De nouveaux billets circulent à Buenos Aires depuis le 20 septembre. D'une valeur de 100 pesos (environ 17 euros), ils illustrent le portrait d'Eva Perón. Pour le gouvernement, l'idée initiale était de rendre hommage à l'ancienne Première Dame de l'Argentine. Pour la Présidente Cristina Kirchner, la nouvelle version vise à immortaliser le souvenir d’Eva, remplaçant ainsi le traditionnel billet de Roca. Geste symbolique ou culte de la personnalité, la mise en circulation de la nouvelle édition révèle un ancien clivage politique encore présent dans la société d'aujourd'hui.
Sainte Mère des pauvres pour certains, prostituée aux idées antisémites pour d'autres, le souvenir de « Evita » occupe une place encore très importante dans les esprits. L'ancienne épouse du Général Perón, Président argentin de 1945 à 1955, offre une image controversée. Pour les péronistes, elle incarne un modèle d'ascension et de réussite sociale. Fille illégitime et pauvre, venue travailler comme actrice à Buenos Aires, elle termine Présidente de la Fondation Eva Peron, remplissant une vaste fonction sociale et politique. Elle a œuvré pour la légalisation du vote des femmes en 1949 et est à l'origine de nombreuses réformes améliorant les conditions de travail et le niveau de vie des classes défavorisées. Pour ses opposants en revanche, elle représente le caractère clientéliste et populiste du gouvernement Perón, imposant les idées de son mari à grands coups de propagande et de censure de l'opposition.
« Eva n'est pas morte, elle est entrée dans l'immortalité ! » a annoncé la Présidente dans un discours prononcé le 26 juillet 2012, jour de commémoration du décès d'Eva Perón et de l'inauguration des nouveaux billets. Ceux-ci devaient être émis en édition limitée, en hommage à la seconde femme de Perón. Cependant la Présidente est allée plus loin, comme le rapporte le journal Clarin, en annonçant qu'ils remplaceraient le traditionnel billet de Roca. Ils font ainsi apparaitre pour la première fois une femme sur la monnaie argentine.
Imprimés par la Casa de Moneda avec l’aide d'experts suisses, 20 millions de ces nouveaux billets ont été mis en circulation par la Banque Nationale, le 20 septembre dernier. Le motif s'inspire d'un ancien modèle de billet de 5 pesos, dont la production, commencée après la mort d'Evita en 1952 n'a jamais pu être terminée, interrompue par la Revolution Libertadora. Aux couleurs violettes et roses, il présente le profil gauche du visage de Peron, entouré de feuilles et de fleurs de Ceibo, le symbole de la nation argentine. Toutefois comme le souligne un article paru dans La Nación, leur présence est très rare sur le marché. Les nouveaux billets présentent en fait un défaut de fabrication rendant impossible le retrait en distributeur automatique. Une erreur grave, qui freine la production et rend l'utilisation des nouveaux billets caduque. Selon le journal Clarin, on estime à 14,5 millions de dollars américains le coût de l'opération. Un chiffre très mal perçu en période d'inflation.
Le traditionnel billet Roca, à l'effigie de l'auteur d'un génocide
Remplacer l'actuel billet de 100 pesos argentin impliquerait un geste lourd de conséquences. Édités à l'époque du Président Menem, dans les années 90, ces billets illustrent le visage de Roca, ancien chef militaire et politique ayant conduit la Conquête du désert de 1879 à 1884. Selon les historiens, celle-ci s'analyse en réalité comme une campagne de purification ethnique, voire un véritable génocide. Dans un contexte d'expansion de l'industrie argentine, le Général Roca a en effet conduit son armée jusqu'en Patagonie, octroyant à l'Argentine 30 000 hectares de terre et massacrant au passage 20 000 indigènes appartenant aux peuples ethniques mapuches. Les 10 000 survivants furent ensuite capturés, les femmes étant employées comme servantes, les hommes envoyés dans des camps d'extermination situés sur l'île de Martin Garcia et les enfants donnés en adoption aux familles blanches de Buenos Aires. Une période noire de l'Argentine, peu évoquée par la presse argentine et internationale et dont le souvenir demeure encore aujourd'hui imprimé en toute impunité sur les billets de 100 pesos.