Allemagne : peu de bruit pour une campagne décisive

3 Aout 2013


Les électeurs allemands sont appelés aux urnes le 22 septembre prochain pour désigner les membres de la chambre basse du Parlement ainsi que le gouvernement fédéral. Mais la campagne de ce pays le plus puissant d’Europe ne trouve qu’un écho limité à l’étranger, et notamment en France.


Crédit Photo –– Yann Schreiber | Le Journal International
Selon le mot de l’ancien président français Nicolas Sarkozy, aucun dirigeant de pays industrialisé n’a été réélu depuis le début de la crise – à l’exception notable de Barack Obama aux États-Unis. Il y a de grandes chances pour qu’Angela Merkel fasse mentir cette affirmation une deuxième fois. Tout sera affaire de rapport de forces entre les différents partis allemands puis de l’orientation qu’elle donnera au début de son nouveau mandat en matière de politique européenne.

Un désintérêt surprenant

Que l’on s’intéresse en premier lieu à la vie politique de son propre pays est classique et compréhensible. Mais l’attention portée en France aux élections fédérales de notre grand voisin et ami est particulièrement peu élevée*. On peut tenter d’avancer plusieurs explications. D’abord, et pour faire court, l’Allemagne a un système institutionnel différent dans lequel un observateur français ne se retrouve pas aussi facilement : les élections ont lieu selon un assez complexe mode de scrutin mixte proportionnel et personnalisé. Ensuite, passionnément érigée en modèle ou critiquée par des responsables politiques, penseurs économiques ou acteurs de la société civile, l’Allemagne ne met pas à l’aise. Positivement ou négativement, elle impressionne par sa force. Et le meilleur moyen de ne pas trop se confronter avec ses craintes, c’est tout simplement de ne pas en parler, ou en tout cas de ne pas lui faire de publicité en période d’élections.

Une explication supplémentaire a certainement rapport à la forme de l’affrontement électoral. Les Français apprécient parce qu’ils y sont habitués les oppositions entre deux ou trois figures fortes et se passionnent pour des attaques parfois violentes et personnelles. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles ils se reconnaissent davantage dans les campagnes présidentielles américaines, très axées sur l’image privée des candidats et la mise en scène du « combat » entre deux partis écrasants. Les médias allemands ne raffolent pas de grandes émissions faisant se confronter les candidats : celles-ci existent, mais sont loin d’établir des records d’audiences et ne sont pas des joutes rhétoriques, mais plutôt de sages exposés.

Même les responsables politiques européens, et parmi eux les Français, semblent plus ou moins désintéressés par la campagne. On se souvient qu’Angela Merkel avait soutenu Nicolas Sarkozy et que François Hollande avait été reçu à un congrès des sociaux-démocrates. Cette année, il aura été difficile d’entendre un commentaire de la part de ténors du Parti socialiste ou de l’Union pour un mouvement populaire – tous bien occupés avec leurs propres affaires.

Une campagne traditionnellement calme, mais intéressante

L’Allemagne a une vie politique beaucoup plus apaisée. Fédérale et parlementaire, la démocratie du « pays des penseurs et des poètes » est organisée autour du principe du consensus. Cela se retrouve même dans le fonctionnement du système scolaire ou au sein des entreprises, où l’on cherche à trouver une solution modérée satisfaisant la plupart des parties et surtout durant longtemps. Trois des principaux mouvements politiques, les libéraux-démocrates (FDP), les chrétiens-démocrates et chrétiens-sociaux (CDU/CSU) et enfin les sociaux-démocrates (SPD), présentent des programmes partageant de fortes similarités. En France en revanche, on sait que les candidats ont à cœur de mettre en avant des idées très différentes de celles formulées par leurs adversaires pour stimuler – ou simuler – le débat.

Crédit Photo –– Yann Schreiber | Le Journal International
Ce n’est pas tant le programme que le contrat de coalition qui fixera les grandes orientations du mandat à suivre. Et, chose inimaginable depuis 1958 et la cinquième République à Paris, il est plus que probable que l’accord de gouvernement issu du résultat des élections du 22 septembre mettra en place une « grande coalition ». Il s’agit d’une alliance entre le centre-droit d’Angela Merkel et le centre-gauche du trio Peer Steinbrück, candidat du SPD, Sigmar Gabriel, chef du parti, et Franz-Walter Steinmeier. L’éventualité d’une coalition « noire-jaune » (CDU/CSU-FDP) ou « rouge-verte » (SPD-Verts) semble de plus en plus faible : d’une part les libéraux dépasseront vraisemblablement tout juste la barre légale de 5 % et manquent d’une direction faisant l’unanimité et d'autre part les sociaux-démocrates n’auront pas assez de voix pour qu’un accord avec les écologistes leur assure la majorité comme ce fut le cas sous Gerhard Schröder.

De grands enjeux

Toutefois, ce n’est pas parce que les jeux sont en partie déjà faits que des thèmes essentiels ne sont pas l’objet de discussions. Angela Merkel défend un bilan de huit ans jugé par la majorité de la population comme bon, voire très bon. Elle a réussi à consolider la place de l’Allemagne comme première puissance économique de l’Union européenne et a admirablement endigué les effets internes de la crise économique et financière. Elle a même accepté de considérer certaines avancées en matière de salaire minimum – un tabou pour elle auparavant. Le SPD tente de faire entendre quelques alternatives.

Mais en Allemagne comme à l’extérieur, la chancelière n’est pas épargnée par les critiques. Certains analystes allemands lui reprochent d’avoir mené une politique ayant creusé l’écart entre les riches et les pauvres, notamment en favorisant le développement d’emplois peu rémunérés pour peu d’heures travaillées, diminuant ainsi plus mathématiquement que réellement le taux de chômage. Par ailleurs, elle ne se sera pas beaucoup attaquée à la question démographique allemande : la population vieillit, mais elle n’aura pas incité les couples à donner naissance à plus d’enfants par des mesures telles que des allocations ou des crèches – concilier carrière et vie familiale n’est encore de nos jours pas évident pour toutes les jeunes femmes. De plus, le solde migratoire ne parvient à combler qu’une petite partie de cette baisse de population.

À l’étranger bien sûr, et notamment en Grèce, Italie, Espagne, Portugal et maintenant à Chypre, on lui reproche son inflexibilité quant aux politiques budgétaires et monétaires et les « cures d’austérité » qu’elle et ses alliés du Nord de l’Europe ont imposé aux États du Sud. On aura vu au cours des dernières années fleurir les caricatures la comparant à Adolf Hitler. Si Angela Merkel est réélue, les dirigeants des 27 autres membres de l’UE – ainsi que leurs peuples – seront bien obligés de continuer à travailler avec la figure européenne la mieux identifiée par la Chine, la Russie ou les États-Unis.



* On signalera cependant le bon blog du Monde intitulé « Objectif chancellerie » : allemagne.blog.lemonde.fr.
Crédit Photo –– Yann Schreiber | Le Journal International



Ancien rédacteur-en-chef du magazine trilingue "Le Parvenu" (http://www.leparvenu.net), je suis… En savoir plus sur cet auteur