Crédit Clément Chautant
Il faut rouler trente minutes depuis Lyon pour atteindre ce lieu hors du commun conçu dans les années 1950. Tranchant radicalement avec la nature environnante, ce bloc de béton perché sur pilotis se voulait l’incarnation de l’architecture nouvelle. Ouvert sur l’extérieur, sa structure se fait discrète, reposant sur des colonnes en béton armé pour faire place à une façade vitrée, de sorte qu’aujourd’hui la grisaille du bâtiment se confronte à la chaleur des couleurs automnales.
Loin du faste des églises catholiques, le lieu se prête à la méditation. Le Corbusier disait de cette « œuvre d’amour » qu’elle se vit de l’intérieur. Qu’il fasse référence à l’intérieur même du bâtiment ou au for intérieur du visiteur, la remarque est pertinente tant le monumental fait place à la sobriété dès lors que l’on y pénètre. Ces trajectoires rectilignes renvoient à la transcendance du lieu, l’ascétisme se reflète dans la simplicité du choix des matériaux. On ne reste pas indifférent au couvent de la Tourette.
Crédit Clément Chautant
Une construction passée au kaléidoscope
« Cet art analytique est le plus accueillant, le plus capable d’intégrer des réalités nouvelles, précisément parce que son unité est celle de l’image qui n’est pas matérielle et qui fait le pont entre les textures et la configuration. »
Le couvent semblait être prêt depuis longtemps à accueillir les œuvres d’Anish Kapoor, comme le rappelle cette phrase imprimée sur l’une des baies vitrées du bâtiment. Cette inscription, qui guide le visiteur et souligne l’originalité du bâtiment, est antérieure aux installations de l’artiste indo-britannique et survivra à son démontage le 3 janvier prochain. Pour autant, elle illustre très justement le travail réalisé par Anish Kapoor chez Le Corbusier, comme si elle lui était dédiée.
Dans cet hommage que la 13ème biennale d’art contemporain de Lyon rend au Corbusier cinquante ans après sa mort, la modernité de l’œuvre de l’architecte est rendue évidente. Elle est effectivement parfaitement adaptée pour accueillir la création contemporaine. Pourtant, le bâtiment, achevé en 1959, est mis à rude épreuve par l’artiste indo-britannique. Avec ses installations, l’architecture brutaliste implose, les miroirs concaves disséminés en son sein rendent les lignes de perspective malléables à l’infini. Kapoor se joue de la configuration du lieu, mais il fait également s’affronter les textures : la rudesse du béton brut, omniprésent, se confronte à la fragilité évidente d’œuvres en cire ou en pigments.
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Anish Kapoor, iconoclaste ?
S’attaquant aux formes et aux matières, l’exposition est une remise en question du travail du Corbusier. Hommage ou affront ? Cette déstructuration, plutôt que de saper les fondements conceptuels de l’architecte, vient bien au contraire renforcer la modernité du bâtiment. L’œuvre contemporaine épouse l’architecture moderne, et de cette union renaît une construction qui initialement incarnait l’avant-garde.
A mille lieues de son exposition versaillaise qui crée la polémique, symbole pour quelques intégristes d’un « viol de la nation », ses œuvres présentées au couvent de la Tourette sont étonnantes d’humilité, pleinement respectueuses du lieu d’exposition. Elles viennent souligner la force et l’humanité d’une construction qui fut commandée par un groupe de Dominicains désireux d’y élire résidence. Bien qu’imposant de l’extérieur, ce couvent incarne le dénuement dès lors qu’on y pénètre, impression renforcée par le travail d’Anish Kapoor.
Atténué par les reflets déformants des miroirs de l’artiste, le caractère imposant du bâtiment devient secondaire; il apparaît soudain fragile et éphémère. Au nord du couvent, l’église conventuelle fait l’objet d’une mise en abyme, le gigantisme de ce parallélépipède de béton est recueilli dans les courbes d’une discrète pyramide miroitante, une sorte de flèche de clocher ( d'où l'intitulé anglais de l'oeuvre, spire ) au design minimaliste. Le réfectoire, qui semble être le seul lieu de vie du couvent, voit ses rares couleurs absorbées par un miroir à la teinte sombre, d’où jaillit l’obscure clarté du lieu.
Crédit Clément Chautant
Dans cette exposition, tout est oxymore, et les contrastes créent la cohésion. On sort conquis par cette alliance du moderne et du contemporain, teintée d’une grande cohérence et donnant un sens à l’art parfois déroutant d’Anish Kapoor. C’est peut-être ce qui qualifie la biennale de cette année, cette cohérence, derrière le thème évocateur de la vie moderne. Ralph Rugoff, le commissaire invité par Thierry Raspail pour cette biennale 2015, a déclaré souhaiter garder en tête l’affirmation de Marcel Duchamp pour qui le spectateur est responsable pour moitié de la compréhension d’une œuvre d’art. Anish Kapoor nous oriente chez Le Corbusier, reste alors à chacun de méditer sur le sens de ce dialogue fécond. Pour cela, peut-être aurez-vous la chance de croiser un Dominicain susceptible d’inspirer votre réflexion.
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