Asie du Sud-Est : les signes d’un Printemps politique ?

28 Janvier 2014


Secouée par des multiples manifestations plus ou moins violentes, l’Asie du Sud-Est fait face à des pulsions démocratiques de ses peuples. Néanmoins, de là à s’imaginer un soulèvement général, le pas est vite franchi. Analyse.


© Reuters
Alors que des mouvements protestataires fleurissent ici et là en Asie du Sud-Est depuis plusieurs mois, certains journaux d’opposition – en Thaïlande notamment – se sont risqués à évoquer un imminent « Printemps arabe » dans la région, espérant soulever un élan de protestation généralisé et plus radical. Entre cette exagération volontaire de l’ampleur des mouvements et la multiplicité de ceux-ci, la question d’un Printemps asiatique est-elle d’actualité ?

Explosions répétées en Birmanie en octobre, insurrection d’un quartier à Singapour en novembre, des milliers de manifestants dans les rues de Bangkok en décembre et l'état d'urgence déclaré la semaine dernière, un semblant de guerre civile qui a fait quatre morts à Phnom Penh début janvier… Les protestations politiques semblent s’enchaîner et ne jamais s’arrêter dans cette région où la démocratie est encore un concept plus ou moins flou. Pour autant, il serait trop facile et totalement injustifié de comparer d’une façon aussi rapide et factuelle les mouvements du Printemps arabe des années 2010 et ceux qui secouent l’ordre politique aujourd’hui en Asie du Sud-Est.

Des protestations d’une échelle différente

Alors que les régimes en place en Tunisie, en Egypte, ou en Libye étaient des véritables dictatures, ils sont ici plus démocratiques. Sans pour autant être des idéaux types de démocratie, ils ont pour la plupart un respect constitutionnel des droits élémentaires de l’Homme, un droit de vote et une séparation des pouvoirs entre différents organes distincts. Difficile donc d’établir un parallèle entre les revendications des révolutions arabes et celles des mouvements protestataires d’Asie du Sud-Est.

A l’instar du soulèvement à Singapour et des attentats à la bombe en Birmanie, ces revendications sont davantage d’ordre ethnique ou religieux. La région étant un formidable melting pot de cultures et de religions, les heurts sont inévitables. A Singapour, c’est la communauté indienne qui s’est insurgée le temps d’un week-end contre les salaires ridicules des travailleurs étrangers, mettant à feu et à sang le Little India de la Cité-État. La police locale a vite pris le dessus sur les évènements, mais les images de « Singapour en feu » avaient déjà eu le temps de traverser les frontières.

En Birmanie, ce sont cinq attentats à la bombe, isolés, qui ont secoué le pays et tué une touriste au mois d’octobre. Non revendiqués, ces attentats seraient, semble-t-il, le fait des tensions religieuses permanentes entre bouddhistes et musulmans, tensions qui ankylosent la politique birmane depuis des années. Evènements mineurs s’ils en sont, mais à l’approche de la présidence birmane de l’ASEAN et au vu de l’histoire controversée du pays, ils ont eu un écho retentissant au sein de la communauté internationale. Les ambassades de France, Canada, et des Etats-Unis ont fortement déconseillé de se rendre en Birmanie après ces incidents.

Les mouvements de protestations à Phnom Penh qui ont eu lieu en ce début d’année sont en partie dus à des revendications politiques et sociales. Le parti d’opposition cambodgien - le CNRP - affirme que les élections de juillet dernier [remportées par le PPC, ndlr] étaient truquées. D’un autre côté, les travailleurs du textile ont profité de cette vague de revendications pour réclamer une hausse des salaires.

Encore une fois, il n’est pas question d’un contexte similaire au Printemps arabe, ces revendications politiques contre la corruption et les trucages d’élections sont le lot commun d’une grande majorité de pays en développement. Mais leur concentration et la violence qu’elles exhalent n’est rien de très prometteur…

© AP
Les protestations de Bangkok sont peut-être celles qui ressemblent le plus aux revendications de la place Tahrir, la violence en moins. Les mouvements de Bangkok étaient le fruit d’une longue frustration politique nationale remontant au mandat de Thaksin Shinawatra, Premier ministre entre 2001 et 2006. Cette dernière année, il avait été forcé à l’exil avec un bilan tâché de corruption, d’évasion fiscale, et de censure médiatique.

La Thaïlande pensait en avoir fini avec l’homme politique jusqu’à ce que sa sœur Yingluck Shinawatra ne devienne elle aussi Première ministre en 2011, faisant réapparaître les démons de l’exilé – surtout après que des rapports internationaux aient qualifié la nouvelle Première Ministre de poupée au service de Thaksin Shinawatra. La goutte d’eau qui fit déborder le vase fut son amendement d’amnistie, passé en fin d’année 2013, autorisant son frère à revenir en Thaïlande. On a longuement parlé de ce « soulèvement patriotique », de cet « élan démocratique » du peuple thaïlandais dans la presse mondiale pour décrire ce mois de protestations dans les rues de Bangkok.

Des régimes bien en place et une histoire trop ancrée

Au delà des mouvements de protestation récents, il semble peu probable qu’un Printemps politique prenne racine en Asie du Sud-Est, au regard des institutions et de l’histoire de la région. Bien que de nombreux pays de la région – voire tous – ne puissent pas être pleinement considérés comme des démocraties, tous ont aujourd’hui des systèmes politiques qui relèvent d’un pluralisme politique théorique et d’une séparation des pouvoirs. Les mouvements protestataires ne pourront ainsi jamais s’attaquer aux institutions, qui sont, dans les textes, « adaptées et démocratiques », mais aux personnes qui les dirigent, ayant pour la majorité d’entre elles une vision personnalisée et financière de la politique. On sort ainsi du schéma du Printemps arabe qui était plus une refonte totale et complète des institutions, archaïques et inadaptées.

Par ailleurs, l’histoire politique de la région joue encore aujourd’hui un grand rôle dans les mentalités. Si le Printemps arabe a exporté ses idées révolutionnaires, les régimes qui s’en suivent sont aussi connus du monde extérieur. Au regard des régimes de Pol Pot au Cambodge et de la junte militaire en Birmanie, les cicatrices sont dans la région douloureuses et pas toutes refermées – la junte est toujours influente à Rangoun. À en observer les régimes tunisien et égyptien, les populations d’Asie du Sud-Est n’ont certainement pas envie de retomber dans ce type d’écueil politique.

« And who knows ? An Arab Spring may be in the making. », conclut donc cette journaliste de The Nation dans son article créant un parallèle entre Asie du Sud-Est et Moyen-Orient. Les revendications étant de nature différente, les institutions régionales s’inscrivant dans une théorie démocratique et les derniers régimes totalitaires étant à quelques années seulement, il semble aujourd’hui très peu probable qu’un Asian Spring mette le feu à une région qui en plus des précédents éléments peut compter sur une croissance économique incessante et constante.