Crédits photo -- Arthur Cerf/Le Journal International
Je venais de rentrer de Soweto quand j’ai appris la mort de Mandela. Trois jours plus tôt, j’étais à Johannesburg, à l’autre bout du pays. Je m’étais rendu au musée de l’Apartheid, dans la maison où Madiba s’est installé en 1946 à Orlando West, dans le township de Soweto, et dans tous les lieux imprégnés par la lutte contre l’un des régimes les plus violents de l’Histoire du 20e siècle. Je me souviens de ce coin de rue à Soweto où Hector Pieterson, étudiant de 13 ans, s’est fait tirer dessus par les forces de police pendant la révolte de 1976. Je rentrais donc à Cape Town rempli d’admiration pour l’homme, et avec une certaine conscience de ce que signifie le « long Chemin vers la Liberté ».
LA FêTE AVANT L’HEURE
L’hommage rendu au premier Président noir de l’Afrique du Sud était prévu à 17h. La fête a commencé à 16h30 quand les regards impatients de la foule se sont détournés du portrait solennel suspendu devant l’Hôtel de Ville, attirés par les chants énergiques de quelques centaines de Sud-Africains. Très vite, un cercle se forme autour d’eux. Les chants rythmés gagnent la foule. Blancs, Noirs, Coloureds, Indiens dansent vigoureusement dans le boucan des clappements de mains et des chants de libération en xhosa, langue maternelle de Rolihlahla Mandela.
L’hommage aura lieu dans la fête. Car dans la culture bantu, il y a un moment pour le deuil et un moment pour célébrer la vie de la personne décédée. Mandela a été honoré dans la solennité même si le Pasteur a eu du mal à calmer l’agitation de la foule. Et c’est avec respect que chacun s’est tu lors du discours prononcé par le maire de Cape Town, avant d’entonner l’hymne national en cinq langues, symbole d’une nation unifiée dans sa diversité.
L’hommage aura lieu dans la fête. Car dans la culture bantu, il y a un moment pour le deuil et un moment pour célébrer la vie de la personne décédée. Mandela a été honoré dans la solennité même si le Pasteur a eu du mal à calmer l’agitation de la foule. Et c’est avec respect que chacun s’est tu lors du discours prononcé par le maire de Cape Town, avant d’entonner l’hymne national en cinq langues, symbole d’une nation unifiée dans sa diversité.
LES ARCS EN CIEL sont éphémères
Car c’est bien la nation arc-en-ciel qui s’est réunie sur la Grand Parade. Affirmer que l’Afrique du Sud porte encore les stigmates non seulement de l’apartheid, mais aussi de 300 ans d’oppression, c’est marteler des évidences. Il faudra des années, des décennies pour que se concrétise l’idéal nourri par Mandela d’une Afrique du Sud multiraciale unie et socialement réconciliée.
À la radio, dans les journaux et dans tous les discours saluant le père de la nation sud-africaine, la question de la survie de son héritage est répétée avec insistance. Elle doit être pesée. L’Afrique du Sud post-apartheid est un projet continu, un défi énorme qui se construit chaque jour et que toute une nation a choisi de relever dans la paix et le pardon en votant pour Madiba en 1994. Tout à l’heure, cette foule se dispersera et sera divisée. Certains d’entre eux retourneront s’entasser à six à l’arrière des pick-up qui les ramèneront dans la misère des townships. D’autres iront s’enfermer dans leurs immenses maisons entourées de barbelés. Les arcs en ciel sont éphémères.
En attendant, il me semble que la cérémonie appartient à ces rares moments de joie collective où l’idéal de Mandela prend finalement forme. Les maillots des Springboks sont fièrement portés en souvenir de cette fête qu’a connue le pays en 1995. Cette année, l’Afrique du Sud est devenue championne du monde de rugby et après plusieurs années de conflits, un stade entier scandait le nom de celui qui considérait le sport comme un moyen d’unification de cette nation divisée.
À la radio, dans les journaux et dans tous les discours saluant le père de la nation sud-africaine, la question de la survie de son héritage est répétée avec insistance. Elle doit être pesée. L’Afrique du Sud post-apartheid est un projet continu, un défi énorme qui se construit chaque jour et que toute une nation a choisi de relever dans la paix et le pardon en votant pour Madiba en 1994. Tout à l’heure, cette foule se dispersera et sera divisée. Certains d’entre eux retourneront s’entasser à six à l’arrière des pick-up qui les ramèneront dans la misère des townships. D’autres iront s’enfermer dans leurs immenses maisons entourées de barbelés. Les arcs en ciel sont éphémères.
En attendant, il me semble que la cérémonie appartient à ces rares moments de joie collective où l’idéal de Mandela prend finalement forme. Les maillots des Springboks sont fièrement portés en souvenir de cette fête qu’a connue le pays en 1995. Cette année, l’Afrique du Sud est devenue championne du monde de rugby et après plusieurs années de conflits, un stade entier scandait le nom de celui qui considérait le sport comme un moyen d’unification de cette nation divisée.
« JE NE CROIS PAS AUX HéROS MAIS LUI, LUI éTAIT IMMENSE »
Les hommages religieux se succèdent donc devant l’Hôtel de Ville : musulmans, juifs, chrétiens, hindous saluent Mandela dans l’émotion et la ferveur collectives. Entre deux hommages, les « Viva Mandela » et les « Long Life » grondent sur la Grand Place dans la vigueur des poings levés. Plusieurs milliers de personnes chantent ensuite « Asimbonanga » (« Nous ne l’avons pas vu »), chanson écrite pour la libération de Mandela par Johnny Clegg, le « zulu blanc », artiste-symbole de la richesse multiculturelle de l’Afrique du Sud et de la lutte anti-apartheid.
Les Blancs se joignent aux danses et aux chants menés par les Noirs. Ces derniers leur expliquent avec enthousiasme la signification de ces chants de libération. Une joie intense anime la place. Le deuil semble être passé. Présent sur place, un journaliste allemand du Handelsblatt me confie que l’émotion était beaucoup plus importante en juin dernier lorsque Nelson Mandela a été hospitalisé, proche de la mort, et que tous les Sud-Africains venaient de comprendre qu’il les avait déjà quittés. C’est pourquoi l’heure est à la célébration. C’est un moment particulier pour le journaliste. Il était présent sur cette même place en 1990 pour le premier discours de Nelson Mandela en homme libre. L’émotion nous emporte dans la foule qui court et danse autour de la place. Avant de nous voir partir, il me lance « Je ne crois pas aux héros, mais lui, lui il était immense ».
Les Blancs se joignent aux danses et aux chants menés par les Noirs. Ces derniers leur expliquent avec enthousiasme la signification de ces chants de libération. Une joie intense anime la place. Le deuil semble être passé. Présent sur place, un journaliste allemand du Handelsblatt me confie que l’émotion était beaucoup plus importante en juin dernier lorsque Nelson Mandela a été hospitalisé, proche de la mort, et que tous les Sud-Africains venaient de comprendre qu’il les avait déjà quittés. C’est pourquoi l’heure est à la célébration. C’est un moment particulier pour le journaliste. Il était présent sur cette même place en 1990 pour le premier discours de Nelson Mandela en homme libre. L’émotion nous emporte dans la foule qui court et danse autour de la place. Avant de nous voir partir, il me lance « Je ne crois pas aux héros, mais lui, lui il était immense ».
LA Fête DANS LA PEUR ?
L’effervescence est telle que la présence policière paraît absurde. Et pourtant à une cinquantaine de mètres de la foule euphorique, une centaine de policiers est prête à intervenir au moindre dérapage. Elle nous laisse entendre, sans trop nous en persuader, que la fête pourrait mal tourner. Les consignes données aux officiers semblent claires : aucun risque. Le moindre individu titubant est arrêté et emmené loin des festivités. Cette peur d’un faux pas ramène aux réalités d’un pays loin d’être réconcilié mais qui relève les défis de la diversité les uns après les autres à chaque fois qu’on doute de lui.
Peu avant 20 heures, le soleil se couchait derrière la Table Mountain. La foule grondante de l’après-midi commençait à se disperser, épuisée par l’euphorie de l’après-midi. La tête remplie de chants, de souvenirs et du sentiment d’avoir partagé un moment d’Histoire avec tous les Sud-Africains, je quitte la Grand Parade. Quand je suis parti, ils dansaient encore.
Peu avant 20 heures, le soleil se couchait derrière la Table Mountain. La foule grondante de l’après-midi commençait à se disperser, épuisée par l’euphorie de l’après-midi. La tête remplie de chants, de souvenirs et du sentiment d’avoir partagé un moment d’Histoire avec tous les Sud-Africains, je quitte la Grand Parade. Quand je suis parti, ils dansaient encore.