Berlin, 1990. La ville est toujours divisée par de nombreux no man’s land. Des immeubles de l’Est, désertés par leurs habitants, sont occupés par des artistes dans une ville en recherche d’identité. Les « Hausprojekt », squats reposant sur des projets de vie, souvent artistiques, sont nés. Tolérés pendant de nombreuses années, ils ont contribué à la naissance d’une ambiance alternative, et ont ainsi attiré de nombreux touristes. Mais aujourd’hui, Berlin est victime de son succès. Les immeubles occupés par les collectifs d’artistes sont convoités. C’est le cas de Køpi, situé sur la Köpenicker Strasse.
Une lutte contre la gentrification
L’année dernière, le quartier situé autour de Køpi, sur lequel louchent les investisseurs, a été déclaré « zone d’assainissement ». D’importantes sommes sont depuis engagées par la mairie afin de satisfaire les demandes des propriétaires potentiels, attirés par un quartier en pleine croissance. Des manifestations ont été organisées ces dernières semaines. L’objectif : empêcher que la Commerzbank, banque créancière de tous les terrains, ne vende peu à peu le Hausprojekt.
"Nous sommes venus pour rester"
Le terrain, situé entre les quartiers de Kreuzberg et Mitte, a en effet de quoi faire rêver. Cinq étages et plus de 1900 mètres carrés sont occupés par une centaine de personnes à la recherche d’un nouveau mode de vie. Des enfants font partie des habitants. À Køpi sont organisées de nombreuses activités. Qualifié de squat punk, le Hausprojekt accueille des salles de concert dans cet esprit. Pour la journée, des espaces restent réservés aux ateliers. Un atelier de sérigraphie a notamment contribué au succès du lieu, dans lequel on trouve également une des plus vieilles salles d’escalade de Berlin. Une Volksküche, cantine que l’on paye selon sa satisfaction, ouvre tous les midis.
Un Hausprojekt de la gauche radicale
Ces activités permettent de maintenir en vie un espace dynamique, qui est également politique. Les idées des occupants de Køpi sont proches de l’extrême-gauche anti-capitaliste. Sur les banderoles des manifestants de soutien au Hausprojekt, il n’est pas rare d’apercevoir le A anarchiste ou des messages anti-libéraux. Le mode de vie prôné à Køpi repose sur l’entraide et le partage. Un esprit contestataire dans une ville qui s’embourgeoise.
Wagenplatz est le nom de la place sur laquelle certains occupants de Köpi habitent dans des camions et caravanes. La Commerzbank a proposé de ne racheter que cette place et de laisser le squat tranquille. Les activistes ont refusé, pour s'opposer à une stratégie de "grignotage"
Köpi constitue en effet une belle revanche sur la bourgeoisie. Les bâtiments aujourd’hui occupés sont ceux du complexe hôtelier Fürstenhof. Cet établissement accueillait au XXème siècle les riches Prussiens qui cherchaient à se détendre. Tandis que les amateurs de jeu pouvaient se retrouver autour d’un bowling ou dans la salle de sport situés aux étages inférieurs, les amateurs de culture profitaient des pièces jouées dans le petit théâtre. Des dîners et bals étaient organisés au même étage, au-dessus duquel les chambres et suites invitaient aux secrets d’alcôves.
À la fin des années 1980, l’immeuble, situé à Berlin-Est, était menacé de destruction. C’était sans compter l’arrivée des squatteurs une petite décennie plus tard. Le 23 février 1990 marque la naissance du Hausprojekt qui fêtait ses 23 ans en manifestant la semaine dernière. Le bâtiment a été saisi par la Commerzbank dès la fin des années 1990. La banque a dès lors commencé à tenter de le vendre. Une véritable bataille judiciaire s’est engagée, Køpi bénéficiant du soutien de toute une scène alternative. « Nous sommes venus pour rester », affirment les activistes de Køpi pendant les manifestations. Loin des sentiers touristiques, la lutte de cette scène militante est un combat pour la survie d’un autre Berlin, plus engagé, plus créatif.