Campagne à risque au Pakistan

6 Mai 2013


Le 11 mai prochain, se dérouleront les élections législatives pour renouveler les élus de l’Assemblée nationale et des quatre assemblées provinciales du Pakistan après un mandat de 5 ans. À l’issue de ces élections législatives, les parlementaires élus choisiront le nouveau président.


Photo - Daniel Berehulak
À moins de deux semaines de ces élections cruciales pour la transition démocratique du pays, les talibans sont à l’origine d’une série d’attentats contre les partis laïcs et indépendants. Les talibans réunis au sein du mouvement Tehreek-e-Taliban (TTP) entravent la construction démocratique du pays en troublant le bon déroulement de la campagne électorale. Leur but clairement affiché est de prendre le pouvoir acquis par les partis laïcs et de supprimer leurs opposants idéologiques. Leur lutte a déjà fait plus de 5700 morts à travers tout le pays depuis 2007.

Le 2 mai, le porte-parole militaire, le major général Asim Saleem Bajwa a annoncé que le déploiement de soldats était en cours pour ces nouvelles élections. Lors de la distribution des bulletins de vote, le personnel de la commission électorale du Pakistan sera présent avec l’armée pour assurer la bonne conduite des élections aux assemblées nationales et provinciales. Mais à quelques jours du vote, les candidats reçoivent des menaces et sont victimes d’attentats de plus en plus nombreux.

Guérilla des talibans contre les candidats en liste

Fondamentales pour l’avenir démocratique du pays, les élections législatives sont minées par les attentats des talibans contre les partis laïcs et indépendants. Le Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP), mouvement des talibans pakistanais, manifeste son opposition à la tenue de ces élections législatives en multipliant les attentats à travers le pays. Les candidats indépendants sont les premières victimes touchées par cet acharnement meurtrier. Dimanche 28 avril, ce sont les locaux du candidat indépendant dans la zone tribale d’Orakzaï, Noor Akbar, qui ont été visés. L’explosion a fait au moins cinq morts et une vingtaine de blessés. Quelques minutes plus tard, c’est un second candidat indépendant, Nasir Khan Afridi, qui a fait l’objet d’une attaque des talibans. Il se présente dans la zone tribale de Khyber où les talibans et les milices progouvernementales ne cessent de s’affronter. L’accident a fait au moins trois victimes.

Mais les talibans n’épargnent pas les candidats engagés pour la cause laïque au Pakistan. Le porte-parole du mouvement des talibans pakistanais, Ehsanullah Ehsan, a engagé les hostilités le 18 mars par le biais d’un message vidéo. Les électeurs ont été invités à ne pas se rendre dans les meetings organisés par les trois partis de la coalition du gouvernement sortant : le Parti du peuple pakistanais, le Muttahida Qaumi Movement et l’Awami National Party. Les talibans se liguent ainsi contre les partis de gauche pour favoriser la victoire de la droite. Ils dénoncent le soutien de ces partis aux opérations anti-talibans le long de la frontière afghane depuis 2008.

Mohammad Yunus Khan, candidat de l’Awami National Party (ANP), est dans le collimateur du parti des talibans pakistanais. Le TPT affiche clairement son intention d’éliminer les cadres du parti de l’ANP qu’il tient pour son principal rival. Considéré par les talibans comme un parti proaméricain, l’ANP compte déjà une quarantaine de responsables tombés sous les attaques du parti taliban. Ghulam Bilour, figure du parti, est également en sursis. Il vient d’essuyer une nouvelle attaque d’un kamikaze sur son véhicule blindé.

Le parti laïc, Muttahida Qaumi Movement (MQM), partenaire de la coalition du gouvernement sortant, n’est pas épargné non plus. Abattu par des hommes armés à moto au début du mois avril, l’épicier Fakhrul Islam est le premier candidat à mourir dans la campagne électorale dans un attentat. Candidat du MQM, deuxième parti dans la province méridionale du Sind, il se présentait pour un siège au parlement local.

Mais à l’heure où la classe politique pakistanaise vit au rythme des explosions, certains ne craignent pas les menaces et refusent même de se cacher derrière une vitre pare-balle. L’ex-gloire du cricket, Imran Khan, au plus haut dans les sondages, mène sa « révolution » depuis le début de la campagne sans se soucier des diverses attaques. Le chef du Pakistan Tehreek-e-Insaf (Mouvement pour la justice) monte dans l’estime de l’opinion publique dès 2011 en dénonçant la corruption des élites et les drones américains qui bombardent le nord du pays. Après avoir boycotté les élections de 2008, il continue son ascension à l’approche des législatives du 11 mai prochain.

Une situation qui dure depuis 2008

Aux dernières élections législatives de 2008, le Parti du Peuple Pakistanais (PPP) était arrivé en tête, même s’il avait été obligé de créer une coalition gouvernementale pour obtenir une majorité stable. Le 9 septembre 2008, Asif Ali Zardari, co-président du PPP, avait été élu président de la république par un collège électoral et Youssouf Raza Gilani avait été propulsé au poste de premier ministre.

Le premier gouvernement de coalition était en partie formé par deux partis islamistes : la Ligue musulmane du Pakistan (Nawaz Group) arrivée deuxième, la Jamiat Ulema-e-Islam (F), et deux autres partis laïcs : le Muttahida Qaumi Movement (MQM) et le parti national Awami. À travers cette coalition, la Ligue musulmane du Pakistan (Q), issue de la Ligue musulmane du Pakistan (N) fondée en 2002, avait été mise à l’écart. Elle avait été exclue notamment pour son soutien à l’ancien président, Pervez Musharraf. 

Or, la coalition a commencé à s'essouffler dès août 2008, ce qui a alors poussé le gouvernement en mai 2011 à conclure un nouveau pacte de coalition. Puisqu'elle ne soutenait plus Pervez Musharraf depuis sa démission, la Ligue musulmane du Pakistan a pu intégrer la coalition.


Instrumentalisation de la vie politique

Riche de rebondissements, la campagne électorales de 2013 est marquée par la décision du tribunal pakistanais d'interdire à vie, ce mardi 30 avril, l’ancien président de candidater aux élections pour « violations » de la constitution pendant son passage au pouvoir. La justice pakistanaise vient de remettre en cause le principe selon lequel les militaires seraient intouchables. Placé en résidence surveillée, Pervez Musharraf venait de mettre fin à 4 ans d’exil avec pour but de participer aux prochaines élections législatives.

Mais une semaine après sa mise en détention, le procureur chargé de diriger l’enquête sur le meurtre de l’ex-première ministre Benazir Bhutto en décembre 2007, Chaudhry Zulfiqar, est assassinée. C’est dans le cadre de cette affaire que Pervez Musharraf, est assigné à résidence. Benazir Bhutto a probablement été abattue pour son opposition aux talibans pakistanais et aux organisations islamistes soutenus par des membres de l’armée. Le fils de l’ex-première ministre, Bilawal Bhutoo Zardari, fait d'ailleurs campagne pour les prochaines élections au nom du Parti du Peuple pakistanais tout en évitant les manifestations et les rassemblements pour des raisons évidentes de sécurité.