Au revers de l’Ukraine, la Transnistrie tend les bras à la Russie

26 Juin 2014


À la frontière occidentale de l’Ukraine, la république moldave de Transnistrie. Indépendante de fait mais non reconnue par la communauté internationale, cette étroite langue de terre s’étire sur 400 kilomètres du nord au sud. Les yeux tournés vers l’est, ses habitants espèrent sans trop d’espoir que leur pays devienne, à l’instar de la Crimée, un sujet de la Fédération de Russie.


La "gare-fantôme" de Bender. Seuls quelques trains s'y arrêtent chaque semaine. Crédit photo Pierre Sautreuil.
À Tiraspol, trois roses blanches flottent sur le Dniestr. Le 19 juin était jour de deuil en Transnistrie, république moldave dont l’indépendance de fait n’est reconnue guère que par l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie. Vingt-deux ans plus tôt, de sanglants combats opposèrent les forces armées moldaves aux indépendantistes de Transnistrie, auxquels se joignirent les troupes de la 14ème armée russe basée dans le pays. La ville de Bender, à 11 kilomètres à l'ouest de la capitale Tiraspol fût le théâtre d’affrontements qui firent de nombreuses victimes civiles. Le 19 juin est depuis lors célébré chaque année comme le “Jour de la tragédie de Bender”.

À sept heures du matin, vétérans et officiels sont venus fleurir le mémorial aux victimes et le buste du général russe Alexandre Lebed, qui dirigea la 14ème armée russe. Quelques dizaines d’hommes au total. Les anciens soldats se sont ensuite retrouvés dans les buvettes de Bender pour échapper à la chaleur et échanger quelques souvenirs, avant de déposer une gerbe de fleur sur la rivière. Une minute de silence. Non loin de là se baignent des adolescents. Les jeunes participants d’une compétition d’aviron dépassent le cortège militaire sans y prêter attention. Quoique bétonné, l’endroit est calme et bucolique.
Les vétérans et officiels ont fleuri le buste du général Lebed, dont la 14ème armée qui a porté assistance aux indépendantistes de Transnistrie en 1992. Crédit photo Pierre Sautreuil

Dans une buvette au bord de la plage, Maxim, 18 ans, travaille en tant que serveur. Quatre de ses amis sont venus lui tenir compagnie aux heures creuses où les clients se font rares. Les deux télévisions diffusent une série russe. “Le jour de la tragédie de Bender ? Les jeunes s’en foutent un peu. C’est de l’histoire.” affirme-t-il. “Ici le seul événement qui compte véritablement c’est Den’ Pobedy”, le Jour de la Victoire en russe. Célébré le 9 mai dans tous les pays de l’ex-URSS, de l’Ukraine au Kirghizistan, il commémore la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans Tiraspol, bien que l’événement ait eu lieu il y a maintenant presque deux mois, des panneaux d’affichage continuent de fêter la victoire contre l’occupant “germano-fasciste”.

Mythe fondateur du patriotisme russe contemporain, Den’ Pobedy fait depuis le début de la crise ukrainienne l’objet d’une indéniable instrumentalisation politique. En Russie, nombre d’internautes et de médias ont accusé les Ukrainiens de ne pas célébrer l’événement cette année. Dans le Donbass, dont nombre de partisans dénoncent le “fascisme” de la “junte de Kiev”, le ruban orange et noir emblématique de Den’ Pobedy est devenu le signe de ralliement des séparatistes pro-russes. En Transnistrie, le 9 mai 2014 a de même été l’occasion d’une démonstration de ferveur à l’égard de la Fédération de Russie.
Le pont qui mène de Tiraspol à Bender, sur le Dniestr. Il est gardé par des soldats russes. Crédit photo Pierre Sautreuil

“Adhérer à la Fédération est notre objectif ultime”

La Moldavie signera le 27 juin un accord d’association avec l’Union Européenne. Pour les dirigeants transnistriens, enthousiasmés par le rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie le 18 mars 2014, il s’agit d’un signe évident d’inconciliabilité entre Moldavie et Transnistrie. Dans une interview publiée en mars 2014 dans la revue Politique Internationale, le président Evguény Chevtchouk est catégorique : “Adhérer à la Fédération est notre objectif ultime”.

D’après un référendum datant de septembre 2006, 97,2% des électeurs de Transnistrie s’étaient prononcés en faveur d’un rattachement à la Russie. Un scrutin jugé libre et démocratique par les observateurs de la Communauté des Etats indépendants (CEI), alors que ceux de l’Organisation pour la sécurité et la coopération européenne (OSCE) et de l’Union européenne avaient refusé d’en reconnaître le résultat en raison d’irrégularités. Le 5 décembre 2013, soit seulement une semaine après que la Moldavie et l’Union Européenne aient paraphé leur accord d’association, Evguény Chevtchouk dépose un projet de loi visant à mettre en place la législation russe sur le territoire de la Transnistrie. Une proximité temporelle lourde de sens.

Près de la gare de Bender, ce train a été reconverti en musée d'histoire de la Transnistrie. Les visites sont rares. Crédit photo Pierre Sautreuil
Dans une interview datant du 19 juin, la ministre des Affaires étrangères de Transnistrie, Nina Shtansky, a exprimé son inquiétude concernant l’orientation européenne de la Moldavie : “la Moldavie et la Transnistrie sont deux planètes différentes en ce qui concerne l’entrée de la Moldavie dans le marché commun européen.” L’économie de la Transnistrie a en effet tout à perdre dans cet accord, car elle ne pourra plus profiter des tarifs douaniers préférentiels que l’UE accordait à la Moldavie dans son ensemble. Un désastre économique et social pour la Transnistrie, dont 35% du PIB provient des exportations vers l’Union européenne. Cette épée de Damoclès explique ainsi également pourquoi les dirigeants de Transnistrie sont si désireux de rattacher leur pays à la Russie. La position russe est pourtant bien plus ambiguë.

De l’échec de l’Union Eurasiatique à la Nouvelle Russie

Bien que la Transnistrie compte 1200 soldats russes sur son territoire, la Russie n’a jamais reconnu officiellement la république indépendantiste. Elle a pourtant exprimé sa vive opposition à l’accord d’association entre l’UE et la Moldavie, le vice Premier ministre Dmitri Rogozine ayant notamment déclaré que cet accord signerait à tout jamais la perte de la Transnistrie pour la Moldavie.

Les raisons pour lesquelles la Russie n’a jamais reconnu la Transnistrie ont évolué au fil du temps. Si ce rejet était d’abord un moyen de maintenir un statu quo avec la Moldavie et les pays européens, il est depuis quelques années un élément de pression sur la Moldavie pour qu’elle intègre la toute nouvelle Union eurasiatique plutôt que le marché commun européen. Une stratégie qui semble avoir trouvé ses limites face à la détermination du gouvernement moldave. Par ailleurs, si le souhait de se rattacher à la Russie est un vieux rêve pour la Transnistrie, il est en butte aux réalités géographiques, la Transnistrie ne partageant pas de frontière avec la Russie.

Un soldat russe se repose avec des amis sur une rive du Dniestr. Il est interdit de les photographier. Crédit photo Pierre Sautreuil
L’imminent accord d’association entre l’Union européenne et la Moldavie est indéniablement un revers pour la Russie et la Transnistrie. Il explique en partie le récent enthousiasme des habitants et dirigeants de Transnistrie pour la rébellion dans le Donbass et le projet de Novorossya, ou Nouvelle Russie, qui verrait se rattacher tout le Sud et l’Est ukrainien ainsi que la Transnistrie à la Russie. Un projet dont la concrétisation apparaît toutefois plus que mince, au vu des efforts de “désescalade du conflit” mis en oeuvre par le Kremlin. Si la Transnistrie est bel et bien vouée à demeurer dans la sphère d’influence de la Russie, un rattachement relève aujourd’hui de plus en plus de la mauvaise fiction. Un constat unanime pour les amis de Maxim accoudés au bar de la buvette. Le lycée est fini, et avec l’été commencent les préparatifs au départ à l’université. Tous s’en iront en Russie.



Étudiant en journalisme à Paris. Passionné par la Russie et l'espace post-soviétique. En savoir plus sur cet auteur