Bosnie-Herzégovine : le pays où l'on naît sans-papier

Iris Vigier
21 Juin 2013


Depuis février dernier, les nouveaux-nés de Bosnie-Herzégovine ne reçoivent plus de numéro d’identité. Une situation intolérable pour un nombre croissant de Bosniens. Cela aboutit aujourd’hui à une vague de protestations portée par une foule toujours plus nombreuse et dépassant les clivages ethniques et religieux qui paralysaient jusqu’à présent le fonctionnement du pays.


Manifestation devant le Parlement à Sarajevo / Crédits : Kenan Music / Occupykcjournal.com
Depuis le 12 février dernier, l'État bosnien n'attribue plus de numéro d'identification national à ses nouveaux-nés. Depuis près de quatre mois, ces enfants ne peuvent donc pas recevoir de passeport ou être couverts par la sécurité sociale. A l’origine du problème, la suppression par la Cour constitutionnelle bosnienne de la loi prévoyant l’attribution des numéros d’identité nationaux. Cela fait suite à une plainte de la Republika Srpska (la République serbe de Bosnie-Herzégovine) relative au non-respect, par cette loi, des changements de noms de certaines communes après la guerre. Les dirigeants de cette entité réclament un nouveau système d’attribution de numéros particuliers, différenciant les nouveaux-nés serbes.

Après la guerre, la Bosnie-Herzégovine a été divisée en deux entités : une fédération de Bosnie-Herzégovine que se partagent les Croates et les Bosniaques et la Republika Srpska dominée par les Serbes. Chacune de ces entités fonctionne de manière semi-autonome avec ses propres parlements et administrations. Le niveau fédéral fonctionne, lui, de manière collégiale. Nécessitant une cohésion et une entente entre les différentes forces politiques du pays qui semble, à l'heure actuelle, encore inexistantes. L’affaire des nouveaux-nés n’est qu’une nouvelle illustration de l’absurdité de l’organisation du pays et de son incapacité à fonctionner correctement, perpétuellement bloqué par un nationalisme à fleur de peau.

La « Révolution des bébés »

C'est à Sarajevo que le mouvement de contestation est né. En effet, à travers le problème collectif d'absence de numéro d'identité, s'est dessinée une tragédie individuelle, celle de Belmina Ibrisevic. Agée de trois mois, la petite fille est devenue le symbole de cette ineptie politique. Devant subir une opération vitale en Allemagne, son voyage a été compromis puisqu'elle ne pouvait pas obtenir de passeport. Cela a entrainé des vagues de protestation de plus en plus importantes à Sarajevo, puis dans le reste du pays.

Pour la première fois depuis la fin de la guerre, des manifestations d'une grande ampleur ont rassemblé l'ensemble des ethnies du pays. Le 5 juin, près de 3 000 Bosniens se sont donné rendez-vous devant le Parlement à Sarajevo. Ils y ont exprimé leur mécontentement et bloqué la sortie des Parlementaires. Poussettes au bout des bras, de nombreuses mères de famille ont participé à cette manifestation. Près de 1 500 élus et fonctionnaires sont ainsi restés enfermés, assistant aux manifestations, impuissants. Face à cette situation, les législateurs ont permis l'attribution de papiers temporaires. Néanmoins, la mesure a été jugée insuffisante par les manifestants. Ces derniers n'ont pas décolé et exigent toujours que le problème soit réglé rapidement.

Un printemps bosnien ?

Dans un pays constamment bloqué par les tensions politiques entre les représentants des différentes ethnies, l’incapacité de l’Etat à offrir une existence juridique à ses nouveaux citoyens est devenue le catalyseur d’une vaste remise en cause des institutions et des dirigeants de Bosnie-Herzégovine. Loin de ne mobiliser que les familles touchées, ce problème a rencontré un vaste écho dans toute la société. Aux premiers manifestants de Sarajevo se sont joint des organisations de salariés, des associations de retraités et d’anciens combattants. A Banja Luka, les étudiants et professeurs ont manifesté contre les promesses non-tenues du SNSD de Milorad Dodik, président de Republika Srpska.

Après avoir gagné l'ensemble de la Bosnie, ces protestations ont eu un retentissement dans d'autres pays. Ainsi, à Belgrade, en Serbie, une manifestation a été organisée en soutien aux Bosniens. Désormais, un cessez-le-feu a été prononcé sous le mot d'ordre « Silence : le Parlement travaille ». Cela limite ainsi la possibilité de protester et laisse espérer une évolution concrète de la situation.

Ces manifestations ont rassemblé l'ensemble de la population de Bosnie-Herzegovine autour de problèmes qui n'étaient pas liés à des considérations ethniques. Contrairement à ce que les partis politiques au pouvoir persistent à dire. Ces derniers sont ainsi désavoués et leur politique remise en question. La « révolution des bébés » pourrait ainsi marquer la fin de la sclérose administrative et politique du pays.