Canada : la marche des Autochtones

Flaminia Bondi, correspondante à Montréal
2 Avril 2013


La contestation des Autochtones canadiens, commencée mi-janvier, prend de l'ampleur.


Par âpihtawikosisân | Publié le 16 décembre 2012
La marche de protestation autochtone, débutée mi-janvier pour soutenir le mouvement « Idle No More » (Nous ne sommes plus passifs) a finalement atteint Ottawa le lundi 26 mars. Cette marche, née de l'initiative du jeune autochtone de 17 ans David Kawapit, rassemblait au départ six personnes devant parcourir environ 1600 km à pieds pour se rendre à la capitale afin de porter leurs revendications pour des conditions de vie meilleures, et voulant symboliser une génération, de fait très jeune, mobilisée face aux discriminations subies par leurs communautés. 

La marche avait réuni plusieurs Amérindiens ou sympathisants du mouvement tout au long du chemin, jusqu’à rassembler finalement 200 personnes devant le Parlement. Le mouvement contestait notamment le récent projet de loi du gouvernement de Stephen Harper C-45, qui était selon eux discriminatoire en ce qui concerne la protection des eaux navigables et l'utilisation des réserves. 

De nombreuses revendications

La marche s’était aussi inspirée de l’acte courageux de Thérèse Spence, chef de la réserve d'Attawapiskat, en grève de la faim du 11 décembre 2012 au 23 janvier, qui réclamait  une rencontre avec le Premier ministre Harper, afin de  pousser le gouvernement à prendre plus au sérieux les conditions de vie des populations autochtones. Celui-ci, après de nombreuses hésitations, avait fini par accepter, mais la rencontre avait été jugée décevante par Spence.  

Les populations autochtones, plus de 90 000 seulement au Québec, restent en effet victimes de nombreuses discriminations au Canada, passées le plus souvent sous silence. Un des cas les plus récents, ayant aussi déclenché une marche à Montréal le 12 mars, concernait 22 femmes autochtones disparues ou assassinées en 2010, et dont les dossiers avaient aussi silencieusement disparus en 2012. 

Ces populations, ancêtres des Amérindiens qui occupaient déjà les territoires canadiens avant l’arrivée des Européens, sont composées de différentes communautés, et font souvent l’objet de nombreuses « appellations » et de « clichés », alimentés par une grande mésinformation au niveau de l’éducation et propagée par les médias de masse. Ceux-ci se sont vus qualifiés d' « alcooliques », de « paresseux » ou désignés « socialement inutiles car vivant aux dépenses de l’Etat ».

Un peuple jamais conquis par les Européens

Cela est dû à l’existence de certains droits qui leurs sont accordés en raison de leur statut particulier de « premières nations » habitant les territoires avant même la formation de l’Etat canadien, et ayant pour cela droit à une partie de ces terres. Ces différentes communautés, déjà en guerre entre elles pour la définition des frontières, ont finalement fini par s’intégrer à l’Etat à travers de nombreux traités qui devaient viser un partage équitable des terres, mais qui sont depuis de plus en plus ignorés. Pour cette raison, les populations amérindiennes ne se sont jamais senties « conquises » par les Européens, et revendiquent encore aujourd’hui leur autonomie et leur droit à l’autodétermination. 

Ce « partage » prévoyait l’attribution d’une partie des terres, sous le nom de « réserves », étant à utilisation exclusive des Amérindiens et garanties par l’Etat, où ceux-ci pouvaient exercer leur liberté, sans jamais parler pour autant de « souveraineté ». Ces terres restaient la propriété de l’Etat, ce qui exemptait d'impôts les populations. Ceci leur a longtemps valu l’appellation de « citoyens privilégiés », et alimente encore aujourd’hui la méfiance des Canadiens vis-à-vis de ces peuples, qui vivent selon eux à leurs dépens et sans travailler, d’où l’autre appellation de « paresseux. »

Il faut dire cependant que si ces populations profitent de droits qui leur sont propres, elles sont aussi privées d’autres droits normalement accordés aux autres citoyens canadiens. Par exemple, ces populations manquent de fait de la « libre disposition des biens » et restent pour cela sous tutelle de l’Etat, développant ainsi une relation de dépendance vis-à-vis de celui-ci.

De plus, le fait de ne pas payer d’impôts, entraîne une limite dans le droit d’occupation, et dans la possibilité de transfert des terres entre communautés devant d’abord passer par l’approbation du gouvernement canadien. A cela s’ajoute l’impossibilité pour ces terres de devenir objet d’hypothèque, ce qui limite les possibilités d’emprunt en diminuant les chances d’accès au crédit. Le paiement des impôts rend en effet normalement possible la revendication de certains droits, qui sont dans ce cas pour la plupart limités.

Incompréhension entre les citoyens canadiens

La majorité des citoyens ignore désormais cette situation, et continue de les considérer comme des « privilégiés », éprouvant un sentiment d'injustice qui ne fait qu’alimenter les tensions entre les peuples. Ils sont aussi souvent définis comme paresseux, en raison du taux de chômage élevé dans les réserves, ceci s’expliquant simplement par un manque de création d’emploi dans ces lieux et une population autochtone de plus en plus jeune. 

Ces clichés sont donc bien enracinés dans la société canadienne à cause d’une relative sous-information au niveau de l’éducation primaire comme secondaire, ne traitant que partiellement ces questions, et de la propagation en vague de ces préjugés par les médias. Nombreux sont en effet les documentaires à la télévision ou sur le web, qui montrent les populations autochtones vivant dans la pauvreté et toujours impliquées dans des épisodes de drogue, d’alcoolisme et de délinquance. C’est  cet aspect véhiculé qui fait grandir le mépris social chez les uns, et suscitant un sentiment de méfiance chez les autres.

Pourtant, bien qu’il est vrai que ces populations vivent dans des conditions souvent dépréciables, notamment en ce qui concerne l’accès à l’eau et le sous-fiancement de l’éducation, cela est loin d’être une généralité. De nombreux jeunes autochtones travaillent ou étudient comme le reste des citoyens canadiens, et obtiennent aussi de nombreuses récompenses : c’est le cas par exemple de Stanley Vollant, chirurgien Innu, reconnu pour ses compétences et son engagement envers les populations autochtones.

C’est également le cas de ces jeunes Autochtones qui ont entamé une marche de 1600 km pour revendiquer leur droit à la dignité, et montrer à tous qu’ils sont là et loin d’être passifs, ni paresseux, mais dynamiques, déterminés, et courageux. Peut-être qu’une nouvelles génération de jeunes se fait place sur la scène publique, dans les mouvements autochtones comme dans le printemps érable, déterminés à changer les choses et à mettre fin aux injustices.