites, sans chauffage en hiver ni de ventilation en été. Leurs conditions de vie sont dégradantes : ils n’ont accès qu’à des toilettes publiques, où les déchets s’entassent. D’autres s’abritent dans les vastes sous-sols des villes, louant des petites chambres où ils doivent souvent partager un lit. D’autres encore se réfugient dans des dortoirs préfabriqués, près des friches urbaines ou des usines, ou même dans des tentes près de sites de construction.
Un héritage communiste
Selon Tom Miller, auteur de China’s Urban Million, l’héritage de l’URSS se trouve à la base de ce problème. L’idéologie communiste a façonné l’urbanisme chinois : les villes se sont construites dans un cadre où le peuple travaillait et vivait au même endroit, sans jamais bouger. Miller écrit que « pour eux, ce qui compt[ait] c’é[tait] de créer pour le futur et de construire des centres de production. Le but d’une ville communiste est d’être fonctionnelle. » Depuis le passage à un système capitaliste, on a désormais des consommateurs qui se déplacent partout, à toute heure, au sein d’une ville. Tout à coup, le modèle fixe d’une ville communiste ne fonctionne plus.
Rester ou rentrer ?
Le fait que ces ruraux ne possèdent pas les compétences et les savoir-faire nécessaires pour habiter en ville est encore plus problématique. Ce sont des paysans qui ont toujours habité à la campagne, et sont donc mal adaptés au contexte urbain avec ses milliers de règles et de normes, ainsi qu'au manque d’espace important. Un paysan qui ne faisait qu’élever des poules et cultiver du riz n’aurait simplement pas de rôle dans une économie tertiaire. Il y a un décalage fort au niveau de la formation (de la technologie, des normes sociales, etc.) qui empêche ces gens de réussir en ville. C’est ainsi qu’émerge une nouvelle classe qui ne s’incorpore pas dans la société chinoise moderne.
Si ces personnes étaient réellement intégrées dans les villes, elles auraient énormément de potentiel pour relancer la productivité économique du pays. Pourtant, le système actuel de « hukou » les aliène. Cela ne fait qu’empirer la pénurie de main d’œuvre dans les métropoles toujours croissantes. Aujourd’hui, certaines provinces rurales font des foires à l’emploi en essayant d’inciter ces travailleurs à rentrer à la campagne. Tant qu’ils seront invisibles et non-désirés en ville, cela restera une option attractive.
Si ces personnes étaient réellement intégrées dans les villes, elles auraient énormément de potentiel pour relancer la productivité économique du pays. Pourtant, le système actuel de « hukou » les aliène. Cela ne fait qu’empirer la pénurie de main d’œuvre dans les métropoles toujours croissantes. Aujourd’hui, certaines provinces rurales font des foires à l’emploi en essayant d’inciter ces travailleurs à rentrer à la campagne. Tant qu’ils seront invisibles et non-désirés en ville, cela restera une option attractive.